Monsieur le ministre,

Pendant deux ans, nous vous avons ici alerté au sujet de la montée de la violence dans les établissements scolaires, du laxisme des autorités envers l’indiscipline, de leur extrême sévérité en revanche vis-à-vis des personnels, de la façon inadmissible dont des directions des ressources humaines se permettent de traiter des professeurs, de l’indécence enfin des conditions matérielles qui leur sont faites, à commencer par leur traitement qui s’apparente de plus en plus à une obole.

Vos réponses ne sont pas à la hauteur. Vous faites certes beaucoup d’annonces. Vous prenez des demi-mesures, comme cet inénarrable raccourcissement du délai de saisie du conseil de discipline dont nul ne peut croire qu’il puisse impressionner quelque fauteur de trouble que ce soit. Vous multipliez les observatoires de ceci et de cela. Mais sur le terrain, les choses continuent à s’aggraver et le fossé ne cesse de se creuser, au sein de notre maison, entre des professeurs et autres personnels de terrain d’une part, qui sont en première ligne et dont les conditions de travail se détériorent sans cesse, et d’autre part une hiérarchie qui ne les entend plus, s’en méfie constamment et parle désormais une autre langue qu’eux : celle du « management », des « projets », des « résultats ».

Pendant deux ans, nous vous avons également averti contre la précipitation avec laquelle vous avez conduit des réformes profondes sans en mesurer correctement les conséquences, réformes dont les buts n’ont pas été suffisamment clarifiés et dont de nombreuses dispositions font l’objet d’un rejet massif de la part de ceux qui devront les appliquer et à qui elles sont de fait imposées par la force.

Là encore, vos réponses ne sont pas à la hauteur. Vous avez beaucoup communiqué. Vous avez pris des décrets et des arrêtés en faisant totalement abstraction des critiques, pour ne rien dire des avis défavorables du CSE. Et vous admettez en cette rentrée, après avoir néanmoins tout chamboulé, que des ajustements seront nécessaires, tout en installant des comités de suivi dont on attend encore de constater l’existence et l’utilité au sein des académies. Que ne s’est-on donné deux ans de discussion et de préparation sérieuses pour envisager ces ajustements dans le calme plutôt que de faire subir aux élèves, aux familles et aux professeurs un stress inutile et contreproductif ? Nous continuons d’ailleurs à réclamer que le délai de deux ans entre la publication des textes qui modifient l’organisation ou le contenu des enseignements et leur application sur le terrain soit gravé dans le marbre de la loi. Cette mesure de bon sens n’est pas seulement utile pour éviter la précipitation et préserver le dialogue social : elle relève du respect élémentaire vis-à-vis des uns et des autres, élèves aussi bien que professeurs. Car un changement d’ampleur des programmes, comme par exemple celui généré par la suppression des séries et la création d’enseignements de spécialité, exige que les professeurs aient le temps de se l’approprier, ce qui est respecter ces derniers, afin qu’il puisse donner lieu à des enseignements de qualité pour les élèves, ce qui est respecter ces derniers.

Toutes les dispositions de vos réformes qui ont été contestées posent encore problème et vous avez beau les mettre sous le tapis, les choses ne se passent pas aussi facilement sur le terrain. La désorganisation complète du lycée entraîne des conséquences que vos bonnes intentions ne sauraient suffire à faire accepter. En premier lieu, des emplois du temps si difficiles à construire qu’ils sont devenus aberrants, transformant les heures d’enseignement en simples variables d’ajustement pour faire tout rentrer, y compris les heures de rien, dans un cadre de plus en plus contraignant, et ceci au détriment de toute préoccupation pédagogique, comme par exemple lorsqu’on sépare les heures d’une même discipline en les répartissant au sein de la même journée de façon non consécutive, ce qui devrait être interdit. En second lieu, un éclatement de la classe qui là encore a de graves conséquences pédagogiques qui ont été totalement sous-estimées, pour ne pas dire occultées. En troisième lieu des élèves ayant de moins en moins de repères alors qu’ils en ont plus que jamais besoin, y compris sur le plan de l’organisation du temps scolaire. En quatrième lieu des divisions prises en charges par des équipes pédagogiques pléthoriques, et enfin des professeurs de plus en plus résignés et démotivés. Il en va de même pour le lycée professionnel où la diminution des horaires des disciplines structurantes et formatrices ne passe pas. Pas davantage d’ailleurs que la fumisterie de la « co-intervention » ou les stupéfiants « vade-mecum » produits dans les bureaux d’une direction de l’enseignement scolaire décidemment hors-sol. Qu’on dise au moins, ce qui est la vérité, que les textes ne contraignent pas les professeurs chargés de « co-intervenir » à se trouver en même temps au même endroit, et qu’on reconnaisse que d’autres modalités de « co-intervention » sont possibles, notamment en articulant les cours de disciplines différentes tout en permettant à chaque professeur de ne prendre sur ces heures qu’une partie de l’effectif. Mais non ! On préfère s’obstiner à imposer coûte que coûte des modalités absurdes, arbitraires et contre-productives parce qu’on a décidé que c’était bon ! Il n’est pas jusqu’au dédoublement des classes de CP, seule mesure dont finalement vous pouvez vous satisfaire, qui ne se heurte au principe de réalité dont on s’est un peu vite affranchi en oubliant que, pour dédoubler ces classes, il fallait d’abord bâtir des salles supplémentaires au lieu de gaspiller l’argent des contribuables en tablettes et autres gadgets numériques, ces instruments de la désinstruction que vous laissez complaisamment proliférer dans les écoles avec le concours d’élus totalement irresponsables.

Le point commun de toutes ces difficultés et de toutes ces critiques, Monsieur le ministre, c’est que nous constatons sur le terrain une mise en œuvre des réformes et des pratiques d’encadrement qui sont fort éloignées et même contraires à vos intentions et à vos proclamations. De telle sorte que, pendant que vous croyez ou faites croire que vous améliorez la situation, nous voyons qu’elle se détériore et que le déni du réel reste, par-delà le slogan de l’école de la confiance, la véritable ligne directrice de la rue de Grenelle.

Puisque les alertes et les avertissements sont sans effet auprès du gouvernement auquel vous appartenez, il ne nous reste plus qu’à interpeller l’opinion publique et lui mettre sous les yeux la réalité que le ministère de l’éducation nationale ne veut pas regarder. Action & Démocratie-CFE-CGC en a les moyens et prendra ses responsabilités pour éviter, si c’est encore possible, le naufrage de l’école et entamer sa reconstruction.

Conseil supérieur de l’éducation 19 septembre 2019 – Déclaration Action & Démocratie – CFE-CGC

 

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