Déclaration au Conseil supérieur de l'éducation

12 octobre 2023

Monsieur le ministre,

Les manières de parler sont importantes. L’éducation nationale n’est pas seulement un « service public » mais, à l’instar de la défense nationale ou la justice, c’est d’abord une institution. En tant que telle, elle n’a pas pour mission, au demeurant impossible, de « garantir la réussite à tous » mais de donner à chacun la meilleure instruction en fonction de son talent, de son mérite et du temps qu’il peut y employer. Cette mission est d’abord un devoir pour l’État et le président de la République a parfaitement raison d’en rappeler le caractère régalien.

Il aura fallu attendre longtemps pour que l’on prenne enfin ici la mesure de l’échec et de la désinstruction, car on ne peut qualifier autrement le fait que la moitié des élèves qui entrent au collège ne sachent pas combien il y a de quarts d’heure dans trois quarts d’heure ou que des candidats au baccalauréat ne sachent pas orthographier correctement le nom même de l’examen auquel ils se présentent après quinze ans d’études ! Dès votre prise de fonction et jusqu’au 5 octobre dernier, vos déclarations et décisions ont ressuscité l’espoir que l’éducation nationale puisse être bientôt remise sur ses pieds et redevenir la fierté française et républicaine qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.

La tâche est immense. Relever le niveau scolaire notamment, cela suppose que la transmission des connaissances redevienne le cœur de la mission de l’école ; cela suppose que des programmes sans jargon inutile indiquent, de façon claire et ordonnée les connaissances qui doivent être acquises en fin d’année ; cela suppose que les élèves qui ne maîtrisent pas ces connaissances cessent, au nom d’une fausse bienveillance, d’être accueillis dans les classes supérieures où, inévitablement, leurs difficultés deviendront des lacunes ; cela suppose enfin que les professeurs soient employés aux tâches pour lesquelles ils sont recrutés ; et cela suppose aussi que l’on cesse de confondre les heures de cours avec des heures d’activité ou des heures de rien destinées à suivre la mode ou coller à l’actualité.

Pour y parvenir, et comme vous y avez insisté avec force, il faut bien entendu rétablir l’autorité du professeur, et surtout la faire respecter.  A cet égard, les professeurs et tous les personnels attendent d’abord un changement total de paradigme et vous avez le pouvoir de le mettre en œuvre, Monsieur le ministre, notamment en supprimant du code de l’éducation cet article qu’on y a malencontreusement introduit et dont les effets sont catastrophiques sur le terrain, ce funeste article L. 111-3-1 qui, confondant le respect avec la confiance que les élèves et leur famille doivent avoir envers les personnels, conditionne ce respect à l’engagement et l’exemplarité de ces derniers. Le respect sous condition, ce n’est pas le respect. Action & Démocratie a proposé de réécrire cet article en remettant les choses à l’endroit. Nous avons donné à cette proposition le nom d’amendement Samuel Paty et, à quelques jours de la commémoration de la mort de notre collègue, nous vous demandons ici solennellement de le reprendre à votre compte ou de vous en inspirer, ce qui constituerait un signal fort envoyé à tous.

Le respect dû à tous les personnels, il faut aussi hélas le rappeler à une administration qui semble avoir perdu ses repères en la matière. En moins d’une semaine, notre syndicat a été saisi de plusieurs situations inacceptables qui illustrent très bien les problèmes et les solutions pour y remédier : ici, un chef d’établissement se permet d’écrire à tous les enseignants pour leur interdire d’expulser dorénavant le moindre élève de leur cours ; là, un rectorat décide la mutation d’office d’un professeur au motif qu’il aurait des difficultés relationnelles [sic] avec ses élèves ; ailleurs, c’est un chef d’établissement qui est convoqué par sa hiérarchie car il a refusé de se rendre à une formation aux « valeurs de la République », comme si un chef d’établissement, déjà soumis à une charge de travail harassante, avait en outre besoin qu’on lui apprenne ce que sont les « valeurs de la République » ! Et nous n’oublions pas que Samuel Paty lui aussi, avant d’être honoré par la nation, s’était vu reprocher des carences en matière de laïcité ! Il est temps de mettre fin à de telles dérives, et vous pouvez compter sur notre syndicat pour y contribuer si tel devait être l’engagement de votre ministère. 

Monsieur le ministre, vous êtes à la tête d’une administration où, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la rue de Grenelle, chacun n’en fait plus qu’à sa tête, pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. Vous êtes à la tête d’une administration où, faute d’instructions assez fermes, certains se flattent d’utiliser l’écriture dite inclusive dans le cadre de leurs fonctions, y compris lorsqu’il s’agit de fonctions hiérarchiques. Mais vous êtes surtout à la tête d’une administration qui ne connaît la réalité que par le biais de données statistiques, lesquelles sont sans commune mesure avec ce qui se passe sur le terrain. C’est pourquoi il est si important que vous preniez le temps de nous écouter, nous, et pas uniquement les organisations dites représentatives au sens de la loi, nous autres qui savons mieux que quiconque ce qui va et ce qui ne va pas parce que nous sommes sur le terrain, nous autres qui sur le front essuyons régulièrement les plâtres de réformes mal inspirées et menées dans la précipitation, nous autres qui ne pratiquons pas la langue de bois consistant à réclamer sur n’importe quel sujet des moyens supplémentaires tel un disque rayé, nous qui précisément vous parlons en ce moment pour exprimer en quelques trois minutes l’opinion de la majorité silencieuse !

Puisque nous n’avons pas le temps d’exposer dans ces conditions nos solutions concernant l’école, le collège, le calendrier scolaire, le harcèlement, l’inclusion, la refondation de la voie professionnelle, mais aussi la crise du recrutement, l’usure professionnelle, la mobilité et même le fonctionnement du conseil supérieur de l’éducation, nous vous faisons remettre dès la fin de cette déclaration une demande d’audience avec l’espoir que vous soyez aussi intéressé que nous à la poursuite d’un échange franc et constructif sur ces sujets afin d’avancer vraiment.