Audience au cabinet du ministre
12 décembre 2023
Pour le ministre : Valentine TCHOU-CONRAUX, conseillère sociale
Pour A&D : Walter CECCARONI et René CHICHE
Action & Démocratie a fait part au ministre de son positionnement et de ses revendications sur les grands sujets et se réjouit de l’écoute attentive ainsi que de l’intérêt manifesté par le cabinet pour certaines de ses propositions tant dans le domaine scolaire que dans le domaine social.
Nous commençons par rappeler quelques constats qui ont été à l’origine de la création d’Action & Démocratie (déclassement des personnels, alourdissement de la charge de travail, dégradation du climat scolaire, perte de crédibilité des organisations syndicales et impasse du « dialogue social » avec des organisations qui ne sont représentatives que sur le papier) et nous insistons sur notre positionnement spécifique : indépendant vis-à-vis de tout parti politique, Action & Démocratie est un syndicat tout corps affilié à l’une des cinq organisations interprofessionnelles reconnues par l’État (ce que ne sont ni l’UNSA ni la FSU notamment), pragmatique et soucieux d’être en phase avec le terrain sans se contenter de posture idéologique ni faire preuve de dogmatisme. Bien que non « représentatif » au sens de la loi, Action & Démocratie a une parole forte qui reflète fidèlement les aspirations de ceux du terrain et qui est de plus en plus écoutée. Notre syndicat s’engage résolument dans la défense sans concession ni faux-semblant des intérêts matériels et moraux de ses adhérents et de toute la profession, mais il met également un point d’honneur à être une force de proposition quand tant d’autres se bornent à contester sans solution alternative, et c’est ce que nous voulons démontrer lors de cette audience.
Nous sommes entendus quelques jours après des annonces ministérielles concernant le « choc des savoirs » dont nous approuvons les orientations et l’inspiration d’autant plus naturellement qu’elles reprennent en partie nos propositions et parfois même nos formulations. Nous verrons si les actes sont à la hauteur des attentes et nous avertissons le ministre sur ce point : sur le terrain, on se demande si toutes ces annonces seront suivies d’effets ou si elles ne relèvent que de la communication politique. Nous saluons quant à nous sans arrière-pensée les avancées qui s’esquissent mais formulons d’ores et déjà des réserves et des critiques envers plusieurs annonces, notamment celle concernant les groupes de niveau au collège dont la création ne correspond pas à la proposition de bon sens qui est la nôtre et qui a le mérite de respecter le cadre de la classe dont l’unité doit être préservée.
Mettre fin au déclassement et « respecter l’expertise des professeurs » (citation d’Action & Démocratie), oui : la priorité est de rendre aux métiers de l’enseignement leur dignité, leur attrait, leur sens, car c’est sur les professeurs que repose avant tout l’école, et c’est de leur revalorisation matérielle autant que symbolique que tout le reste suivra. C’est pourquoi, en dépit du cadre thématique restreint de la mission portant sur les savoirs, nous avions commencé notre contribution par des propositions qui portent et insistent sur ce point capital – contribution que nous enverrons de nouveau au cabinet puisqu’il semble que la mission ne l’ait pas fait bien qu’elle se soit inspirée en partie de notre texte de novembre 2023.
Nous soulignons le fait que les agents ont une image très dégradée de leur employeur et de leur hiérarchie, ceci étant acté et même mesuré dans une note de la DEPP quoiqu’il suffise d’échanger avec les collègues ou de consulter les réseaux sociaux pour s’en convaincre. Un ministre précédent avait cherché en vain à restaurer ce qu’il appelait « la confiance » au point de vouloir l’inscrire dans la loi où une telle notion n’a guère sa place. Nous exposons quant à nous la nécessité de rétablir le respect à l’égard de tous les personnels (voir ci-dessous notre amendement Samuel Paty toujours d’actualité) et de retrouver de la collégialité dans les rapports entre les personnels et l’encadrement. Il s’agit de mettre fin au management vertical qui traite les personnels comme de simples agents d’exécution au mépris de leurs titres, de leurs compétences et de leur expertise. Nous dénonçons pour les enseignants la disparition de la double tutelle, la perte d’autorité morale et de crédibilité de l’inspection ainsi que la suppression de la notation administrative annuelle dont on peut pourtant encore constater l’utilité, entre autre lors de la revue des états de carrière à l’occasion des conseils de discipline par exemple. De nombreux chefs d’établissements nous disent regretter les échanges que cette notation annuelle leur permettait d’avoir avec tous les personnels et nous insistons sur l’importance de ce moment d’échange entre le chef d’établissement et les professeurs dont il faut redire, en dépit de réformes qui tendent à les éloigner les uns des autres, que leurs intérêts sont au contraire solidaires tout comme l’intérêt véritable des personnels ne peut se concevoir comme distinct de celui des élèves et réciproquement. C’est surtout au niveau des pratiques qu’il faut agir, et pour faire changer les pratiques, il faut envoyer les bons signaux. Un chef d’établissement qui s’adresse aux personnels par un « Madame, Monsieur » ne signifie pas du tout la même chose à ceux à qui ils s’adressent que celui qui leur dit « Cher collègue ». Au quotidien, ce sont ces petites choses, si révélatrices, qui peuvent peser et créer un bon climat ou, au contraire, un climat délétère au sein de l’établissement.
