Analyse

La baisse du nombre de candidats au CAPES externe depuis 2001

Données et analyse

Par David MARMONIER, professeur de philosophie et président académique d’A&D LIMOGES

La réforme voulue par Gabriel Attal, qui permettra d’engager plus tôt les étudiants dans un parcours conduisant au professorat en leur faisant passer le concours en fin de licence, est susceptible de corriger les effets pervers de la mastérisation, en accroissant le vivier de candidats potentiels. Les lauréats auront alors deux ans pour compléter leur formation disciplinaire et découvrir le métier de professeur. Le statut de fonctionnaire accordé aux étudiants-professeurs, et la rémunération des deux années de master, vont dans le bon sens, et permettront peut-être d’éviter en partie la fuite des meilleurs étudiants vers d’autres masters. 

Cependant, cette réforme ne suffira pas à elle seule à répondre à la crise des vocations, et à rendre le métier plus désirable. Pour Action et Démocratie, une revalorisation substantielle des salaires, à hauteur de ce qui se pratique dans les pays européens comparables à la France, est une condition première pour rendre le métier plus attractif. Mais elle doit être également accompagnée d’une revalorisation symbolique du métier, à partir d’une politique éducative qui fasse “le pari de l’intelligence” et se propose d’amener la jeunesse du pays au plus haut niveau de formation intellectuelle, culturelle et morale. Ce qui engage à rétablir des exigences fortes notamment en matière de discipline scolaire, de niveau d’enseignement, de travail des élèves, pour que le savoir qu’ont à transmettre les futurs professeurs ne soit pas dilué dans des pratiques pédagogiques contre-productives et redonne du sens et de la noblesse à un métier passionnant mais abîmé par des décennies d’aveuglement idéologique et d’incurie politique. 

Note : le fait qu’il y ait plus d’admis que de postes offerts pour la période 2001-2005 s’explique par l’intégration des candidats admis en liste complémentaire dans les statistiques du ministère.

Note : le rebond spectaculaire du nombre de candidats et de postes en 2014 s’explique par l’organisation d’une seconde session (dite session exceptionnelle) dans la même année. Il faut cependant noter que 39 % des candidats présents aux concours enseignants de la session exceptionnelle se sont présentés une nouvelle fois au second concours de la même année, dit concours rénové. De plus, il était possible pour la première fois aux étudiants inscrits en M1 de passer le concours, ce qui a fait augmente le vivier de candidats.

Une chute vertigineuse du nombre de candidats depuis 2001

Depuis 2001, le nombre de candidats au CAPES externe a diminué de façon spectaculaire et quasi continue. Alors que le nombre de candidats présents aux épreuves était de 44 265 en 2001, il est tombé à 11 269 en 2023, soit une diminution de près de 75 %, le minimum ayant été atteint l’année précédente avec 9 914 candidats. Dans le même temps, le nombre de postes offerts aux concours a également baissé, puisqu’on est passé de 7 690 en 2001 à 5 203 en 2023 (- 32 %), mais on ne peut pas établir de claire corrélation entre la diminution de nombre de postes et celle du nombre de candidats.

La tendance baissière du nombre de candidats s’affirme nettement dès la période 2001-2010, puisqu’on passe de 44 265 candidats présents en 2001 à 22 074 en 2010, soit deux fois moins de candidats en 10 ans. La baisse est continue sur la période, malgré l’augmentation du nombre de postes offerts en 2002 et 2003.

Un premier effondrement brutal du nombre de candidats a lieu en 2011, et correspond à la réforme du concours (dite « mastérisation ») qui place le concours en fin de master et non plus en fin de licence. Le nombre de candidats inscrits passe en un an de 33 502 à 24 223, et le nombre de candidats présents de 22 074 à 12 491, soit une diminution de 43 %.

Il faut attendre 2014 pour que le nombre de candidats remonte franchement, suite à l’organisation d’une session exceptionnelle et grâce à la possibilité de passer le concours en fin de 1re année de master. Ce sursaut est cependant très provisoire. Après une stabilisation du nombre de candidats entre 2015 et 2017, qui correspond également à une stabilisation du nombre de postes, le mouvement baissier reprend et le nombre de candidats tombe à 17 253 en 2021, soit 2 000 candidats perdus en 4 ans.

