Après la réunionnite, l’évaluationnite !

Réflexions sur l’évaluation des EPLE

            Si la réunionnite est une sévère pathologie (chronique) de l’Éducation Nationale depuis de nombreuses années, ce grand corps malade commence à souffrir d’un autre mal qui, paradoxalement, se présente comme la meilleure des médecines : l’évaluationnite. Cela est devenu une évidence, tout le monde semble d’accord : il faut évaluer. Par ailleurs, tout, absolument tout est objet d’évaluation : les élèves, les professeurs, les formations, les prestations et – l’on en entend reparler depuis peu – les établissements. Ce remède de Purgon, s’il semble pris au sérieux en haut lieu, amuse et agace les professeurs et, semble-t-il, certains chefs d’établissements. En effet, ces évaluations sempiternelles, censées mesurer on ne sait trop quoi, déguisent plus qu’elles ne révèlent les trous dans la chemise : ainsi apprenait-on cette année que les élèves de sixième voyaient leur niveau en lecture augmenter de quatre points, ainsi s’appuiera-t-on sur les « E3C » (évaluations en continu) pour donner à tous un baccalauréat sans valeur… Alors même que les PISA et autres CEDRE ou TIMSS tirent la sonnette d’alarme. L’évaluation, dès lors, n’est plus qu’un thermomètre cassé qui annonce une température à laquelle personne ne croit.

            Pour renfort de potage (restons chez Molière !), les prochaines victimes de l’évaluationnite diafoiresque seront les EPLE : chaque année, environ 20% des établissements d’une académie seront évalués, ce qui permettrait, en cinq ans, d’en évaluer la totalité. Cette évaluation, qui prend racine dans la sinistre loi d’orientation du 10 juillet 1989, est inscrite dans la non moins fameuse loi du 26 juillet 2019 « pour une école de la confiance » et pilotée par le tout nouveau « Conseil d’évaluation de l’École », énième comité Théodule créé sous Jean-Michel Blanquer.

Quels en seront les objectifs ? « L’amélioration, dans l’établissement, du service public d’enseignement scolaire, de la qualité des apprentissages des élèves, de leurs parcours de formation et d’insertion professionnelle, de leur réussite éducative et de leur vie dans l’établissement » et l’amélioration « [des] conditions de réussite collective, d’exercice des différents métiers et de bien-être dans l’établissement. » De plus, « elle a vocation à aider les établissements à remplir la mission confiée par l’État en termes de qualité et d’efficacité de l’éducation et de la formation dispensées, à donner un sens collectif à l’action et renforcer le sentiment d’appartenance. » Par ailleurs, elle « permet d’actualiser ou de renouveler le projet d’établissement », dont chacun connaît et peut mesurer le caractère absolument indispensable, notamment lorsqu’il s’agit de faire progresser les élèves. Louables intentions, apparemment.

Quel en sera le principe ? Les établissements subiront deux phases d’évaluation : une « auto-évaluation » (la chose est à la mode et promue dans les INSPE) qui donne l’impression que la démarche est vaguement constructiviste, que nous sommes « acteurs » de notre évaluation, suivie, quelque temps après, d’une « évaluation externe » réalisée par des « observateurs extérieurs » (IPR, IG, chefs d’établissements…spécialement formés) qui mèneront, au sein de l’établissement, une enquête de plusieurs jours. Au cas où nous aurions des doutes quant à la nature de cette visite, pendant laquelle la totalité de la « communauté éducative » sera entendue, nous pouvons être rassurés, nous ne serons ni jugés ni classés : l’évaluation externe « est une aide apportée à chaque établissement, dans sa singularité. En aucun cas elle n’aboutit à un classement quel qu’il soit. Elle ne produit aucune évaluation individuelle du chef d’établissement, de son équipe ou des personnels de l’établissement, mais une évaluation de l’établissement dans sa globalité et des propositions pour enrichir sa stratégie éducative. »

Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de nous inquiéter de la tournure que pourrait prendre cette évaluation, une fois le rapport des observateurs rendu : le « diagnostic » posé, serons-nous invités, voire fermement encouragés à infléchir nos pratiques afin de mieux « remplir la mission confiée par l’État », au péril de la liberté pédagogique individuelle ? Les « propositions » individualisées qui nous seront faites ne sont-elles pas synonymes d’une autonomisation accrue des établissements et donc de leur conversion progressive en petites entreprises indépendantes soumises aux lois du management et forcées de s’adapter à tout et n’importe quoi ? Au mieux, cette évaluation – probablement fort coûteuse – est une tartufferie de plus, au pire elle est l’un des outils qui contribueront à définir une orthopraxie pédagogique et éducative, à laquelle nous serons sommés de nous plier, faute de quoi nous serons étiquetés ennemis du « service public d’enseignement scolaire ».

Il n’est que de lire une partie du questionnaire qui a été adressé aux élèves afin de préparer l’évaluation des EPLE pour percevoir, entre les lignes, en quoi consisteront les bonnes pratiques :

À l’assertion « Je suis souvent assis à écouter le professeur », on sent que l’élève devrait répondre « oui », afin que l’on puisse nous dire (pour nous redresser) que l’enseignement « magistral » est à bannir, que les élèves ne sont pas assez « actifs » ; à l’assertion « En classe, je peux travailler en groupe », les réponses négatives des élèves seront à nouveau d’excellents prétextes pour nous demander de rendre les élèves « actifs », car le « travail de groupe » et la « co-construction » des savoirs sont la clef du succès, nous le savons tous parfaitement ; à l’assertion « J’utilise un ordinateur ou une tablette en classe », une abondance de « non » rendrait les professeurs suspects et les ferait passer pour « réactionnaires » ou « technocritiques », alors qu’ils devraient au contraire intégrer à leur enseignement tous les incontournables gadgets numériques qui sont les clefs de la « réussite » scolaire… Cet exercice de lecture entre les lignes n’est peut-être qu’une façon d’envisager le pire, mais si le pire se vérifiait, profitons de la présence de ces experts évaluateurs dans nos établissements pour leur dire sans ambages le fond de notre pensée : il semblerait qu’ils se déplacent aussi pour nous entendre !

 

Document de référence : https://www.ih2ef.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/-valuation-des-tablissements-du-second-degr—juillet-2020-2231.pdf