Bien entendu, le respect des personnels commence par le traitement car c’est une indication sur la valeur que l’on donne non pas seulement à leur travail mais d’abord à leur fonction. Aligner le traitement des personnels de l’Éducation nationale sur celui des autres personnels de catégorie comparable de la FP est une évidente nécessité autant qu’une urgence. A&D est ouvert à toutes les pistes pour y parvenir et ne fait pas du dégel du point d’indice l’alpha et l’oméga de ses revendications salariales puisque nous savons bien qu’une telle mesure n’aura aucune incidence sur le déclassement spécifiquement subi par les personnels de l’éducation nationale. C’est pourquoi nous demandons pour ces derniers une augmentation du nombre de points d’indice, et ce dans des proportions qui respectent les écarts et la progression au long de la carrière. Il ne faut pas en effet se contenter de concentrer tous les efforts en matière de rémunération sur les seuls débuts de carrière, il est indispensable de les étendre aussi aux milieux et fins de carrière, qui sont sacrifiés depuis de longues années, ce qui produit finalement l’effet inverse de celui qui est recherché en terme d’attractivité. Il faut surtout avoir de vraies perspectives de carrière dans chaque corps et une vraie reconnaissance, sur la fiche de paye autant que dans la définition du service, de l’expérience acquise. Il faut également retrouver de la transparence en matière d’avancement mais aussi en matière de mobilité : nous demandons à cet effet la publication annuelle de la liste des postes pourvus au mouvement intra avec, pour chacun d’eux, le barème du candidat affecté sur le poste. C’est une information indispensable pour permettre aux agents concernés de pouvoir formuler des vœux en connaissance de cause.
Nous demandons en urgence l’intégration de l’indemnité de résidence au traitement et la création d’une véritable indemnité de logement (ce que l’indemnité de résidence n’est pas du tout) indexée sur les loyers entre autres. Une telle indemnité, dont le montant sera donc forcément variable d’une académie à l’autre et d’une zone géographique à l’autre au sein d’une même académie, permettra de redonner du pouvoir d’achat et contribuera à résoudre en partie la crise de recrutement dans certaines zones dans la mesure où elle y est directement liée à la cherté de la vie (exemple de la région parisienne et de quelques agglomérations où les salaires des personnels de l’EN ne permettent même pas de se loger).
L’amélioration des carrières passe par la valorisation de l’expertise et de l’expérience. Action & Démocratie propose une révolution dans ce domaine en faisant des établissements eux-mêmes des lieux de formation continue et de transmission d’expérience entre professeurs débutants et professeurs expérimentés. Nous insistons sur l’inutilité de la formation en INSPE qui est bien connue depuis l’instauration des IUFM, et soulignons le fait que le métier s’apprend en permanence, mais sur le terrain. Nous renvoyons le cabinet sur ce sujet à nos propositions concernant les concours et la période de stage. Nous insistons sur une autre revendication propre à A&D : la création d’un statut de sénior qui serait caractérisé par un allègement de service devant les élèves au profit de l’accompagnement des stagiaires et des professeurs débutants in situ, allègement dans des proportions qui restent à définir et surtout à articuler avec une retraite progressive digne de ce nom.
Nous demandons à ce sujet une révision des modalités de mise en œuvre de la retraite progressive étendue aux fonctionnaires, qui ne prend pas assez en compte des caractéristiques essentielles de la fonction publique en matière de pension ni la pénibilité de nos métiers (cf. notre courrier au précédent ministre et celui de la FP de mars 2023 qui sera renvoyé en janvier 2024 à ce ministre dans une version actualisée). Nous réclamons notamment la création d’un temps partiel spécifique (différent du TP de droit commun) adossé à une demande de retraite progressive, et bien entendu non soumis à autorisation mais de droit, sans lequel la retraite progressive est à la discrétion du recteur, ce qui n’est pas acceptable. Nous exposons au cabinet notre proposition de retraite vraiment progressive et sans perte sur la pension. Nous demandons enfin la prise en compte de l’usure professionnelle dans l’EN. Un premier signal pourrait être envoyé sous la forme de la suppression immédiate des HSA non refusables, et ce à partir de l’âge de 55 ans. Nous demandons enfin que l’usure professionnelle dans l’EN soit objectivée et mesurée par des indicateurs qui devront être annexés au bilan social du MEN et assortis d’un plan d’action pour la traiter. Cette demande rencontre manifestement l’intérêt de la conseillère sociale.
