Conditions sanitaires et réformes : la double peine !

Après celle de 2019-2020, l’année scolaire 2020-2021 sera donc marquée par la gestion approximative d’une crise sanitaire qui aura considérablement détérioré les conditions de travail et aggravé les effets dévastateurs de réformes passés sous silence à la faveur de ce contexte. A&D est quotidiennement sollicité par les collègues qui subissent les effets conjugués de ces deux maux et assistent, impuissants, à la désorganisation totale des enseignements dans le second degré ainsi qu’à la transformation insidieuse de leur métier. Ou bien nous nous résignons, ou bien nous relevons la tête et nous nous donnons collectivement les moyens d’enrayer cette descente aux enfers.

Crise sanitaire : une gestion qui ne gère rien !

Pour faire obstacle à la propagation du virus, on a obligé les personnels à porter le masque durant de longues heures, sans réfléchir à des alternatives techniques éprouvées et utilisées en d’autres lieux, comme la distanciation et la mise en place d’écrans transparents notamment, et sans non plus le moindre égard ni pour la santé des agents, ni pour leur travail. Quand un métier repose autant sur la parole et sur les expressions, devoir enseigner visage masqué et voix étouffée créé une contrainte dont l’employeur, en l’occurrence le ministère, semble se désintéresser totalement, lui aussi bien que ceux qui se livrent à une étonnante surenchère en ce domaine en demandant qui des masques plus protecteurs, qui un protocole sanitaire plus strict, qui des tests dont l’utilité suppose qu’ils soient fréquents, pour ne pas dire quotidiens. Dans ce concert de demandes parfois extravagantes et de décisions incohérentes, qui s’intéresse un tant soit peu à la fatigue des personnels ? Qui s’intéresse aux effets secondaires sur leur santé à court et plus long terme, le corps d’un professeur étant, comme celui de n’importe quel salarié, son premier instrument de travail ?

Au chapitre des absurdités, on retiendra qu’on maintient fermés les restaurants alors qu’on continue à entasser quotidiennement jusqu’à 35 jeunes gens dans des salles exiguës au mépris de la distanciation sociale préconisée par ceux-là même qui formulent des protocoles inapplicables dans le seul but de complaire à l’opinion ou à des chroniqueurs incompétents. La logique et l’efficacité ne sont décidément pas les vertus de cette gestion de la crise sanitaire dans l’Education nationale, laquelle s’est illustrée par son manque totale d’anticipation depuis le mois de mai 2020, alors que dès ce moment nous avertissions qu’il fallait prendre les dispositions pour rouvrir les établissements dans des conditions de sécurité sanitaire mais aussi de travail acceptables. Rien ne saurait en effet justifier qu’on néglige à ce point totalement les conditions de travail des enseignants, seuls salariés dont l’employeur n’a pas songé, même en rêve, à aménager le poste de travail pour qu’ils puissent supporter la contrainte qu’il leur impose en les faisant participer à une application parfois délirante du principe de précaution, car c’est bien de cela qu’il s’agit au fond. Qu’on en juge par la communication ministérielle sur l’épidémie de Covid, qui ne mentionne que les « cas positifs » recensés fortuitement chez les élèves et les mesures prises dans ces circonstances, mais n’a aucune considération pour leurs enseignants, lesquels peuvent bien souffrir, être malades ou épuisés, être vulnérables ou vivre avec des personnes vulnérables, et ne recevoir finalement aucune autre solution en dehors de celle, si on peut l’appeler « solution », qui consiste à prendre un arrêt de travail et subir l’application d’un jour du carence sur un traitement déjà scandaleusement bloqué depuis des lustres !

Non décidément, les enseignants, autant que les personnels administratifs que nous défendons, ne semblent pas présenter un grand intérêt pour le ministère de l’Education, au point que c’est vers le ministère de la Fonction publique qu’il faut se tourner pour obtenir quelques aménagements bienveillants, ou que c’est en faisant intervenir le Conseil d’Etat qu’il faut voir enfin suspendu un décret scélérat privant les personnes vulnérables de leurs droits et obtenir ainsi que le gouvernement daigne les leur rendre. Jamais l’initiative de mesures attentives au bien-être et à la santé des personnels ne vient du ministère de l’Education nationale lui-même, qui démontre ainsi qu’il est un des plus mauvais employeurs de France, et que sa Direction des ressources humaines ne sert à rien !

Un autre virus, cette fois créé par le ministère lui-même, s’attaque aux personnels et n’épargne pas non plus les élèves : celui des réformes !

