Conseil supérieur de l'éducation

17 novembre 2020

Déclaration préalable A&D

Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs, chers collègues,

En ce 17 novembre 2020 se tient la première séance du Conseil supérieur de l’éducation depuis que Samuel Paty, professeur de la République, a été sauvagement égorgé puis décapité devant son collège après avoir été harcelé par des parents déchaînés et identifié par des élèves de l’établissement auprès de son assassin, tout cela parce que son enseignement avait « froissé leur sensibilité » !

Oui, mesdames et messieurs, harcelé par des parents d’élèves.

Désigné à son meurtrier par des élèves de l’établissement eux-mêmes.

Mais également désapprouvé par les uns et abandonné par les autres parmi ses propres collègues.

Et, pour compléter si sordide tableau, tenu pour fautif par sa propre hiérarchie qui, pour calmer l’hystérie collective, ne trouva rien de mieux que le convaincre de maladresse et le contraindre à s’en excuser en classe quelques heures avant qu’on ne lui tranche la gorge !

Tel fut le long calvaire de Samuel Paty. Calvaire dont le dernier acte, aussi atroce, aussi barbare, aussi inouï fut-il, ne saurait faire passer aux oubliettes tous ceux qui l’ont précédés, pas davantage que l’arbre de l’islamisme ne saurait dissimuler l’étendue de la forêt de la désinstruction et de l’état déplorable dans lequel se trouve aujourd’hui l’institution scolaire à tout point de vue.

Non mesdames et messieurs, la main qui tenait le couteau n’est pas la seule coupable de cette abomination ! Cette main était dirigée par d’autres, à commencer par ceux qui s’étaient permis de réclamer la révocation du professeur et que l’Éducation nationale –  oui Monsieur le ministre, l’Éducation nationale elle-même ! – ne cesse d’encourager à se conduire ainsi, tant par ses règlements de plus en plus confus que par ses pratiques de plus en plus complaisantes ! La main qui a décapité notre collègue n’aura été que la cause auxiliaire, adventice et spectaculairement efficiente d’un processus qu’il nous faut tous ici, sur ces bancs ou derrière nos écrans, avoir enfin le courage de regarder en face. C’est la moindre des choses que nous devons à Samuel Paty, une fois passé le temps du recueillement et de l’hommage, que d’inaugurer celui de la réflexion et surtout celui de l’action.

Souvenez-vous, mesdames et messieurs !

Souvenez-vous qu’au moment même où nous examinions ici l’article 1er de la loi « pour une école de la confiance », nous étions stupéfaits d’apprendre qu’un professeur avait été mis en joue par un élève qui pointait une arme sur sa tempe, instrument factice d’une liquidation bien réelle de son autorité ;  que cette scène avait été applaudie et filmée par d’autres élèves ; et que ces images avaient fait le tour des réseaux, déclenchant enfin la libération de la parole du personnel enseignant jusqu’à présent résigné et soumis à l’injonction lâche et paresseuse de ne pas faire de vagues.

Souvenez-vous de notre collègue Jean Willot, qui ne trouva lui non plus aucun soutien auprès de sa hiérarchie et qui en vint à se pendre après la plainte déposée contre lui par un parent d’élève aveuglé par la passion et sûr de son bon droit, comme cela arriva également à Jean-Pascal Vernet ainsi qu’à bien d’autres dont on ne parle plus guère.

Comment en est-on arrivé là ?

Chaque semaine, notre syndicat est sollicité pour accompagner des professeurs convoqués par leur hiérarchie suite à des plaintes et récriminations exprimées par quelques parents d’élève dans des courriers ou des courriels dont on ose leur faire état au cours de ces entretiens de « recadrage » sans toutefois avoir la décence de leur en transmettre la teneur ! Tous les jours, des professeurs témoignent qu’à la moindre difficulté avec tel élève ou tel parent, leur hiérarchie de proximité, au lieu de les protéger d’emblée et sans discuter, se retourne d’abord contre eux afin d’instruire leur procès en incompétence sur la base d’accusations fragiles et néanmoins prises pour parole d’évangile. Chaque jour, Mesdames et Messieurs, et en ce moment même, il se trouve en France des parents et parfois des élèves, certes en petit nombre les uns comme les autres, qui se croient tout permis à l’égard des personnels, au point que certains n’hésitent pas à réclamer leur tête !