Un second effondrement brutal du nombre de candidats a lieu en 2022, et correspond lui aussi à une nouvelle réforme du concours, que les candidats doivent désormais passer à la fin de la 2e année du master, et non plus à la fin de la 1re année. Le nombre de candidats présents passe de 17 253 à 9 914, soit près de 43 % en moins de nouveau. Cette baisse aurait dû être très conjoncturelle, puisque la réforme faisait baisser mécaniquement le vivier des candidats en décalant le passage du concours d’une année pour les étudiants en master. Les chiffres de 2023 et les premiers chiffres de 2024 montrent qu’il n’en est rien, le nombre de candidats présents en 2023 repassant tout juste au-dessus des 10 000 (11 269), et le nombre d’inscrits en 2024 étant encore d’un tiers inférieur à celui de 2021, avant la nouvelle réforme (20 755 contre 29 992).

Une plus grande réussite au concours qui traduit une baisse de niveau des candidats

Les données de la réussite au concours montrent une évolution significative à partir de la réforme de la mastérisation en 2011. Jusque-là, entre 2001 et 2010, le rapport entre le nombre d’admis et le nombre de candidats se présentant aux épreuves est relativement stable, oscillant autour de 20 % au global (de 17,72 % au minimum en 2004 à 24,54 % au maximum en 2002), et ce malgré la baisse du nombre de postes qui s’affirme à partir de 2006 et surtout 2008.

Le taux de réussite bondit à plus de 32 % en 2011, alors que les candidats doivent être titulaires d’un master pour passer le concours et qu’ils sont de ce fait beaucoup moins nombreux à s’y présenter. Il y a donc une certaine logique à la progression du taux de réussite, les préparationnaires étant à la fois moins nombreux et plus qualifiés. Mais 2011 est également la première année où tous les postes offerts ne sont pas pourvus, du fait de l’insuffisance du niveau de certains candidats. Ainsi par exemple pour le CAPES externe de mathématiques, le rapport de jury de 2011 indique que le recrutement a été particulièrement ouvert, puisque 45 % des candidats présents ont été admis (contre 31 % l’année précédente), tout en précisant que « compte tenu de l’exigence de qualité que requiert le recrutement de professeurs certifiés, il n’a pas été possible de pourvoir l’ensemble des postes mis au concours » : pour 950 postes ouverts, seuls 1 285 candidats se sont présentés, dont 574 seulement ont été admis[1].

Ainsi, paradoxalement, la mastérisation ouvre une période de détérioration du niveau global du vivier de candidats, les étudiants ayant le niveau requis n’étant plus assez nombreux à s’engager dans la voie des concours d’enseignement et préférant sans doute s’orienter vers d’autres masters. Cette baisse du niveau global est traduite dans les faits par l’écart entre le nombre de postes offerts aux concours et le nombre d’admis. Au total, depuis 2011, ce sont près de 13 000 postes qui n’ont pas été pourvus à cause du niveau insuffisant des candidats.

Ce phénomène est bien entendu accentué par la baisse du nombre de candidats aux concours de recrutement, qui s’est poursuivie depuis 2014 et a culminé en 2022, où le taux global de réussite avoisine les 40 %.

[1] https://capes-math.org/data/uploads/rapports/rapport_2011.pdf

Des situations différenciées selon les disciplines

L’étude détaillée des statistiques montre cependant des différences notables selon les disciplines. Parmi les gros bataillons de candidats, ce sont ceux de lettres, d’anglais et surtout de mathématiques qui montrent une plus grande détérioration du niveau. Ainsi ce sont près de 27 % de postes qui ont été perdus en mathématiques depuis 2011, 11 % en lettres modernes et plus de 14 % en anglais sur la même période. Les taux de réussite, dans ces disciplines, ont fortement augmenté dans le même temps, la proportion d’admis par rapport aux présents atteignant même 63,5 % en lettres modernes en 2022, année où les candidats présents étaient à peine plus nombreux que les postes offerts (941 pour 755 postes, dont 598 ont été finalement attribués). Avec un aussi faible nombre de candidats, quand bien même ceux-ci sont censés être titulaires d’un master en littérature ou avoir un niveau équivalent, le jury ne dispose pas une grande latitude pour sélectionner ceux qui répondent aux exigences d’un concours d’enseignement du second degré, et on peut se demander s’il n’est pas conduit à aller repêcher trop bas pour éviter une hémorragie du recrutement. De fait, si l’on compare les barres d’admission au CAPES de lettres modernes avant et après la réforme de la mastérisation, on peut constater une chute de près d’un point, la barre d’admission passant en moyenne de 8,54 entre 2001 et 2010 à 7,63 entre 2011 et 2023[1].

