Note d'information juridique AD/CFE-CGC

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Maladie ou accident reconnu imputable au service : pensez à l’indemnisation complémentaire

Peu connue chez les agents publics et même par de nombreux juristes, la jurisprudence « Moya-Caville » permet au fonctionnaire victime d’un accident, ou atteint d’une affection reconnue imputable au service, de bénéficier d’une indemnisation complémentaire au maintien de son plein traitement. En fonction du profil de la victime et de la nature des préjudices, les sommes obtenues sont parfois considérables.

La décision de l’administration qui reconnaît l’imputabilité au service d’un accident ou d’une maladie est une étape décisive pour le fonctionnaire, tant d’un point de vue symbolique que matériel. Lorsqu’il s’agit d’une affection psychique, notamment d’un burn-out ou d’un stress post-traumatique, cette décision apporte une véritable reconnaissance nécessaire à la reconstruction psychologique et professionnelle. Elle témoigne de ce que les souffrances sont le fruit d’un vécu professionnel difficile, ou d’un épisode douloureux, et non d’une pathologie purement personnelle. Nombre d’agents qui cherchent, en vain, la reconnaissance par le juge d’un harcèlement moral au sein de leur service, voient, à raison, dans la maladie professionnelle un ersatz de cette reconnaissance. Dans le même temps, cette décision emporte des conséquences majeures sur la rémunération. Là où l’agent public ne bénéficie que de trois mois de plein traitement par année glissante en congé maladie ordinaire, l’agent placé en CITIS conserve toute sa rémunération sans limite de temps. C’est donc sans surprise qu’une part non négligeable du contentieux de la fonction publique, devant les juridictions administratives, concerne la protection sociale et plus spécifiquement les recours contre les décisions qui refusent cette reconnaissance aux agents publics titulaires. Les contractuels bénéficient de leur côté d’un régime tout à fait spécifique. La reconnaissance du lien entre une maladie et le service est réalisée non par l’administration mais par la CPAM. La durée du plein traitement dépend ensuite de l’ancienneté de l’agent. En d’autres termes, le contractuel est moins bien protégé que le titulaire.

 

Mais une fois cette précieuse décision obtenue, spontanément ou à l’issue d’un combat juridictionnel pour lequel l’accompagnement d’un avocat est primordial, beaucoup d’agents publics n’en tirent pas toutes les conséquences. Parfois peu informés par les syndicats ou par leur Conseil, ils se contentent de bénéficier de leur plein traitement et oublient, ou n’estiment pas opportun, d’engager la responsabilité sans faute de leur employeur. Et pourtant, la décision de reconnaissance d’imputabilité au service est un sésame précieux qui permet, de droit, à l’agent d’obtenir une indemnisation complémentaire. En suivant une procédure spécifique (I), il est possible d’obtenir la réparation financière des préjudices subis durant la période de CITIS (II).

I. Quelle est la procédure à suivre ?

Nous vous proposons de distinguer deux phases successives, à savoir celle qui consiste à identifier, chiffrer les préjudices subis et à demander leur indemnisation à l’administration (A) de celle qui se déroule devant les juridictions (B).

A. La phase précontentieuse : l’évaluation des préjudices et la demande indemnitaire préalable

Tout d’abord, il est nécessaire de connaître le moment opportun pour engager la procédure d’indemnisation. La stratégie est simple : ce recours ne doit pas être effectué tant que l’agent public continue de bénéficier de son congé d’invalidité temporaire imputable au service. L’agent n’en a aucun intérêt ! En théorie, ce congé ne souffre d’aucune limite de temps, de sorte que le fonctionnaire peut en bénéficier durant plusieurs années, si son état de santé le nécessite. Néanmoins, il est de plus en plus fréquent que les administrations cherchent à mettre fin à ce congé particulièrement avantageux pour les agents, afin de le remplacer par un congé maladie ordinaire ou même pour engager une procédure de licenciement ou de retraite pour invalidité. Pour ce faire, elles saisissent un médecin agréé, qui convoque l’agent pour un examen médical. Durant celui-ci, le médecin cherche à déterminer si, selon lui, les arrêts de travail sont toujours en lien avec la maladie ou l’accident de service, ou bien s’ils sont justifiés par d’autres considérations. Il peut s’agir, par exemple, d’un état antérieur ou encore d’une pathologie évoluant pour son propre compte.

