Macron et l'école : notre point de vue sur l'entretien concernant l'éducation paru dans Le Point (23 août 2023)

Le « plan » d’Emmanuel Macron pour l’École

Le président de la République a fait sa rentrée scolaire avec un peu d’avance. Dans le magazine Le Point du 23 août dernier, Emmanuel Macron évoque longuement les questions éducatives. S’agit-il d’un énième exercice de communication ou de l’exposé d’une véritable « vision » pour la suite du quinquennat ? Une vision nouvelle qui coïnciderait avec le débarquement de Pap Ndiaye et l’installation de Gabriel Attal rue de Grenelle ? L’avenir le dira et, comme toujours, c’est aux actes que nous jugerons la sincérité des discours. Quoi qu’il en soit, cet entretien n’a pas manqué de faire réagir la plupart des organisations syndicales enseignantes, dont les commentaires sont à vrai dire très convenus. Et nous ?

L’école, affirme d’emblée le président de la République, « c’est le cœur de la bataille que l’on doit mener, parce que c’est à partir de là que nous rebâtirons la France ». On ne peut qu’approuver. Notre pays est miné par les injustices, les divisions, les revendications identitaires, la violence, et rien de tout cela n’épargne d’ailleurs l’école, comme nous ne le voyons que trop. Le pays va mal, et puisque c’est à l’école que tout commence et par l’école que tout commence, il nous semble aussi évident qu’au président de la République que c’est avec une politique éducative solide et ambitieuse que l’on pourra rebâtir pour demain une France meilleure que celle d’aujourd’hui. Mais une fois qu’on a dit cela, que faire ?

« L’histoire doit être enseignée chronologiquement » selon Emmanuel Macron. La belle affaire ! Comme si ce n’était pas déjà le cas ! Soit le président retarde d’une bonne grosse décennie et cela interroge sur sa connaissance des dossiers, soit il trompe délibérément son auditoire (les lecteurs dudit magazine et au-delà tous les Français) en leur donnant une image fausse de l’enseignement d’aujourd’hui, et c’est grave dans les deux cas. La question de l’enseignement chronologique de l’histoire est du même ordre que le débat récurrent sur la méthode globale que l’on voit ressortir régulièrement grâce à tel ou tel politicien qui fait mine d’ignorer que celle-ci a été éradiquée il y a plus de quinze ans ! Le prof bashing récompense cependant toujours ceux qui le pratiquent, alors pourquoi se gêner ?

S’attaquer enfin, comme le fait encore Emmanuel Macron dans cet entretien, au fameux « pédagogisme » est d’autant plus facile et vain que ce courant a été déjà largement discrédité ces dernières années. Mais tout aussi faciles et vaines sont les indignations des spécialistes de l’éducation autoproclamés qui ont pignon sur rue grâce à une presse complaisante : « Macron agite comme un épouvantail un soi-disant pédagogisme », « la pédagogie n’a jamais été l’adversaire de l’instruction », « le pédagogisme n’a jamais existé », etc. Heureusement les enseignants ont de la mémoire et n’ont pas oublié les trente ans (au bas mot) de délires constructivistes imposés à des générations de stagiaires par des ayatollahs d’IUFM/ESPE/INSPE alors tout puissants. Du passé de l’école, ils voulaient faire table rase et ont bien failli réussir ! Ce n’est pas parce que ces gens et leurs idées n’ont plus la cote que les ravages qu’ils ont causés ont cessé. Aussi, quand il dénonce « un pédagogisme qui disait, au fond, que l’école ne doit plus transmettre », et même s’il enfonce des portes ouvertes, Emmanuel Macron a au moins le mérite de ces quelques mots, nouveaux et bienvenus dans la bouche d’un président de la République.

Cela étant dit, ces quelques mots ne lui auront pas coûté grand-chose ! Le vrai courage se mesurerait dans la capacité à traduire ces paroles en actes, car renouer avec une école qui transmet du savoir et de la culture implique des mesures ambitieuses en totale rupture avec des décennies de fonctionnement de l’éducation nationale, mesures dont on doute fort qu’Emmanuel Macron les engage compte tenu du bilan des six dernières années qui n’a fait qu’aggraver les maux de l’école.

Lorsqu’enfin le président souhaite voir « l’instruction civique » (« enseignement morale et civique » dans les actuels programmes mais sans doute rebaptisé ici à dessein) « devenir une matière essentielle », on devine la volonté – déjà exprimée ailleurs – de reprendre en main les jeunes émeutiers de l’été 2023 et leur inculquer les fameuses « valeurs républicaines ». Or il est déjà bien illusoire de croire que les enseignants vont pouvoir pallier les carences éducatives d’un nombre croissant de jeunes, mais c’est surtout oublier que, pour être en mesure de transmettre quoi que ce soit, les professeurs doivent être respectés, non seulement des enfants et de leurs parents, mais aussi de leur hiérarchie et du pouvoir politique. On en est très loin ! Non seulement les enseignants, dès l’école primaire, sont largement abandonnés face aux incivilités et aux violences, mais ils sont également mal payés et jamais écoutés par les ministres qui se sont succédé depuis trente ans, comme en témoignent encore très récemment les réformes auxquelles ils se sont massivement opposés et qui leur ont tout de même été imposées, la réforme Vallaud-Belkacem du collège ou la réforme du baccalauréat, cette dernière ayant été imposée par un certain Emmanuel Macron qui vient aujourd’hui la dénoncer à demi-mots : « Nous devons reconquérir le mois de juin pour les élèves qui ne passent pas d’épreuves en fin d’année. » Que toupet ! Les représentants des professeurs, et Action & Démocratie au premier rang de façon constante et déterminée, ont unanimement dénoncé la destruction du baccalauréat et annoncé tous les effets désastreux qui en découleraient pour les élèves comme pour les personnels. Nous avons même, et seuls contre toutes les autres organisations syndicales, effectué deux recours auprès du Conseil d’État pour tenter d’empêcher certains de ces effets désastreux sur l’organisation du lycée sur lesquelles on ouvre enfin les yeux aujourd’hui. Nous n’avons pas été écoutés quand il aurait fallu nous écouter. Ceux du terrain n’ont pas été écoutés par un ministère qui n’a de cesse d’agir CONTRE ses personnels et les forces vives de l’école.

Arrêtons-nous là et laissons à ceux qui n’ont rien d’autre à faire le soin de commenter ad nauseam les serpents de mer exhumés par Emmanuel Macron, l’inévitable sujet des vacances d’été « trop longues » ne le cédant en rien sur celui de la formation professionnelle « inefficace ». Non, décidément, il ne suffit pas de déclarer que l’éducation est un « sujet régalien » pour transformer un catalogue de préjugés en ambition pour l’école. Chez Action & Démocratie, nous avons une ambition pour l’école, elle nous porte et nous anime au quotidien, elle est notre force et notre ressource. Alors que les vacances se terminent et qu’une nouvelle année scolaire commence, nous nous engageons à défendre une nouvelle fois une école de l’instruction, une école digne de ce nom, et les personnels qui la font vivre car sans eux, l’école n’est plus qu’une coquille vide.

Chers collègues, si vous vous reconnaissez dans nos analyses, nous vous invitons à les partager autour de vous pour éveiller un nouvel espoir de voir évoluer notre institution. Et comme tant d’autres le font déjà chaque année, n’hésitez pas à nous rejoindre en adhérant massivement à une organisation qui n’existe que pour vous.

Ne restez pas isolés ! Unissons-nous et faisons triompher notre intelligence collective pour reconstruire l’école !