La présidente du jury note ainsi que celui-ci « a pu s’étonner de voir certains candidats manifestement se satisfaire d’une expression pauvre et d’un maigre bagage littéraire, artistique, historique, quand la première mission d’un enseignant de français est de transmettre à ses élèves, avec le goût de la langue, une ouverture à la culture qui elle-même les ouvrira au monde, enrichira leur expérience et les aidera à l’exprimer, d’où qu’ils viennent et quoi qu’ils fassent plus tard, puisque c’est là l’esprit véritablement démocratique de l’école républicaine » (extrait du rapport du jury des concours externes de lettres classiques et lettres modernes, session 2023).

En mathématiques, le jury s’est fixé pour règle de ne pas admettre de candidats ayant une moyenne inférieure à 8, ce qui explique sans doute la plus grande perte de postes dans cette discipline.

Il reste encore des disciplines où le recrutement se fait avec des contingents relativement abondants, comparés au nombre de postes offerts. C’est le cas notamment en histoire-géographie, en espagnol, en sciences de la vie et de la Terre, en sciences économiques et sociales et en philosophie. Les taux de réussite, avant 2022, variaient autour de 20 % dans ces disciplines, excepté en philosophie qui reste un des concours les plus difficiles et où les taux de réussite peinaient à dépasser les 10 %. Mais toutes ces disciplines connaissent également une forte chute du nombre de candidats depuis 2022, faisant mécaniquement progresser les taux de réussite.

[1] En exceptant la session 2020, où il n’y a pas eu d’épreuves d’admission.

Bilan et perspectives

Il apparaît donc que les concours de recrutement de l’enseignement du second degré sont de plus en plus délaissés par les étudiants, et que les différentes réformes du concours n’ont fait qu’aggraver cette désaffection.

La mastérisation, défendue par Luc Chatel en son temps, avait pour objectif d’améliorer le niveau des candidats, en recrutant des étudiants plus diplômés[1]. Le résultat a été un assèchement durable du vivier des candidats, et une diminution du niveau d’ensemble, les meilleurs étudiants préférant se tourner vers d’autres masters plus valorisants et plus sélectifs. Pour preuve, c’est à partir de 2011 que les jurys ont commencé à admettre moins de candidats qu’il n’y avait de postes proposés, et cette tendance ne s’est jamais inversée. Dans le même temps, les taux de réussite ont fortement augmenté, avec des disparités importantes selon les disciplines, mais ils sont passés globalement de 20,22 % en moyenne entre 2001 et 2010 à 29,16 % la décennie suivante, soit une augmentation de près de 50 %, avant d’atteindre 39,53 % en 2022 et 38,49 % en 2023.

La dernière réforme en date, appliquée à partir de la session 2022, s’accompagne aussi d’une chute brutale du nombre de candidats. C’est explicable pour la session 2022, puisque les étudiants qui sont entrés en master en 2020 ont pu passer le concours en 2021, à la fin du M1, et que seuls ceux qui ne l’avaient pas obtenu pouvaient le repasser en 2022, faisant diminuer mécaniquement le nombre de candidats. Mais cela n’explique pas que le nombre de candidats remonte si peu à partir de la session suivante, qui aurait dû voir les étudiants ayant commencé leur master en 2021 présenter le concours en 2023 et les effectifs retrouver le le niveau d’avant la réforme. C’est bien le signe que le vivier s’assèche de nouveau de façon importante, comme l’indique la baisse du nombre d’inscriptions d’étudiants dans les Inspé à la rentrée 2022[2], et ce malgré les revalorisations salariales annoncées par le ministère.

