Monsieur le ministre,
Suite au drame qui a frappé notre collègue Christine Renon, directrice d’école en Seine-Saint-Denis, des torrents d’indignation légitime ont déferlé dans la presse, sur les réseaux sociaux, mais surtout dans les salles des professeurs… A nous l’indignation, à vous les actes. A en juger par l’accueil reçu par votre prédécesseure qui déplorait sur Twitter la disparition de notre collègue, (comme si Madame l’ancienne ministre de l’Education nationale ne portait aucune responsabilité dans cette situation), mieux vaut que chacun reste à sa place : Donc à nous l’indignation, à vous les actes. Et ensemble apportons une réponse au malaise actuel des directrices et directeurs d’école primaire.
Nous n’avons pas la prétention de dire ce qui a poussé notre collègue à ce geste désespéré, puisqu’elle a tenu à le faire savoir elle-même, dans l’espoir que peut- être l’ensemble de ses collègues verraient leurs conditions de travail s’améliorer.
La charge de travail d’un directeur d’école est épuisante et elle n’a cessé d’augmenter, particulièrement depuis l’avènement d’Internet il y a vingt ans. Ne soyons pas exhaustif: le directeur veille à la diffusion des programmes (qui changent tout le temps) et des instructions officielles, impulse les liaisons nécessaires à la continuité des apprentissages, coordonne l’élaboration des projets, consulte l’avalanche quotidienne de courriels, répond aux multiples requêtes de la hiérarchie (enquête n°25314 sur l’utilisation des TICE ou TIC ou TUIC à compléter et renvoyer hier matin sans faute en triple exemplaire), organise la sécurité au sein de l’école (incendie, risques majeurs, PPMS, organisation des exercices de sécurité …), met à jour les innombrables registres dont pratiquement personne ne connait l’utilité, organisent les multiples réunions destinées à planifier les futures réunions en n’oubliant pas d’en rédiger les comptes-rendus. Quand tout cela est terminé, le directeur peut tenter de gérer les « problèmes » de l’école (relations conflictuelles, violence scolaire…) qui ont tendance à se multiplier, et accessoirement -parce que c’est très souvent le cas- préparer et faire la classe.
Cette charge de travail n’est pas seulement vécue comme lourde mais aussi comme largement inutile. Pour ne citer que lui, le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) a-t-il un jour permis d’épargner un accident dans une école ? -Si si, il paraît qu’un jour quelque part en France, le remplacement du parquet de la salle par du linoleum a permis d’éviter à un enseignant de s’enfoncer une écharde. Soit, maintenant dans l’autre plateau de la balance, déposons le nombre d’heures passées à remplir ce pavé par tous les directeurs d’école du pays et demandons-nous si ça valait vraiment le coup. Le drame, M. Le ministre, est qu’à chaque fois que l’Administration nous gratifie d’une nouveauté, la question de sa mise en œuvre par les directions d’établissements n’entre apparemment jamais en ligne de compte : la nouveauté sera mise en œuvre, un point c’est tout. On sait bien que ces braves directeurs d’école ne comptent de toute façon pas leurs heures.
Croyant cependant satisfaire quelque peu une demande légitime de temps, le ministère a déjà diminué les heures d’Activités Pédagogiques Complémentaires effectuées par les directeurs -car rappelons-le une fois de plus les directeurs d’école sont pour la plupart des enseignants chargés de classe-. Gageons d’ailleurs que cette fausse bonne idée resurgira bientôt : Pourquoi ne pas diminuer encore ces heures d’APC ? voilà une mesure qui ne coûtera pas un sou. Certes ce sont les élèves en difficulté qui paieront les pots cassés mais le remplissage du projet d’école dans les formes, dans les bonnes cases et dans les temps, ça n’a pas de prix ! Dans le même ordre d’idée, suite au drame survenu à Pantin, le maire a proposé de participer au financement d’une décharge totale de tous les directeurs d’écoles de la commune. L’idée est louable et généreuse mais elle ne résout rien. Ne nous trompons pas de cible : le problème essentiel n’est pas -de notre point de vue- le temps passé par les directeurs à assurer les missions qu’on leur assigne. Le problème réside dans les missions elles-mêmes. Nous ne nous sommes pas engagés pour gratter du papier, remplir des dossiers et blablater en réunion mais pour instruire des élèves. L’énergie des directeurs est précieuse, économisons-la ! Et au cas où il existerait quelque part un directeur qui aurait la passion du remplissage de dossiers, qu’il fasse carrière dans l’Administration!
A contrario, il y a une vingtaine d’années, des milliers de directeurs et directrices à travers le pays avaient décidé une grève administrative, stratégie infiniment plus intelligente et cohérente puisqu’elle consistait non pas à réclamer du temps mais à refuser d’effectuer toutes les taches jugées inutiles (« une bonne moitié », aux dires de la plupart des collègues, et c’était il y a 20 ans !). Aucune conséquence à déplorer sur le fonctionnement des écoles, rassurez-vous, personne n’eut à souffrir de cette grève (hormis des formulaires et des registres honteusement pris en otage) grève qui pourtant fut durement réprimée par la hiérarchie et jamais retentée depuis. Entre temps, le Ministère tenta bien de faire avaler la pilule par l’embauche d’aides administratives, par contrats aidés. Contrats qui ont aujourd’hui disparu, quand la quantité de travail a, elle, explosé.
Monsieur le ministre, nous n’avons pas besoin d’un suivi des directeurs d’écoles, ni d’une aide psychologique ou d’un numéro vert. Nous n’avons pas besoin de formation supplémentaire, car savoir comment se rédige la paperasse ne nous permettra pas de lui donner un sens ! La solution n’est certainement pas non plus dans la création d’un poste de super manager d’école, sorti de Sup de Co et ignorant superbement le métier d’enseignant. A vous les actes : cessez de traiter les conséquences, traitez les causes du malaise par des mesures concrètes : 1.Choc de simplification administrative en concertation avec les directeurs d’école. 2.Soutien hiérarchique permanent et efficace. A ce titre, le rôle des IEN est également à reconsidérer. Eux aussi sont submergés de taches chronophages quand les enseignants ont besoin de leur aide sur le terrain.
Dans sa lettre d’adieu, notre collègue Christine Renon se dit épuisée et démoralisée après trois semaines de rentrée. Eh bien, M. le ministre, vous serez surpris d’apprendre que certains le sont même au bout de deux jours, lorsqu’ils rentrent de la fameuse « réunion de rentrée des directeurs » dans chaque circonscription, en présence de l’IEN, voire du DASEN lui-même. Au menu : injonctions nouvelles, paperasseries nouvelles qui s’ajouteront aux précédentes, slogans creux, remontrances aux récalcitrants et nouvelles bonnes idées sorties durant l’été du crâne de conseillers haut placés qui n’avaient pas besoin de l’été pour souffler, eux, « bonnes idées » qu’il va falloir mettre en œuvre du jour au lendemain !
Savez-vous, M. le ministre, quelle serait la « rentrée rêvée » des directeurs d’école, celle qui resterait dans les mémoires comme la plus belle? elle débuterait par ces mots que chaque IEN aurait la charge de prononcer : « Chers directrices, chers directeurs, pour cette nouvelle année scolaire, pas de nouveauté. Aucun changement de programme, aucune nouvelle paperasse. Aucun « bilan moral » de M. le DASEN. Nous voulions juste vous offrir un café et vous souhaiter une bonne rentrée dans vos établissements. Nous avons confiance en vous et si vous avez besoin d’aide nous sommes là».
Ce jour-là, M. le ministre, nous aurions vraiment le sentiment d’avoir été entendus.
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