Exemple : un professeur est placé en CITIS à compter du 24 février 2022 en raison d’une agression physique commise par un parent d’élève agité. Des douleurs aux jambes l’empêchent d’exercer ses fonctions. Néanmoins, alors qu’il était en voie de guérison, il est victime d’un accident de la route en partant en vacances le 15 juillet 2024. Un médecin agrée, saisi par le Rectorat, estime qu’à compter de cette date, les arrêts de travail ne sont plus justifiés par l’agression, mais par l’accident de la route. Il pourra, sous certaines conditions, être mis fin au CITIS du professeur en raison d’une pathologie évoluant pour son propre compte.

Après avoir saisi le Conseil médical pour avis, l’administration pourra alors considérer que la pathologie imputable au service est consolidée, ce qui signifie que, sans être guéri, l’état de santé ne devrait plus se dégrader. Or, la date de consolidation est un prétexte pour que l’administration mette fin au CITIS. L’agent a tout intérêt à ne pas précipiter la fin de ce congé, car chaque jour passé sous ce régime augmente le montant de son indemnisation future. La date de consolidation est alors absolument indispensable pour engager le recours dit « Moya-Caville ». Elle constitue également le point de départ de la prescription. En effet, le fonctionnaire peut réclamer le paiement d’une créance dans un délai de quatre ans à partir du 1er janvier suivant le jour où le droit a été acquis. Passé ce délai, il ne sera plus possible de réclamer l’indemnisation en raison de la prescription quadriennale. Or, le jour de consolidation constitue justement la date à laquelle le droit à indemnisation a été acquis. Nous appelons donc les adhérents à être particulièrement vigilants sur ce point.

Exemple : notre professeur est considéré comme consolidé le 15 juillet 2024. Le délai de prescription court à compter du 1er janvier 2025. L’agent a donc jusqu’au 31 décembre 2029 pour former sa demande indemnitaire préalable. Au 1er janvier 2030, ce sera définitivement trop tard.

Lorsque l’administration a mis fin au CITIS, il est désormais temps d’agir. La première étape, qui doit être réalisée par le biais d’un avocat, est de solliciter une expertise judiciaire. L’avocat va introduire une requête en référé-expertise afin qu’un médecin expert soit désigné, selon la spécialité que nécessite le type d’affection. Le juge administratif rend alors une ordonnance désignant le médecin et fixant ses missions. C’est le moment de rassembler toutes les pièces, tous les justificatifs de nature médicale : cures thermales, hospitalisations, frais de santé non remboursés, attestations de médecins, … Le dossier est ensuite adressé à l’expert, qui organise une réunion d’expertise contradictoire, c’est-à-dire en présence de toutes les parties. Sont généralement présents le fonctionnaire et son Conseil et, si elle le souhaite, l’administration qui peut être accompagnée de son propre expert et de son avocat. L’expert procède à un examen clinique seul avec l’agent. Il cherche à identifier les préjudices subis et à déterminer leur cause. A l’issue de cette expertise, il remet soit un pré-rapport, ce qui permet aux parties d’adresser des « dires », c’est-à-dire des observations, soit un rapport définitif adressé au juge.

