Dossier spécial harcèlement scolaire

Actus

[07/11/2023]

Des questionnaires contre le harcèlement ? Pourquoi pas.

Du 9 au 15 novembre, des grilles d’autoévaluation seront distribuées aux écoliers, collégiens et lycéens dans le cadre du plan de lutte de Gabriel Attal contre le harcèlement scolaire. Ces questionnaires doivent permettre à l’Éducation nationale de mieux mesurer le phénomène du harcèlement scolaire.

Les questionnaires seront anonymes et non-obligatoires : « As-tu peur d’aller en récréation ? », « T’es-tu déjà bagarré(e) ? », « Est-ce qu’on t’a déjà donné un surnom méchant ? »  À chacune des questions, l’élève notera son « ressenti » sur une échelle de 1 (« jamais harcelé ») à 4 (« souvent harcelé »).

Après relevé des questionnaires, les équipes des établissements devront en tirer un bilan afin de détecter d’éventuelles situations de harcèlement et d’y répondre de manière ciblée et adaptée. De plus, à partir d’un certain niveau de gravité constaté (violence à caractère sexuel, physique ou psychique, cyber-violence…), les établissements seront tenus de faire remonter l’information et d’effectuer un signalement.

Quant aux enfants et adolescents, ils se verront rappeler à l’issue du questionnaire, qu’ils peuvent se confier à un adulte de l’établissement s’ils le souhaitent.

À l’échelle du pays, un échantillon représentatif des réponses sera exploité par le ministère pour objectiver statistiquement un phénomène jusqu’ici difficile à évaluer.

Ce qu’on en pense ?

Devant le Conseil supérieur de l’éducation le 19 octobre dernier, Action & Démocratie a soutenu cette initiative qui va dans le bon sens et s’inscrit dans un ensemble de mesures positives, non sans émettre quelques réserves :

  • la lutte contre le harcèlement repose avant tout sur la vigilance de personnels formés, disponibles et en nombre suffisant. On en est loin ! Un plan de lutte contre le harcèlement ne peut se dispenser d’un effort budgétaire à la hauteur de l’importance accordée, dans la communication, à cette question ;
  • dans le premier degré, les difficultés sont déjà considérables et le resteront pour recueillir la parole d’éventuelles victimes. Le personnel non-enseignant qualifié est extrêmement rare dans les écoles primaires et les professeurs des écoles ne disposent généralement ni de temps ni d’espace pour réaliser ce type d’entretien,
  • ce questionnaire devrait entraîner une libération massive de la parole avec quelques dérives inévitables (exagérations, calomnies…), certes c’est un mal pour un bien ! Mais les résultats devront être observés avec prudence et discernement,

Bref, si cette initiative a des défauts, elle marque tout de même un changement de posture salutaire au ministère. Ce questionnaire accompagne d’autres mesures : sanctions disciplinaires et pénales renforcées, cours d’empathie, brigades d’intervention rapide, possibilité donnée aux directeurs d’école d’exclure un élève harceleur, possibilité de bannir temporairement un harceleur des réseaux sociaux ou de confisquer un téléphone portable etc.

Le sujet du harcèlement, et avec lui celui de la violence scolaire, seraient-ils enfin pris à bras-le-corps après des décennies de déni, de pas-de-vague, de refus d’agir ? Nous voulons y croire, et Action & Démocratie sera très attentif à la façon dont ces mesures seront mises en œuvre afin d’en évaluer la pertinence.

Pour en finir avec le harcèlement scolaire

Nous partageons la douleur de la famille de Lindsay, cette jeune collégienne de 13 ans qui s’est donné la mort le 12 mai dernier après avoir été harcelée pendant des mois. Nous partageons aussi sa colère contre « l’inertie des pouvoirs publics qui semblent se foutre complètement du fait qu’une gamine de 13 ans se soit pendue et que des parents qui alertaient pendant des mois se soient retrouvés complètement abandonnés », comme le résume crument leur avocat.

