Lettre d’information n°54 – 09 septembre 2022

Supplément SPÉCIAL PLP

L’enseignement professionnel : un enseignement à part entière qu’il faut savoir défendre avec intelligence !

Chers collègues PLP,

Vous le savez, Action & Démocratie est un syndicat qui a été créé en 2010 par des PLP : c’est dire si nous ne pouvons rester indifférents au sort inacceptable fait actuellement à l’enseignement professionnel.

Ce sort, vous le connaissez tous. Dans un silence médiatique assourdissant, le Ministère a décidé d’opérer la bascule de l’enseignement professionnel public vers l’apprentissage. En quelques années, ce mouvement a concerné un nombre considérable de jeunes qui ont ainsi été soustraits à la formation professionnelle telle que prévue et promue par la loi n° 66-892 du 03 décembre 1966. Et, avec ce transfert, c’est le principe même selon lequel la formation professionnelle doit être un service public rendu par l’Etat qui est en train de voler en éclat.

Action & Démocratie ne peut évidemment pas accepter cette évolution menée à la hussarde. Cependant, nous ne cèderons pas à la facilité en opposant la formation professionnelle publique à l’apprentissage. Ces deux voies peuvent continuer d’exister, nous en sommes convaincus, mais sans confusion. Pour cela, il faut bien comprendre la spécificité et les enjeux de la formation professionnelle et ce qui la distingue de l’apprentissage.

En envoyant tous les jeunes désireux de faire une formation professionnelle en apprentissage en entreprise, ils seront confiés à un ouvrier ou à un technicien pour servir de seconde main. Le « maître d’apprentissage », aussi bon professionnel soit-il, n’a aucune formation pédagogique spécifique : au mieux, il transmettra des gestes techniques que l’apprenti assimilera par mimétisme et qu’il reproduira sans cesse pendant des années jusqu’à finir par réussir à bien les maîtriser.

 

Pendant cette formation en entreprise, il ne sera donc question ni de pédagogie ni de données et d’études techniques et scientifiques pour connaître la matière, ses caractéristiques, ses réactions. L’apprentissage se réduit à l’observation, à la répétition et à la succession des échecs pour parvenir à devenir un professionnel au bout de longues années de tâtonnement, de façon purement empirique. Résultat honorable, certes, mais qui ne transmettra aucune faculté d’adaptation aux progrès de la technique et de la science.

Pour les tenants de l’employabilité immédiate, ce n’est qu’un détail. Mais pour Action & Démocratie, cette conception de court terme n’est pas à la hauteur de ce que l’on doit transmettre à nos jeunes afin qu’ils soient correctement armés face aux difficultés du monde du travail. C’est pourquoi, sans nier dans certains cas l’utilité de l’apprentissage, nous défendons le maintien d’une authentique formation en lycée professionnel alliant l’appropriation des gestes techniques à celle de la connaissance technologique, formation qui inclut la connaissance des matériaux, de leur composition et de leurs caractéristiques ; formation qui est non seulement pratique mais aussi théorique ; en un mot, formation qui relève, au plein sens du terme, d’un enseignement, et qui doit logiquement être confiée à des spécialistes de l’enseignement, c’est-à-dire à des enseignants.

Les PLP sont ces enseignants spécialisés qui, à l’inverse des « maîtres d’apprentissage », ont vocation à rendre les élèves capables d’analyser une situation et de mobiliser leurs connaissances pour mettre en œuvre l’action la plus appropriée. Eux seuls peuvent mettre en œuvre des actions réflexives dans le but d’analyser et d’évaluer les actes en lien avec la pratique tout au long d’une carrière professionnelle. Cette pédagogie active augmente d’autant plus le transfert d’apprentissage qu’elle encourage un retour de la pensée sur elle-même.

Cette approche, qui est spécifique aux PLP, favorise le développement de la réflexion à deux niveaux :

l’analyse réflexive en cours d’action, qui consiste à penser dans l’action et à modifier celle-ci au moment même où le professionnel agit ;

l’analyse réflexive sur l’action, qui comporte une démarche plus approfondie d’analyse de l’action, de ses causes et conséquences.

L’enseignement, qui se distingue donc de l’apprentissage par sa démarche réflexive, vise ainsi à faire adopter une posture réflexive, de manière régulière et intentionnelle, dans le but de prendre conscience de sa manière d’agir, ou de réagir, dans les situations professionnelles ou formatives. Les PLP la maîtrisent parfaitement et sont ainsi capables de provoquer ces déclics réflexifs en se servant des techniques pédagogiques alternant cours inductifs, déductifs ou même magistraux. Les professeurs de lycées professionnels sont d’ailleurs des précurseurs en matière de pédagogie inductive, laquelle a fait ses preuves puisque cette technique d’enseignement est maintenant de plus en plus empruntée à des niveaux supérieurs.

L’enseignement professionnel dispose donc de tout le potentiel pour élever des jeunes parfois en difficulté scolaire. Il a permis durant de longues années à ces jeunes de reprendre confiance en eux, de comprendre qu’ils ont les capacités de progresser dans l’échelle sociale tout en leur offrant la possibilité de s’adapter avec facilité à d’autres métiers grâce à cet enseignement basé sur la transversalité de la réflexion.

Depuis des années, des gestionnaires qui semblent tout ignorer de cette pépite qu’est l’enseignement professionnel public procèdent à son dépeçage sous couvert de le réformer, et s’emploient à le vider de sa substantifique moelle dans l’indifférence de tous. Ils ont ainsi non seulement réduit drastiquement les heures des matières professionnelles mais aussi celles des enseignements généraux au profit de ces « heures de rien » que sont les heures de co-intervention et celles consacrées au soi-disant chef d’œuvre.

Ceux qui ont consenti au passage du bac pro à 3 ans en 2009, dont le syndicat majoritaire de l’époque, sont les plus mal placés pour défendre aujourd’hui un enseignement professionnel qu’ils ont contribué à sacrifier ! Ils n’ont d’ailleurs pas davantage été à la hauteur en 2018 puisqu’ils ont refusé de voter, au Conseil supérieur de l’éducation, l’amendement porté par Action & Démocratie visant à supprimer les heures de co-intervention et de chef d’œuvre pour les restituer aux matières professionnelles et aux matières d’enseignement général et d’arts appliqués !

Le constat, aussi désespérant semble-t-il au premier abord, ne nous amène pas à baisser les bras, bien au contraire. Action & Démocratie va continuer à porter la voix des PLP de terrain, autant celle des collègues d’enseignement général et d’arts appliqués que celle des collègues d’enseignement professionnel. Si vous vous retrouvez dans ce combat, n’hésitez pas à nous rejoindre. Ensemble, nous aurons la force nécessaire pour rendre toute sa dignité, sa pertinence et son efficience à l’enseignement professionnel public.

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