Le billet d’humeur violence à l’école...
Si le billet d’humeur suppose une subjectivité assumée, alors le texte qui suit n’en est pas un. Il est plutôt un cri d’alarme qui s’appuie sur des situations concrètes, réelles, vécues par ses auteurs et nombre de leurs collègues.
Le récent intérêt porté par les médias sur l’état de la violence dans nos établissements scolaires n’est que le pâle reflet de la dégradation dont nous faisons l’expérience depuis de nombreuses années. L’exposition médiatique dont ce thème bénéficie nous surprend autant qu’elle nous laisse pantois puisque nous en étions arrivés à la conclusion que non seulement l’état de l’école républicaine n’intéressait plus personne, mais qu’en plus les enseignants privilégiés et toujours en vacances que nous sommes n’avaient plus la compassion des médias ni des citoyens.
Quel que soit l’établissement scolaire, cette violence est bien présente, depuis l’école primaire et jusqu’à l’enseignement supérieur. Depuis plusieurs années maintenant, nous avons tous, et notamment les enseignants en zone d’éducation prioritaire, constaté l’augmentation importante des faits d’agressions verbales et physiques, des manquements répétés au règlement, de la dégradation de la communication entre les adultes, les élèves et les hiérarchies supposées « piloter » ces établissements. On pourra noter qu’en 2018 il n’est plus question d’administrer un établissement scolaire mais de le « piloter », et nous vous posons donc cette question légitime : y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Alors que le ministre s’attache aux résultats inquiétants des évaluations, il ne prend pas la mesure de l’état du climat scolaire. Pourtant, il n’y a pas besoin de réfléchir longtemps ni de dépenser autant de temps et d’argent pour comprendre qu’il y a une corrélation étroite entre les deux.
Alors que le ministre s’attache à la forme, il tente une fois encore d’éviter de s’attaquer au fond du problème. Cela lui permet de développer une rhétorique toute sophistique et d’énoncer devant les caméras des raisonnements qui peuvent éventuellement tenir debout pour un public peu concerné. Ainsi, le voilà prompt à affirmer que le problème de violence pourra trouver sa résolution dans l’interdiction du téléphone portable au lycée. Mais cette stratégie ne trompe personne. Nous avons tous bien compris la stratégie « effet Kiss Cool » : d’abord il rappelle à tout le monde combien son idée d’interdire le portable au collège est brillante, puis il s’assure qu’il n’y en ait plus au lycée pour que les potentielles agressions ne puissent plus être filmées. Si elles ne sont plus filmées, alors elles n’existent plus : « L’arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l’entend ? »
Faut-il à nos hiérarchies et notre ministère une vidéo d’une brutalité aveuglante pour se rendre compte des problèmes de violence dans les établissements ? Il nous semblait pourtant qu’ils disposaient déjà de tout un tas de rapports commandés et de doléances, non sollicitées celles-là, de la part du personnel enseignant.
Cette vidéo est gênante parce qu’elle a été relayée par les médias et force une partie de l’opinion publique à ouvrir les yeux sur le quotidien des enseignants et des élèves. Les électeurs risquent de ne pas être contents et de ne plus se laisser bercer par le ronron des discours politiques.
Bien sûr, dans l’immédiateté, l’enseignant peut demander des sanctions très lourdes. Un œil apaisé peut prendre la mesure des évènements. Mais la hiérarchie n’est pas là pour minimiser ou taire des incidents de cette nature. Elle est là pour accompagner élèves et enseignants. L’omerta a assez duré.
Enseignants, nous avons été recrutés pour nos savoirs, nos compétences, mais aussi pour nos qualités humaines. Nous travaillons avec nos élèves dans un esprit de transmission : nous sommes des passeurs de savoirs mais aussi de savoir-faire et de savoir-être. Le but étant de faire de nos élèves des individus indépendants et capables de vivre en bonne intelligence dans la société. Comment exercer notre profession de passion et d’engagement s’il n’y a plus de cohésion entre les professeurs et leur hiérarchie ? Comment exercer notre profession lorsque notre chef part du principe qu’un enseignant qui a atterri en REP+ doit savoir à quoi s’attendre ? Pourquoi ne pas se donner les moyens d’éradiquer cette violence présentée comme inéluctable ? Pourquoi ne pas sanctuariser l’école au lieu de laisser la violence de l’extérieur y pénétrer ? Pourquoi ne pas rétablir l’autorité et le respect au lieu de cacher la violence derrière un écran de fumée ?
Rappelons alors à notre ministre et notre président que l’éducation n’est pas une perte d’argent ni d’énergie, mais le plus profitable des investissements de tous, pour tous. Il est désormais impératif d’agir pour retrouver la sérénité indispensable à l’enseignement et l’apprentissage pour construire un avenir viable pour notre République.
Anne Elodie Schuster & Serge Pellegrini Membres du Bureau National A&D.