Fort de ce rapport d’expertise, la dernière étape de la phase précontentieuse peut débuter pour le fonctionnaire. C’est surtout à ce moment que l’on comprend en quoi la présence d’un avocat est décisive. Le fonctionnaire doit chiffrer ses préjudices, c’est-à-dire quantifier en somme d’argent, l’évaluation faite par l’expert, en se basant sur des barèmes spécifiques (généralement les barèmes MORNET et ONIAM). La juste évaluation de chaque poste de préjudice constitue un travail fastidieux, d’autant plus lorsque les séquelles sont graves, multiples et que le CITIS a duré plusieurs années. Cette évaluation détaillée est ensuite adressée à l’administration employeuse sous forme de demande préalable. A sa réception, elle dispose d’un délai de deux mois pour y répondre. Son silence vaut refus. Cette étape est indispensable pour la suite de la procédure, car si l’agent ne formule pas de demande indemnitaire préalable, sa requête devant le juge sera déclarée irrecevable.

En ce qui concerne les agents contractuels, la procédure est tout à fait différente. La demande indemnitaire préalable n’est pas nécessaire, et le référé-expertise ne doit surtout pas être formé devant le juge administratif, qui se déclarera invariablement incompétent. Le contractuel peut débuter directement par la phase contentieuse. Le code de la sécurité sociale lui offre cependant la faculté de saisir la CPAM afin qu’elle organise avec l’employeur une réunion de conciliation, qui a pour but de reconnaître l’existence d’une « faute inexcusable », équivalent du CITIS pour les non-titulaires. Si cette démarche n’aboutit pas, l’agent devra recourir au juge judiciaire.

B. La phase contentieuse : les recours devant le juge

Pour les titulaires, bien entendu, cette phase n’a pas lieu d’être si l’administration a décidé de faire droit à la demande indemnitaire préalable. Hypothèse assez rare au demeurant, elle aboutit souvent sur un protocole transactionnel entre les parties : l’agent renonce à tout recours juridictionnel en échange de quoi l’administration lui verse, à l’amiable et après négociation, une somme d’argent en réparation des préjudices subis. Dans la plupart des cas, une décision explicite ou tacite de rejet sera opposée. L’agent devra alors, dans un délai de deux mois suivant la date de cette décision, saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux. Cette requête aboutit sur un échange d’écritures entre les parties, non pour savoir si l’agent a droit à une indemnisation (il n’y a pas de débat sur ce point) mais pour débattre du quantum des sommes exigées. A l’issue d’une instruction par le juge qui dure entre une à deux années, le juge administratif rend un jugement qui, même frappé d’appel, est immédiatement exécutoire.

L’administration condamnée à verser telle somme d’argent doit alors s’exécuter dans un délai qui, s’il n’est pas expressément fixé par le juge (qui est souvent de deux mois) doit être raisonnable. A défaut, le juge peut condamner l’administration à verser une astreinte à l’agent, par jour de retard à l’exécution du jugement. Le fonctionnaire a alors obtenu la réparation intégrale des préjudices subis durant sa période de CITIS.

Dans le cadre d’un recours devant le Pôle social du Tribunal judiciaire, le contractuel va demander au Tribunal de majorer la rente d’invalidité, d’organiser une réunion d’expertise puis, à, l‘issue, de reconvoquer les parties pour se prononcer sur l’indemnisation des préjudices. Il nous reste à vous indiquer quels sont les préjudices indemnisables ainsi que leur montant indicatif (II).

II. Quels sont les préjudices indemnisables ?

Le principe général est celui de la réparation intégrale consistant à indemniser tous les préjudices subis par la victime, afin de compenser au mieux les effets des dommages subis. La décision « Moya-Caville » prévoit l’indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux (A) et des préjudices patrimoniaux hors incidence professionnelle (B) sans qu’il soit besoin de prouver une faute de l’administration.

