Conseil supérieur de l’éducation

12 septembre 2024

Déclaration d'Action & Démocratie

Madame la Ministre,
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du CSE,

Un mot revient encore une fois sur toutes les lèvres dans nos écoles en cette rentrée 2024, c’est le mot « évaluation ». Et il charrie avec lui son lot d’inquiétude, de mécontentement, de lassitude et de résignation aussi. Cette fascination pour le thermomètre pendant qu’on tergiverse indéfiniment sur les mesures à prendre pour soigner le malade ne laisse pas de surprendre.

Oui, la généralisation des évaluations nationales à tous les niveaux du Premier degré que vous avez décidée de manière unilatérale, comme toujours, génère un fort mécontentement chez les premiers concernés, les professeurs des écoles sur le terrain, et déclenche des appels intempestifs au boycott de la part de certaines organisations syndicales ici présentes.

Vous nous assurez qu’une évaluation commune par niveau de classe en début d’année est un atout car cela permettrait une meilleure prise en charge des élèves en difficulté. En face, les détracteurs du dispositif vous opposent leur liberté pédagogique et leur profonde connaissance des élèves. Ils dénoncent le caractère obligatoire et uniforme des évaluations ainsi que les dates et modalités de passation qui leur sont imposées. Ils redoutent en outre, et non sans raison, que ce dispositif puisse un jour prochain mener à un classement des écoles, voire à une rémunération au mérite des enseignants.

Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain comme le font ceux qui réclament la suppression pure et simple de ces évaluations ? Non. Pour la CFE-CGC, c’est d’abord la méthode qui n’est pas bonne. Des évaluations nationales ne sont pas inutiles et ne constituent pas une entrave à la liberté pédagogique si elles sont bien conçues et bien placées dans l’année. Sans nous attarder ici sur quelques exercices mal choisis ou certaines consignes de correction inadaptées qui font que les compétences censées être évaluées ne le sont pas en réalité (par exemple lorsqu’un élève qui ne maîtrise pas les décimaux est empêché de réaliser correctement une opération alors que l’exercice est censé vérifier qu’il maitrise cette compétence précise), le plus problématique à nos yeux et de loin, est un calendrier totalement inadapté. En effet, le seul intérêt d’une évaluation placée en début d’année consiste, tout le monde en convient, à repérer les difficultés pour mieux s’adapter aux élèves de la classe ; il s’agit donc de poser un diagnostic sur telle classe et tels élèves qu’il n’y a aucun sens à vouloir comparer avec telle autre classe et tels autres élèves. Mais voilà, des évaluations diagnostiques ne peuvent être nationales, et des évaluations nationales ne peuvent être que sommatives : soit on diagnostique, et disons-le franchement, on n’en fait pas tout un programme ni tout un « plan com », soit on évalue pour statuer sur un niveau à un moment donné et on effectue alors logiquement cette évaluation en fin d’année. Les enseignants pourraient d’ailleurs s’appuyer sur de telles évaluations pour renseigner les livrets en juin. Autre avantage : les évaluations seraient calées sur les attendus de fin d’année des programmes et ne seraient pas effectuées après deux mois de vacances au cours desquels les élèves ont évidemment perdu l’habitude de lire et de travailler, ce qui est bien normal puisqu’ils étaient en vacances !

Mais il est une évaluation qui irrite bien davantage les professeurs des écoles, c’est l’évaluation d’école elle-même. Ce dispositif, initié en 2019 avec la mal nommée loi « pour une école de la confiance » puis mis en œuvre effectivement en 2022, produit depuis ses ravages dans les écoles primaires, et par « ravages » nous entendons : surcharge de travail des directeurs, fatigue des personnels, infantilisation ou encore perte de confiance dans l’institution…

Alors que le nombre de démission bat chaque année des records sont battus, vous ne trouverez pas un seul professeur des écoles pour prendre la défense de cette usine à gaz, et pour cause : les professeurs, qui sont assurément les meilleurs experts de leur métier, jugent les évaluations d’école non seulement inutiles et chronophages mais surtout néfastes. Nous qui exerçons le métier sur le terrain quotidiennement et malgré les conditions que vous nous imposez n’avons pas de temps à perdre à définir et redéfinir indéfiniment des besoins que nous connaissons déjà, et nous estimons qu’il ne revient ni aux usagers, ni aux collectivités ou aux partenaires de l’école d’évaluer le travail des enseignants.

Les enseignants sont les personnes les plus à même de poser un diagnostic utile sur les dysfonctionnements de l’institution scolaire, et il serait enfin temps de les écouter. Le ministère veut-il réellement savoir ce qui ne fonctionne plus et comment y remédier ? Nous avons les réponses et vous en ferons part gracieusement si vous voulez les connaître moyennant une belle économie de temps et d’argent public.

Mais apporter des solutions efficaces à des problèmes aussi aigus de ceux de l’Éducation nationale nécessite d’activer les vrais leviers. Avec toute la meilleure volonté du monde et en admettant qu’un bon diagnostic soit posé, les acteurs locaux d’une école ne pourront eux-mêmes diminuer le nombre d’élèves par classe, remédier aux carences éducatives graves d’un nombre croissant d’enfants ou encore peser sur le fonctionnement délirant de la très mal nommée école inclusive. Tout au plus se sentiront-ils pousser des ailes à la rédaction d’un beau « projet » rédigé en novlangue ainsi qu’une jolie charte à patafixer sous le préau !

Par ailleurs, il est un point qui n’a jamais été tranché clairement et sur lequel les collègues nous interrogent très régulièrement : ces évaluations sont-elles obligatoires ? Certes un cadre législatif existe mais – sauf erreur – rien dans le statut particulier des professeurs des écoles ne prévoit que les personnels soient soumis à une évaluation d’école. Dès lors, tout agent ou toute équipe enseignante qui souhaiteraient – et on les comprend – s’y soustraire, s’exposent-ils à des sanctions ? Et si oui, sur quel motif valable ? Nous savons tous ici que des équipes se sont battues avec succès ces dernières années pour être dispensées de cette évaluation.

La CFE-CGC appelle donc le ministère à apporter au plus vite et une fois pour toutes des clarifications sur ce point à l’ensemble des personnels, c’est-à-dire à leur faire savoir que cette évaluation n’est pas obligatoire et que tout agent qui s’y soustrait n’encourt aucune sanction ni mesure de rétorsion.

Madame la ministre, il est de l’entière responsabilité de l’Etat de garantir à tous les élèves une instruction et une formation de qualité ainsi qu’à tous les enseignants des conditions de travail dignes impliquant le respect auquel ils ont droit en tant qu’agents de l’État et qu’ils sont aussi en droit d’exiger d’abord de l’État qui les emploie.

Notre école va mal. Elle n’a pas besoin d’être évaluée en permanence afin de se donner l’illusion d’agir pendant qu’on laisse la situation se dégrader. Notre école a besoin d’actions concrètes qui sont déjà réclamées depuis des lustres par les enseignants sur le terrain. Compte tenu de l’urgence, le « blabla » et la « réunionite » sont des luxes que nous ne pouvons plus nous permettre.