Contraint à s’exprimer sur le sujet, le ministre de l’éducation Pap Ndiaye a appelé les chefs d’établissement à une « réaction systémique et complète ». Mais concrètement, de quel arsenal répressif dispose un chef d’établissement envers les harceleurs ? Une heure de colle ? Une remontrance bien sentie en fronçant les sourcils ? Une exclusion temporaire ? Croit-on que cela puisse impressionner des gamins en roue libre totale dont les parents ont délaissé leurs obligations éducatives depuis des années ? L’extension du dispositif de prévention PHARE contre le harcèlement ne saurait pallier ni l’absence de moyens en surveillants, psychologues, infirmiers supplémentaires notamment, ni l’absence incompréhensible de sanctions contre les bourreaux.

A la suite d’un énième drame en 2021, le ministre de l’époque déclarait, au sujet des harceleurs, qu’ « on ne peut les bannir ». Certes, mais on peut concevoir des structures adaptées pour qu’ils poursuivent leur scolarité et que leurs victimes soient enfin mises à l’abri ! Demander aux principaux des 7000 collèges d’organiser « une heure de sensibilisation sur le harcèlement et l’usage des réseaux sociaux », c’est en revanche se moquer. Et nous n’avons pas envie de rire.

Non monsieur le ministre, le suicide de Lindsay n’est pas « un échec collectif » mais la conséquence tragique et inéluctable des renoncements et lâchetés de votre administration. Action & Démocratie évoquait encore le 17 mai dernier devant le Conseil supérieur de l’éducation la situation hélas tristement banale d’une enseignante menacée de mort par un élève qui terrorise également les autres élèves. Quelle a été la réponse de l’institution ? Déplacer l’enseignante ! Et bien entendu aucune sanction pour l’élève !

Action & Démocratie CFE-CGC réclame de vrais actes afin de lutter enfin efficacement contre le fléau de la violence scolaire. Partout, les victimes de harcèlement doivent être prises en charge et aidées par des personnels en nombre suffisant. Partout les élèves les plus violents, perturbateurs et harceleurs doivent être retirés des établissements ordinaires et pris en charge dans des structures adaptées, par des éducateurs, psychologues et enseignants spécialisés recrutés en nombre et dûment formés.

Des enfants souffrent, des enfants meurent ! Assez de bla-bla, des actes !

Nos positions et propositions

La violence est dans l’école

L’interdit de la violence à l’école, et son principal corollaire, l’interdiction de faire consciemment et volontairement souffrir autrui, semble être tombé.

Les déclarations d’intention, les condamnations morales n’endiguent plus un phénomène avéré, et en expansion : professeurs agressés, assassinés, élèves martyrisés durablement de la maternelle au lycée, jusqu’au suicide, et un monde adulte incapable de réagir à temps, paralysé par tout un ensemble de règlements et d’idéologies dévoyées qui aboutit à la déresponsabilisation des auteurs de ces violences, régulièrement perçus comme étant eux-mêmes victimes d’autres facteurs antérieurs ou concomitants, mais aussi, de ceux qui ont la charge de garantir la sécurité des élèves dans les établissements scolaires, et surtout enfin, de leurs responsables légaux.

C’est la notion même de responsabilité individuelle qui est dissoute dans un bain d’explications alambiquées et fumeuses : il faut comprendre celui qui cause le malheur d’autrui et, dans cette logique, les victimes tombent dans les oubliettes, à moins que, pire encore, elles soient accusées d’être la cause de leur agression.

Ce syndrome de la « mini-jupe », qui expliquait, cautionnait et exonérait in fine la main aux fesses, n’est plus de mise dans le registre des rapports entre les hommes et les femmes. Le phénomène « me too » aura eu ici un rôle essentiel et efficace. Quid du harcèlement dans le système scolaire français ?

On doit s’interroger sur la logique qui mène à la recherche des responsabilités des victimes elles-mêmes dans le harcèlement qu’elles subissent à l’école. Dans l’école, pour 1 cas réglé, nous en voyons 100 qui dégénèrent : qu’as-tu donc fait pour mériter ça ? Voilà la question insupportable qu’on adresse trop souvent à ceux qui sont les victimes. Et on ose s’étonner de leur tendance à se taire ?