A. Les préjudices extrapatrimoniaux

D’abord, sont indemnisables les préjudices temporaires, c’est-à-dire survenus avant la date de consolidation. Il s’agit du « déficit fonctionnel temporaire », qui couvre les troubles dans les conditions d’existence de toutes natures, comme la perturbation de la vie familiale, la perte d’agrément et les préjudices sexuels temporaires. Ils font l’objet d’une indemnisation forfaitaire qui s’évalue de 300 à 500 € par mois, en fonction des circonstances. Les « souffrances endurées » concernent toutes les souffrances physiques et psychiques, du jour de l’accident à celui de sa consolidation, évaluées sur une échelle de 1 à 7, de léger (entre 800 et 1100€) à très important (entre 32 000 et 44 000€). L’agent peut aussi obtenir l’indemnisation d’un « préjudice esthétique temporaire » qui couvre l’altération majeure de l’apparence physique, dont les conséquences personnelles sont très préjudiciables. Ce préjudice est conditionné à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers. Les critères pris en compte pour fixer le montant de l’indemnisation sont, notamment, la gravité de l’altération physique en cause et la durée de cette situation.

Ensuite, l’indemnisation couvre les préjudices permanents, comme le « déficit fonctionnel permanent », qui est déterminé selon un barème médical basé sur les notions d’incapacité permanente partielle (IPP) ou d’atteinte personnelle à l’intégrité physique ou psychique (AIPP). Ce poste de préjudice couvre l’affection définitive des capacités à venir de la victime, c’est-à-dire son handicap fonctionnel futur, telles que la réduction psychosensorielle, intellectuelle, physique ou encore les douleurs séquellaires. L’âge est un facteur déterminant dans l’évaluation de ce préjudice, selon un tableau de référence.

Exemple : une femme âgée de 50 ans peut obtenir entre 5600 € et 306 000 €, selon le taux de DFP qui ressort de l’expertise médicale et des éléments du dossier.

Par ailleurs, le fonctionnaire peut solliciter la réparation du « préjudice d’agrément » lié à l’impossibilité, pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs qu’elle exerçait avant l’accident. L’indemnisation a lieu en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.) et sur production de justificatifs. Le « préjudice esthétique permanent », toujours évalué sur une échelle de 1 à 7, indemnise l’altération permanente de l’apparence physique, selon les critères évoqués ci-dessus. Enfin, le « préjudice d’établissement » représente la perte de chance de réaliser normalement un projet de vie familiale, en raison de la gravité du handicap, est indemnisé selon le cas particulier.

B. Les préjudices patrimoniaux hors incidence professionnelle

Conséquence des séquelles physiques et psychique, les agents sont souvent contraints d’engager des dépenses de santé durant leur période de congé imputable au service et même à l’issue de celui-ci. Le principe est le suivant : tous les frais engagés au titre d’une affection imputable au service sont remboursables sur justificatifs, y compris les indemnités kilométriques relatives aux déplacements pour subir des examens ou bénéficier de soins, avant la date de consolidation. Les préjudices patrimoniaux temporaires concernent plus précisément les « dépenses de santé actuelles », à savoir les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux et pharmaceutiques (infirmiers, kinésithérapie, orthoptie, orthophonie, etc.), restés à la charge de la victime avant la consolidation. Après consolidation, sont indemnisables les « dépenses de santé futures », rendues nécessaires par l’état séquellaire, incluant aussi les frais de prothèses ou d’appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap permanent qui demeure après la consolidation. L’agent peut obtenir la prise en charge des « frais de logement adapté », liés à l’adaptation son logement à son handicap ou le surcoût financier engendré par l’acquisition d’un domicile adapté, ou encore les surcoûts de loyer correspondants, sur présentation de devis ou de factures. Il en est de même pour les « frais de véhicule adapté ». Souvent, l’incapacité physique des agents entraînent une « assistance par tierce personne » pour réaliser des tâches quotidiennes (déplacements, courses, ménage, aide à l’habillement, …) L’indemnisation de ce poste dépend du niveau de qualification et la mission de la tierce personne requise, indemnisé selon un taux horaire d’environ 13€.

Le cumul des postes de préjudices permet à l’agent victime d’un accident ou d’une maladie reconnue imputable au service d’obtenir une indemnisation qui peut, selon la gravité des troubles, leur durée et l’âge de la victime, s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Notre cabinet accompagne au quotidien des fonctionnaires dans cette démarche, de la déclaration des troubles auprès de l’administration jusqu’à la réparation intégrale de leurs préjudices.