On achève bien les chevaux !
Le 8 juillet seront examinés par le Conseil supérieur de l’éducation deux projets de décret et d’arrêté renforçant le contrôle continu. Constatant les difficultés liées à la mise en œuvre des évaluations communes dont nous avions déjà annoncé qu’elles étaient une absurdité et qu’elles transformaient l’année scolaire en bachotage permanent, le comité de suivi de la réforme, présidé par son initiateur Pierre Mathiot, avait deux possibilités : le retour au bon sens éducatif et à un examen constitué par des épreuves terminales, ou bien la fuite en avant dans la destruction du baccalauréat, seule chose qui tenait encore à peu près debout dans une institution si constamment réformée qu’elle ne sait plus où elle va ni ce qu’elle est censée faire.
Nous étions déjà opposés à la prise en compte des bulletins scolaires à hauteur de 10% dans la note finale conduisant à l’obtention du baccalauréat, non par idéologie ou conservatisme borné mais parce que nous savions que cela entraînerait une pression insupportable sur les professeurs et encouragerait la « surnotation », ce que chacun d’entre nous a pu constater et dont nous livrons ci-après un exemple édifiant [cliquez sur le lien pour lire l'article]. Ajoutons que la prise en compte du travail fourni par l’élève pendant l’année s’effectuait déjà auparavant par la consultation des livrets au moment des délibérations, soit pour accorder une mention, soit pour modifier à la hausse telle ou telle note. Ce fonctionnement était parfaitement sain et il n’y avait aucune raison de le remettre en cause excepté la fixation, purement idéologique, de certains sur la « simplification du bac » et l’obsession, tout autant idéologique, d’autres sur le fameux et fumeux « contrôle continu », porte ouverte à toutes les dérives, comme tous nos collègues du lycée professionnel le constatent et le dénoncent en vain depuis des années.
Le ministre a donc décidé de réformer sa réforme et de supprimer les évaluations communes tout en conservant une part de 40% de « contrôle continu » à l’examen, en osant affirmer que le maintien de 60% d’épreuves terminales lui garantissait son sérieux, ce qui revient à avouer que ledit « contrôle continu » n’y pourvoie pas. Mais le plus grave est que ces 40% de « contrôle continu » seront constitués désormais par les seules notes du bulletin scolaire ! [cliquez sur le lien pour voir ici le détail du projet]. Ainsi, les professeurs deviendront les examinateurs de leurs élèves de l’année en cours et seront placés dans la situation de leur accorder ou de leur refuser une partie de l’examen auquel ils les préparent ! Autant confier au sélectionneur d’une équipe le soin d’arbitrer la première mi-temps du match auquel il la prépare ! C’est tout à fait contraire aux règles les plus élémentaires, penserez-vous. Qu’à cela ne tienne ! Changeons les règles et rendons normal ce qui est anormal ! C’est ainsi qu’en fin d’année scolaire, alors que tout le monde aspire à des vacances bien méritées et pense à autre chose qu’au devenir de l’école, le ministère s’apprête à modifier le code de l’éducation pour en supprimer le principe de l’anonymat des examens par un tour de passe-passe que nous dénonçons comme tel et que nous contesterons devant le Conseil d’État sitôt ce décret scélérat publié.
Tous les professeurs concernés par cette mesure vont en effet, dès la rentrée 2021, se retrouver en face d’élèves qu’ils ne pourront plus noter en vue de les faire progresser (ce qu’on nomme aussi évaluation formative) parce que ces notes auront désormais une valeur et un poids considérable dans l’obtention du baccalauréat. Chacun aura dès lors tendance à noter plus généreusement ses élèves pour ne pas les pénaliser en se disant que le 12 que mérite leur travail pourrait valoir 18 dans tel autre établissement aux conditions plus difficiles. Le risque est non seulement, bien sûr, de priver l’examen de toute valeur nationale, mais, plus encore, de ne plus pouvoir accorder aux notes la moindre valeur. En outre, rien ne permet de comparer les notes mises pendant l’année par un professeur à celles mises par un autre, sauf à leur imposer d’une part une progression et des exercices semblables et d’autre part une harmonisation que certaines organisations syndicales osent appeler de leur vœu en qualifiant cela de « travail en équipe » ! Cette mesure folle ne porte donc pas atteinte seulement à l’égalité entre les élèves, c’est aussi et d’abord la liberté pédagogique de chaque enseignant qui va se trouver entravée, contestée, surveillée. Et cela est inacceptable !
Nous avons déjà, au cours de cette année, déposé un recours contre le décret annulant les épreuves terminales de spécialité au profit du « contrôle continu », et nous savons que ce ne sont pas tant nos moyens qui ont été écartés par le Conseil d’État que la crainte, en nous donnant raison, de créer une situation inextricable pour le gouvernement à quelques semaines de la fin de l’année scolaire [cliquer pour consulter le dossier complet de notre référé]. Mais nous avons aussi gagné sur un autre dossier et contraint le ministère à revoir entièrement les promotions à la classe exceptionnelle [lien vers la décision du Conseil d'Etat]. Nous savons que les discussions et amendements au CSE seront inutiles et vains : même avec un avis défavorable, comme ce fut le cas précédemment, ces textes seront publiés et appliqués dès l’année scolaire 2021-2022 ; mais nous ferons tout pour l’empêcher et obtenir une suspension du décret pendant l’été : c’est ce qu’un syndicat digne de ce nom doit à la profession qu’il entend représenter, et qui ne peut prendre de vacances pour ce faire !
Nous remercions tous ceux d’entre vous, de plus en plus nombreux, qui nous envoient leurs remerciements pour nos actions et nos paroles : vos témoignages de soutien nous sont précieux et nous encouragent à poursuivre le combat que nous menons pour empêcher la destruction complète de l’école républicaine et la reconstruire.
Rendez-vous à la rentrée pour faire le point sur ces actions et sur les perspectives qui seront les nôtres alors. D’ici là, Action & Démocratie s’abstiendra de vous envoyer sa lettre d’information, sachant que, comme nous, vous êtes à bout de souffle après une année si éprouvante, une année si tragique aussi puisqu’elle fut marquée par l’abominable assassinat de notre collègue de Samuel Paty, dont la mémoire nous oblige chaque instant, et qu’elle s’achève avec le terrible suicide de notre collègue principale de collège, Cécile Bouquillion, dont la mort a été reconnue « imputable au service » par une rectrice qui est pourtant la première responsable des conditions de travail des personnels [lien vers la lettre de la rectrice] ! Action & Démocratie adresse ses condoléances à son époux et ses proches, assure ses amis et ses collègues de sa détermination à rechercher les responsabilités des managers toxiques, fussent-ils recteurs ou ministre, comme nous l’avons déjà démontré [lien vers plainte pénale contre Blanquer].
Chers collègues, personnels de l’éducation de tous les corps qui subissez des pressions de plus en plus insupportables, une charge de travail de plus en plus élevée, qui êtes placés dans des conditions de travail délétères par des réformes insensées s’abattant à un rythme effréné, et qui souffrez d’un sentiment de perte de sens de votre travail, sachez que nous sommes à vos côtés et qu’ensemble, nous pouvons non seulement nous soutenir mais nous relever ! |