Si l’on veut bien s’intéresser aux cas vite et bien réglés – et fort heureusement il en existe – on remarquera deux facteurs essentiels :

  • Tout d’abord, on croit la victime ; on ne la soupçonne de rien : ni de sensiblerie, ni de provocation, ni d’exagération, ni de manipulation.
  • Ensuite, une ou des sanctions tombent sans délai :
    • Ou dans le registre d’une condamnation morale sans équivoque, qui dénonce à la fois la lâcheté des persécuteurs et la passivité des témoins qui étaient restés silencieux, et qui met en place un devoir civique de dénonciation au nom de la notion légale de non-assistance à personne en danger.
    • Ou dans le registre d’une sanction disciplinaire, conséquence du passage en conseil de discipline des persécuteurs, et un rappel à la loi des responsables légaux de ceux-ci.
    • Ou les deux.

La loi du silence qui règne au sein des classes et des établissements où sévissent des harceleurs est la conséquence de la lâcheté des adultes, et doit être dénoncée et combattue.

La réalité est insupportable : ce sont les élèves victimes qui changent très majoritairement d’école, de collège ou de lycée, à l’inverse de ce qui devrait se produire. Le ministère de l’éducation signe là sa faillite et son incompétence en la matière : toutes deux bien mal dissimulées derrières des procédures technocratiques ineptes présentées par des acronymes pompeux : PHARE.

« Lutter contre le harcèlement » ne suffit pas : on doit l’interdire et le réprimer car il est humainement inacceptable. Une école qui est incapable de garantir la sécurité physique et psychologique des enfants qui la fréquentent trahit la République.

A&D demande un changement de paradigme sur cette question pour intégrer en particulier deux notions essentielles :

– Sur la base du constat que la nocivité des réseaux sociaux est avérée :  l’interdiction absolue de la détention et de l’usage de smartphone dans la totalité des établissements scolaires du primaire et du secondaire : nombre de vidéos de harcèlement diffusées sur les réseaux sociaux sont faites à partir de prises de vue effectuées au sein même des établissements scolaires.

– Sur la base du constat que dans l’état actuel des choses, ce sont les victimes de harcèlement qui ont à changer d’établissement dans une proportion effarante de cas : la possibilité d’exclusion définitive des élèves harceleurs des établissements scolaires au sein desquels ils ont sévi. À cette fin, il faut rompre l’état d’impuissance structurelle dans lequel ils sont maintenus, et de toute urgence redonner aux chefs d’établissements le pouvoir de prononcer de telles sanctions. Il faut en particulier les exonérer de la tâche de trouver un nouvel établissement d’accueil. Cette tâche doit revenir aux services rectoraux : ils doivent eux aussi assumer une part de responsabilité et cesser de se défausser sur les PERDIRS.

Un problème aussi grave, en plein développement grâce aux possibilités de communication numérique sur les réseaux sociaux, désormais aussi massivement répandu, aux conséquences terribles comme nous le rappelle cruellement l’actualité récente, ne sera pas résolu sans délai, ni facilement. Mais au moins faut-il cesser derechef de se payer de mots et de se cacher derrière des dispositifs à l’inefficacité très malheureusement démontrée par les faits.

Des enfants se suicident en France parce qu’ils sont martyrisés à l’école, de façon connue, avec une mise en publicité odieuse et répugnante sur les réseaux sociaux : les tweets de sympathie avec les victimes sont gravement insuffisants.

Déclaration au conseil supérieur de l’éducation – Séance du 24 mars 2023

Monsieur le ministre,

Il y a de cela quelques mois, une professeure des écoles du XVe arrondissement de Paris a été menacée de mort par un élève de CM2. Ces menaces faisaient suite à une longue liste d’incidents violents que cette collègue pourtant chevronnée a eus à subir de la part de ce même élève.