Ces réformes, notamment celle du bac, celle du lycée général et technologique, celle du lycée professionnel, nous les avons dénoncées et combattues avec clarté sur le fond pendant que d’autres organisations les soutenaient ou ne s’y opposaient que sur la forme et pour la forme. Il suffit d’observer les votes au Conseil supérieur de l’éducation pour mesurer le niveau de cette imposture, et spécialement les votes sur les amendements déposés par Action & Démocratie qui sont souvent les seuls à porter une véritable ambition pour l’enseignement. Nous en ferons le moment venu le compte rendu détaillé, car il importe que la profession sache exactement qui fait quoi dans les instances où elle envoie des représentants qui parlent en son nom.

Toujours est-il que ces réformes, tous en subissent maintenant les effets concrets sur le terrain. Tout d’abord, elles engendrent une désorganisation profonde des enseignements, une transformation catastrophique d’un bac qui était déjà mal en point et qu’au lieu de sauver, on a choisi d’achever dans une indifférence presque générale. Les pertes liées aux réductions des horaires des disciplines, qui sont avant tout préjudiciables à nos élèves, contraignent aussi désormais de nombreux enseignants en poste fixe à effectuer des compléments de service dans d’autres établissements. Leurs conditions d’exercice au quotidien se dégradent là encore dans un silence assourdissant. Ils sont en outre à la merci de certaines directions d’établissement qui, faute d’autorité, font preuve d’un autoritarisme aveugle en profitant du pouvoir accru qu’on leur a donné sur le sort, la carrière et l’avenir des personnels. De telles postures desservent l’intérêt général, c’est-à-dire celui des élèves autant que des professeurs, qu’on ne saurait opposer ni même séparer. Il faut les dénoncer, autant qu’il faut remercier les chefs d’établissement qui, par leur clairvoyance, leur compétence et leur capacité à mettre en valeur les vertus de chacun, apportent une véritable plus-value au sein de l’école pour le bénéfice de tous. Ceux-là sont alors de véritables « chefs » qui n’abusent pas de leurs prérogatives en créant des situations difficiles, voire impossibles, au nom de « l’intérêt du service ». Cette dernière notion, invoquée à tort et à travers, justifie parfois des décisions nocives, voire ineptes, et sert finalement à charger toujours davantage la mule que nous autres, professeurs, sommes devenus.

Osons parler de la dégradation des emplois du temps à cause des contraintes nouvelles créées par ces réformes ! Osons parler de la multiplication des conseils de classe suite à la destruction de la classe elle-même ! Osons parler de l’impossibilité d’enseigner quoi que ce soit quand les horaires sont à ce point émiettés, les groupes d’élèves mélangés au point qu’on ne sait plus qui est qui, ou bien qu’ils arrivent avec des lacunes abyssales sur lesquelles on ne cesse de nous demander de fermer les yeux tout en qualifiant cette démission de « bienveillance » !

Le virus a bon dos pour nous faire accepter sans broncher une dégradation sans précédent de nos conditions de travail et nous forcer à nous en rendre complice, comme, par exemple, lorsque les élèves « cas-contacts » ou « positifs » sont interdits d’accès à l’établissement mais doivent cependant avoir des cours et qu’on demande alors aux enseignants de filmer ou d’enregistrer les leurs : qu’en est-il du droit à l’image de l’enseignant, de la propriété intellectuelle de ses cours ? Allons-nous bientôt accepter de filmer nos cours et les laisser être diffusés sur n’importe quel support, dans n’importe quelle condition, et pour n’importe quel usage ? Il est temps de poser ces questions, et bien d’autres, cruciales pour les enseignants au quotidien et pour l’avenir de notre métier. Il est temps que la profession se prononce avec clarté et fixe des limites à ne pas dépasser, car d’autres se chargent déjà en ce moment, sous couvert de faire évoluer nos métiers, d’en préparer la transformation, pour ne pas dire la liquidation. C’est notamment l’objet du « Grenelle de l’éducation », formule qui fait référence à un protocole d’accord qui permettait de sortir de la crise de 1968, et qui sert désormais à faire accepter au « professeur du XXIe siècle » un déclassement sans précédent.

Les professeurs n’ont pas besoin de colloques, de séminaires, d’experts auto-proclamés pour penser leur métier et pour savoir très bien ce dont ils ont besoin. Il est temps que, collectivement, nous le fassions savoir et que, massivement, nous cessions de collaborer, par notre silence, notre résignation ou notre insouciance, à notre transformation en animateurs et notre obsolescence programmée.

Action et Démocratie se propose de recueillir cette parole du terrain, délivrée des postures politiques ou idéologiques qui font que, si constamment, si obstinément, si consciencieusement, on passe à côté du réel et on laisse la situation s’aggraver.