Il aura fallu que cette folle réclamation, formulée la plupart du temps au sens figurée, finisse par être prise au pied de la lettre par un illuminé issu de l’arrière-monde pour que certains commencent enfin à soulever le voile d’Isis sur la gravité de la situation. Ce fut le cas du président de l’Assemblée nationale qui, quelques heures après la décapitation de Samuel Paty, eu le courage et la lucidité d’interroger l’importance excessive que les parents avaient prise dans l’école, paroles d’autant plus salutaires de sa part en ces heures terribles que l’on attendait en vain, et que l’on attend toujours, de la part d’un ministre de l’éducation, une semblable réflexion et un discours qui fasse date.

Il est temps que l’institution scolaire à laquelle nous sommes tous ici attachés soit remise à l’endroit. Il est temps de mettre un coup d’arrêt définitif à cette évolution délétère.

Il est temps que, par la loi qui institue l’école, soit posé une fois pour toutes et porté à la connaissance de tous le principe républicain de l’autorité du professeur et du respect qui est dû à sa fonction, car il s’agit là du fondement de l’acte éducatif.

Action & Démocratie / CFE-CGC demande non seulement que ce principe soit inscrit dans le marbre de la loi, mais qu’il y soit enfin énoncé avec la clarté qui lui fait présentement défaut. La réécriture de l’article 1er de la « loi pour une école de la confiance » est un premier pas indispensable puisque, dans son actuelle rédaction, il contribue à entretenir une confusion d’autant plus inacceptable que, par nature, il revient au contraire à la loi de donner à chacun sa place au sein de l’institution. Nous ne pouvons accepter que le premier article de la loi « pour une école de la confiance » proportionne l’autorité du professeur à son « engagement » et à son « exemplarité », et fasse dépendre le respect qui est lui dû d’un vague « lien de confiance » qui l’unirait, lui ainsi que les élèves et leur famille, au « service public de l’éducation », « lien de confiance » qui n’a en outre aucune détermination et dont l’unique occurrence dans l’ensemble du Code de l’éducation ne suffit pas davantage à lui conférer une définition légale.

Nous proposons donc au Conseil supérieur de l’éducation d’adopter, sous la dénomination d’Amendement Samuel Paty, le vœu ci-après consistant à modifier l’article 1er de la « loi pour une école de la confiance » afin qu’il dise enfin clairement ce qu’il est censé dire : parce que les personnels de l’éducation sont investis d’une mission de service public par l’Etat, les élèves ainsi que leur famille ont le devoir de respecter leur autorité, en classe comme dans l’établissement. Le lien de confiance qui unit entre eux les membres de la communauté éducative repose sur un tel respect et en découle nécessairement. Nous souhaitons qu’une fois adopté par cette assemblée consultative, le Gouvernement s’empare à son tour de l’Amendement Samuel Paty et le porte sous ce nom dans le cadre de l’examen du projet de loi pour renforcer les principes républicains où il a naturellement toute sa place.

Alors, l’hommage de la Nation à Samuel Paty et aux Hussards noirs sera davantage qu’une simple cérémonie, aussi émouvante fut-elle.

Alors, le premier article de la loi pour une école de la confiance sera digne d’être affiché dans tous les établissements d’enseignement.

Alors, on pourra se dispenser de circulaires de plusieurs pages destinées à prendre la poussière en attendant les suivantes.

Alors, il sera permis d’espérer en une renaissance de l’éducation nationale.