Nous évoquons pour finir cette première partie de l’audience notre exigence de supprimer le jour de carence, notamment pour les maladies de type infectieuses contractées sur le lieu de travail et devant être considérées, ou du moins traitées, comme des maladies professionnelles de courte durée. Il s’agit au fond d’étendre la jurisprudence covid (pas d’application de jour de carence en ce cas) à toutes les causes d’arrêt de travail analogues car, dans la plupart des cas, les maladies infectieuses contractées par les personnels le sont effectivement en raison de leurs fonctions qui les y exposent particulièrement. De ce point de vue, l’application d’un jour de carence pour des arrêts de travail qui font suite à une infection contractée sur le lieu de travail ne se justifie pas et fait office de double peine.
Après ces mesures sur le champ social, nous abordons des questions relevant plus spécifiquement du champ scolaire. Le ministre se flatte de rendre le dernier mot aux enseignants en matière de redoublement et nous nous en réjouissons mais nous rappelons que le redoublement n’est pas une panacée et nous renvoyons à nos 60 propositions, notamment à la création d’une année supplémentaire dans le premier degré couplée à un examen d’entrée au collège et à des classes à effectifs réduits au collège, qui sont autant de solutions alternatives. Nous répétons que la création de groupes de niveau au collège en français et en mathématiques est une mauvaise idée qui porte atteinte à l’unité du groupe-classe comme on peut le voir déjà au lycée, pour ne rien dire des difficultés pour la mettre en œuvre.
Nous insistons sur la nécessité de définir des maxima au niveau des effectifs, le vide juridique en la matière étant un pur scandale. Nous réclamons, au titre du rétablissement d’un climat serein et propice aux études, la suppression de la prise en compte du contrôle continu au brevet et au baccalauréat qui a des conséquences très délétères (obsession de la note, pression sur les enseignants, mensonge sur les notes) et qui, en confondant l’évaluation formative (devenue pour ainsi dire impossible) et l’évaluation certificative (devenue une fin en soi et parfois sans objet), rend de fait très problématique l’exercice par l’enseignant de sa liberté pédagogique.
Un climat scolaire apaisé, serein, avec des professeurs respectés et hautement qualifiés, cela suffit largement à résoudre une grande partie des problèmes. Certains problèmes ont cependant leur source en dehors de l’institution (le rôle des écrans dans la diminution des capacités cognitives mais aussi celui des réseaux dits sociaux dans l’exacerbation de la violence), d’autres sont parfois créés par le ministère dont les réformes détruisent littéralement les conditions de travail. C’est le cas de l’inclusion, toute de faux-semblants. Nous annonçons que nous allons poser comme il faut, c’est-à-dire en donnant la parole aux acteurs sur le terrain, le problème de l’école inclusive, dont la réalité est sans rapport avec les discours officiels. Il est indispensable que cette réalité soit révélée et que l’on cesse de se gargariser de bonnes intentions pendant qu’on laisse la situation se dégrader.
Mais s’il faut remettre l’institution à l’endroit, c’est hélas parce qu’elle a été mise sens dessus dessous. Nous insistons pour terminer sur ce qui nous paraît être la première condition pour conforter l’autorité des personnels et rétablir le respect à leur égard, que nous avons déjà exposée et développée dans l’explication de l’amendement Paty, toujours d’actualité. Nous soulignons auprès du cabinet la nécessité d’adopter ou de s’inspirer de notre amendement pour deux raisons : premièrement, la notion de « confiance » n’a rien à faire dans la loi ; deuxièmement, le respect qui est dû aux personnels ne saurait avoir pour condition leur « engagement » non plus que leur « exemplarité » et la rédaction actuelle de la loi encourage, de fait, les élèves et leur famille à contester l’autorité des personnels en mettant en doute leur « engagement » ou leur « exemplarité ». A défaut de reprendre l’amendement Samuel Paty, nous demandons au ministre d’abroger purement et simplement cet article du code de l’éducation qui n’apporte rien sinon de la confusion sur un sujet où il faut au contraire faire preuve de clarté. S’il refuse, nous devrons en conclure que ses propos en faveur du rétablissement de l’autorité et pour le respect de celle-ci ne sont que des paroles.
L’heure est vite passée et l’audience s’achève sans que nous ayons pu aborder des sujets fondamentaux tels que l’orientation et l’avenir de la formation professionnelle sous statut scolaire, le rôle et la présence des parents dans l’école, le numérique ou bien encore les perspectives offertes par les sections européennes pour redynamiser l’enseignement. En réponse à notre exposé, le cabinet se dit intéressé par nos propositions concernant la prise en compte de l’usure professionnelle, l’indemnité de logement, la suppression des HSA imposées à partir d’un certain âge. Il désire en savoir plus sur l’amendement Samuel Paty et nous lui annonçons que nous lui enverrons des notes sur les points qui ont été seulement survolés ou que nous n’avons pas eu le temps d’évoquer. Le contact est établi, et le cabinet se montre désireux de poursuivre les échanges avec nous sur différentes thématiques.