Démission, piège à c… !
Déclaration Action & Démocratie
Conseil supérieur de l’éducation – 23 janvier 2020


M. le Ministre, M. le Directeur des ressources humaines, Mme la secrétaire générale,

A la veille d’une nouvelle journée de mobilisation sociale, mobilisation que nous espérons la plus massive, il nous paraît important de rappeler ici que pour une très large partie des professeurs engagés, cette funeste réforme des retraites aura surtout été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si le montant de nos pensions dans 20, 30 ou 40 ans nous inquiète à juste titre, c’est peu en comparaison des préoccupations du quotidien…Preuve en est cette phrase souvent entendue dans les salles des professeurs ces derniers temps : « Et en plus, on va nous baisser notre retraite ! », comme une cerise (empoisonnée) sur le gâteau.

Et c’est ainsi que selon les propres chiffres du Ministère, le nombre de démissions est en hausse comme jamais. Rien que pour les PE, ce nombre a augmenté de 270% entre 2011 et 2018. Le taux de démission des enseignants stagiaires a augmenté de 209% entre 2012 et 2018. En fait, les recrutements s’effondrent alors que certaines disciplines sont déjà très déficitaires et que le nombre d’élèves, lui, ne baisse pas. A travers tout le pays, les plaintes de parents contre le non‐remplacement de professeurs sont quotidiennes. Les nouveaux enseignants contractuels formés à la va‐vite et payés au lance‐pierre suffiront‐ils à colmater la brèche ?

Les organisations syndicales s’accordent en général pour reconnaître que la faible rémunération explique beaucoup de choses. Sur ce point, les premiers engagements du ministère pour 2021 se chiffrant à 500 millions d’€ et le nombre d’enseignants d’environ 900.000, nous avons fait tout de suite le calcul (déformation professionnelle). On hésite donc entre rire et pleurer, d’autant plus que cet élan de générosité doit s’accompagner d’une « redéfinition » de notre métier, annoncée en guise de cadeau de Noël dernier. Nous sommes particulièrement curieux de savoir quelles missions supplémentaires vont nous être demandées pour 45€ par mois.

Mais revenons aux démissions, car dans l’écrasante majorité des cas, la rémunération ‐si problématique soit‐elle‐ est loin d’en être la cause principale : un professeur qui démissionne sait parfaitement que d’un point de vue strictement financier sa reconversion sera généralement douloureuse. Non. Le cœur du problème, ce sont les conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, le sentiment que notre métier évolue dans le mauvais sens et contre notre avis ; et ce n’est pas faute d’avoir alerté le Ministère depuis tant d’années. Peut‐être avez‐vous cru que par nature l’enseignant moyen se plaint beaucoup mais ne renonce jamais. Eh bien malheureusement beaucoup d’entre nous sont en train de renoncer. Et en terme de renoncement, ces démissions ‐qui ont l’avantage d’être chiffrées‐ ne sont que la partie visible de l’iceberg et, somme toute, ce que l’on cache sous le tapis ‐ suicides, burn‐out et autres dépressions ‐ est beaucoup plus inquiétant. Si l’on pouvait chiffrer le nombre de collègues découragés, dépasserait‐on les 0,1% ?

Nombre de vos interventions récentes, M. le Ministre, ont révélé le fossé d’incompréhension, qui tragiquement s’élargit chaque jour entre vous et nous, mais n’en considérons qu’une seule : lorsque symboliquement la semaine dernière des collègues jetèrent d’anciens manuels au‐dessus des grilles de leur rectorat, vous avez prétendu y voir un geste condamnable et déshonorant, une insulte envers le savoir dont nous incarnons la transmission. Si le bien‐fondé de cette action pouvait se discuter, comment auriez‐vous pu – vous – ne pas en comprendre les sens profonds, notamment une critique de la réformite aigue, un des cancers de l’Education nationale, qui est cause que nos manuels à peine imprimés sont déjà obsolètes (mais sans doute les éditeurs eux ne s’en plaignent pas)? Des programmes modifiés avant même d’être évalués, des pratiques mises sens dessus dessous, sans se soucier des conséquences. On réforme parce que réformer c’est moderne et tant pis pour les ringards, qui deviendront des « radicalisés ». Avez‐vous vu ces enseignants jeter des œuvres de Victor Hugo ou de Condorcet?

Heureusement voici venir la rupture conventionnelle. A défaut de soulager les difficultés des personnels, on pourra toujours inciter les plus récalcitrants à partir, les râleurs, ceux qui pensent trop fort, ceux qui ne goûtent ni les réunions stériles ni les projets m’as‐tu‐vu ni les palmes académiques. Dans le climat d’exaspération actuel, où les actes d’insubordination et autres ruptures du devoir de réserve sont en hausse, il sera désormais possible à l’administration de convoquer un enseignant pour lui proposer une rupture conventionnelle. Si bien sûr ce dernier peut répondre non, cette démarche devrait suffire à lui donner le sentiment qu’il est désormais au ban de sa corporation.

Terminons sur une note positive. Ce gâchis humain nous attriste d’autant plus qu’au risque de nous répéter (déformation professionnelle encore), il existe des moyens simples‐pour la plupart très peu onéreux‐ pour favoriser le retour à la confiance : geler toute réforme décidée sans le consentement des personnels, diminuer la charge administrative des établissements, renforcer l’éducation spécialisée, refuser toute omerta sur la violence scolaire, combattre le harcèlement professionnel, protéger les enseignants injustement mis en cause, respecter notre liberté pédagogique, bref nous permettre SIMPLEMENT d’instruire nos élèves en paix.

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