Choquée par cette agression, notre collègue s’est vu proposer un arrêt maladie par son médecin, dans l’attente d’une réponse appropriée de l’institution. Ses collègues et de nombreux parents d’élèves lui ont témoigné leur soutien et leur solidarité. C’est avec confiance qu’elle s’est rendue quelques jours plus tard en entretien auprès de son inspecteur de circonscription, accompagnée d’une représentante syndicale. Hélas, non seulement notre collègue n’a eu droit à aucune sollicitude ou soutien que ce soit, mais elle s’est vue sèchement « proposer » quelques fiches pédagogiques, une très vague promesse de formation et, pire que tout, un déplacement dans une autre école ! Aucune autre solution ne saurait être envisagée au motif que « le bien » et « les droits » de cet enfant devraient l’emporter sur toute autre considération.

Très loin d’être anecdotique, cette affaire n’est que l’énième illustration d’un dysfonctionnement profond et systémique – que dans les salles des professeurs on nomme « Pas-de-vague ». N’en déplaise à votre prédécesseur qui déclarait en octobre 2020, à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, que « la logique du pas de vague n’est plus (…). La logique est celle du signalement et de la défense sans faille des principes de la République », l’administration n’a jamais cherché sérieusement à combattre le phénomène.

Au-delà de la double-peine que subit cette enseignante irréprochable, il y a lieu de s’alarmer du message catastrophique que l’éducation nationale adresse à cet élève, à l’ensemble des élèves ainsi qu’aux familles et tout particulièrement à sa propre famille dont il a le soutien inconditionnel, qui couvre tous ses débordements et qui a déjà, il y a quelques années, obtenu le déplacement d’une autre enseignante pour les mêmes raisons.

Personne ne nie que les élèves aient des droits mais quid de leurs devoirs ? Quid de la responsabilité éducative de ses parents qui n’ont eu de cesse de dénigrer les enseignants et l’AESH de l’école, de considérer toute remontrance comme du harcèlement envers leur enfant ? Quid du droit des personnels de l’école à exercer leurs fonctions dans la sérénité et en toute sécurité ?

Alertée par nos soins, la directrice académique de Paris n’a pas cru bon intervenir. Tant pis pour notre collègue, tant pis pour son équipe, tant pis pour les autres enfants de l’école. Nos services ont pris leurs responsabilités en alertant l’administration à qui il appartient d’assumer les siennes, à commencer par celle d’apporter une réponse qui accuserait réception. 

Ce récit n’est qu’un des échantillons qui viennent alimenter les dernières enquêtes PISA sur le climat scolaire en France qui est l’un des plus dégradés au monde. Pourtant aucun ministre depuis 40 ans n’en a jamais fait une priorité. Tout au plus, quand survient un drame suffisamment sordide pour être médiatisé, on se paie de beaux mots contre le harcèlement scolaire et le vivre-ensemble ; on promet une commission, une plateforme numérique, un numéro vert, le tout pour mieux continuer à mettre consciencieusement la poussière sous le tapis.

En revanche, le gouvernement juge urgent d’imposer, en dépit du bon sens et contre l’avis de la quasi-totalité des enseignants, un statut hiérarchique des directeurs d’école primaire, ce qui n’aura aucun effet bénéfique sur le climat scolaire, bien au contraire quand on sait que, lorsque la hiérarchie a renoncé à faire son travail, l’ultime ressource face à la violence en milieu scolaire demeure la solidarité, la collégialité, la bonne entente au sein de l’équipe.

En revanche monsieur le ministre, on peut mesurer le « soutien » que vous accordez à vos personnels lorsque vous jugez opportun d’attaquer des professeurs de philosophie en faisant un usage dévoyé du devoir de réserve ; lorsque vous osez suggérer à des professeurs de lycée professionnel dont vous supprimez les filières de poursuivre leur carrière au collège ou à l’école primaire. 

Monsieur le ministre, face à la violence scolaire comme face à tout péril, renoncer à agir c’est préparer les échecs et les victimes de demain.  Si l’administration devait persister dans cette indifférence en abandonnant ses personnels et les élèves au lieu de remédier aux causes de la violence scolaire, qui pourra encore s’étonner que les vocations se fassent de plus en plus rares dans l’enseignement, que les démissions se multiplient, que le niveau scolaire s’effondre ?  Même si ce n’est pas la seule raison de ce délitement, elle demeure primordiale en conditionnant une part importante de la mise en œuvre de la réussite.