Selon l’analyse du SNES, la réforme du concours, qui alourdit la charge de travail des étudiants de M2, devant à la fois assurer un service en établissement, rédiger un mémoire, valider leur master et préparer le concours, explique la défection des candidats[3]. Ce n’est sans doute pas cependant le seul argument pour expliquer cette nouvelle dégringolade, qui semble s’inscrire dans la durée.  En effet, même si le passage du concours à la fin de la 2e année alourdit en effet significativement leur charge de travail, cela ne change pas foncièrement la donne pour ceux qui sont engagés dans un master MEEF et doivent de toute façon réaliser leurs deux années de master avant d’entrer dans l’enseignement.

Pour Action & Démocratie, la baisse continue et inquiétante du nombre de candidats aux concours d’enseignement ne saurait être réduite à des facteurs purement conjoncturels, liés à la diminution du nombre de postes ou à la réforme des concours. C’est le métier de professeur en lui-même qui est devenu moins désirable, en raison d’évolutions sociétales que les politiques éducatives n’ont pas su enrayer et ont même parfois aggravées : perte d’autorité de la figure du professeur, amoindrissement de la place du savoir et de la culture dans la société, qui diminuent d’autant l’appétence pour une profession où les rétributions symboliques ont longtemps compensé les salaires peu élevés. A cela s’ajoutent la dégradation du climat scolaire, la progression de l’anomie et de la violence, ainsi que la peur de se retrouver assignés pendant des années dans des établissements difficiles où personne ne souhaite rester. L’assassinat de Samuel Paty en 2020 a eu de quoi également décourager les vocations, en faisant de la figure du professeur la cible d’un obscurantisme haineux, et il n’est sans doute pas pour rien dans la nouvelle chute du nombre de candidats en 2022 et 2023. Le nouvel assassinat barbare dont a été victime Dominique Bernard en 2023 n’est pas de nature à ressusciter un engouement pour la profession, qui est de plus en plus perçue comme ingrate et désormais dangereuse. 

La réforme voulue par Gabriel Attal, qui permettra d’engager plus tôt les étudiants dans un parcours conduisant au professorat en leur faisant passer le concours en fin de licence, est susceptible de corriger les effets pervers de la mastérisation, en accroissant le vivier de candidats potentiels. Les lauréats auront alors deux ans pour compléter leur formation disciplinaire et découvrir le métier de professeur. Le statut de fonctionnaire accordé aux étudiants-professeurs, et la rémunération des deux années de master, vont dans le bon sens, et permettront peut-être d’éviter en partie la fuite des meilleurs étudiants vers d’autres masters. 

Cependant, cette réforme ne suffira pas à elle seule à répondre à la crise des vocations, et à rendre le métier plus désirable. Pour Action et Démocratie, une revalorisation substantielle des salaires, à hauteur de ce qui se pratique dans les pays européens comparables à la France, est une condition première pour rendre le métier plus attractif. Mais elle doit être également accompagnée d’une revalorisation symbolique du métier, à partir d’une politique éducative qui fasse “le pari de l’intelligence” et se propose d’amener la jeunesse du pays au plus haut niveau de formation intellectuelle, culturelle et morale. Ce qui engage à rétablir des exigences fortes notamment en matière de discipline scolaire, de niveau d’enseignement, de travail des élèves, pour que le savoir qu’ont à transmettre les futurs professeurs ne soit pas dilué dans des pratiques pédagogiques contre-productives et redonne du sens et de la noblesse à un métier passionnant mais abîmé par des décennies d’aveuglement idéologique et d’incurie politique. 

[1] https://www.lemonde.fr/education/article/2011/07/14/20-des-postes-aux-capes-2011-restent-vacants_1548697_1473685.html

[2] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/baisse-des-effectifs-en-inspe-en-2022-2023-91193

[3] https://www.snes.edu/ma-carriere/concours-entree/concours-2023-postes-non-pourvus/

David MARMONIER

Professeur de philosophie et président académique A&D LIMOGES.