CSE 17-09-20 déclaration préalable CFE-CGC
Le masque et la peur
Déclaration Action & Démocratie
Conseil supérieur de l’éducation – 17 septembre 2020
M. le ministre,
Mesdames et messieurs les membres du CSE,
Un chanteur d’opéra ou un joueur de flûte peuvent-ils se produire avec un masque ? Nous non plus ! Le visage et la voix sont autant d’outils indispensables au métier de professeur, comme à celui d’élève. Comment transmettre, comment instruire sans se faire entendre ni pouvoir observer sur le visage de ceux à qui l’on s’adresse si l’on a été compris ou pas ?
Après seulement quinze jours de classe, de très nombreux professeurs sont épuisés de devoir forcer la voix, exténués de mal respirer sous un masque des heures durant, pour ne rien dire des températures très élevées qui auraient dû, si l’on se souciait un tant soit peu de ce qui se passe dans une salle de classe, conduire à proposer des aménagements au lieu de faire comme si de rien n’était, contribuant ainsi à ajouter une couche supplémentaire au mille-feuilles de la maltraitance institutionnelle qui éloigne de plus en plus de gens de valeur de ce métier jadis estimé et aujourd’hui saccagé.
Tandis que de nombreux collègues se précipitent chez leur généraliste couverts de boutons, aphones ou la gorge en feu, d’autres cherchent à s’équiper, sur leurs deniers personnels, d’amplificateurs de voix afin de pallier les carences de leur employeur qui, comme avec les ordinateur qu’il ne leur fournit pas mais leur demande tout de même d’utiliser, aurait dû leur être fournis en même temps que les masques !
Et, puisque nous sommes les seuls à évoquer dans cette instance la réalité, n’omettons pas les élèves des collèges et lycées qui cherchent à soulever leur masque dès qu’ils pensent que le regard de l’adulte n’est plus posé sur eux pendant qu’on nous demande de réprimer ces relâchements que nous comprenons pourtant si bien !
Nombreux sont ici – et nous n’étions pas les derniers – à nous être réjouis de la fin de l’enseignement à distance imposé par le confinement, et du retour dans les classes. Cependant, le durcissement du protocole sanitaire, décidé à la hâte à la veille de la rentrée par le ministère avec l’appui de nombreuses organisations syndicales, s’est traduit, entre autres extravagances, par l’obligation stricte du port du masque en classe, qualifiée d’obligation professionnelle dans une circulaire datant du 14 septembre et publiée ce jour. Enseigner dans des conditions de travail difficiles, ce ne sera hélas pas une nouveauté ; mais dans le cas présent, il s’agit de ne même plus pouvoir enseigner du tout !
Gageons que nos auditeurs nous épargneront cet amalgame facile : non, nous ne sommes pas des anti-masques radicaux et inconscients. Préoccupés par la crise sanitaire autant que par la psychose qu’elle alimente, nous ne contestons pas l’utilité du port du masque si celui-ci est de bonne facture (ce qui n’est pas fréquent) et utilisé avec une grande rigueur. Pas davantage nous ne contestons les autres « mesures-barrière » censées protéger de la Covid19 les personnels, les élèves voire l’ensemble de la société. Mais nous pensons qu’il est possible et souhaitable de ne pas sacrifier à la santé de tous l’instruction de nos élèves ni le bien-être au travail des enseignants, car ce sont toutes des priorités d’égale importance.
Le port du masque en classe n’était pas une fatalité. Nos ministres le savent bien, eux qui en ont si longtemps contesté l’utilité ! Plus sérieusement, de nombreux pays européens ne l’ont pas imposé à l’intérieur de la classe, et ce non pas parce que ces pays seraient moins touchés que la France par la maladie, mais parce qu’ils sont attentifs à la nature des choses, et notamment à ce qui se passe dans une salle de classe.
Ce que nous demandons en priorité, c’est en somme un petit rien d’un point de vue sanitaire mais un geste fondamental dans l’intérêt des élèves et de nos conditions de travail : nous demandons non un allègement mais un assouplissement du protocole sanitaire, permettant aux enseignants qui le souhaitent de retirer leur masque en classe lorsqu’ils sont à distance de leurs élèves. Et dans les faits, nous le savons tous, cela se pratique déjà énormément, et de plus en plus, en toute hypocrisie. Comment les enseignants de GS et de CP pourraient-ils sérieusement enseigner la lecture en étant masqués ? Comment un professeur de langue vivante peut-il faire travailler la prononciation ? Le ministère du travail accorde une dérogation aux journalistes et à leurs invités sur les plateaux de télévision : permettez-nous de penser que le métier de professeur est un peu plus sérieux que le bavardage en continu de ces gens, et qu’il mérite plus d’égard de votre part !
Insistons : assouplissement n’est pas allègement. Les professeurs ne sont pas des irresponsables à qui l’on confie imprudemment nos enfants ; ce sont des gens consciencieux, capables d’adaptation et surtout de discernement. Leur imposer le port du masque comme une « obligation professionnelle », c’est ne pas leur faire confiance et même les infantiliser !
Il est juste que l’Etat fournisse aux enseignants qui le nécessitent, mais aussi à ceux qui le souhaitent, des masques de type 2 ou des masques FFP2 (réellement protecteurs) ; il est également souhaitable de ne pas les accabler sous des règles d’une telle rigidité qu’elles dénaturent leur mission même, qui est de cultiver chez leurs élèves la faculté de juger.
D’autant que, miroir inversé de cette rigidité, le sort réservé aux personnels vulnérables s’est largement dégradé : alors que ces derniers pouvaient bénéficier d’une autorisation spéciale d’absence au printemps dernier, elles semblent aujourd’hui avoir disparu des radars du Ministère. Comme si le port du masque obligatoire et permanent suffisait à les mettre à l’abri ! Comme si, du jour au lendemain, elles avaient cessé d’être vulnérables !
La CFE/CGC appelle le Ministère à revoir au plus vite sa gestion des personnels vulnérables et à leur proposer des aménagements adaptés de leur poste de travail. Certes nous sommes conscients que cela sera difficile : A&D CFE-CGC a déjà dénoncé à plusieurs reprises l’état déplorable de la médecine de prévention, allant jusqu’à déposer plainte en 2019 contre vous, Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, pour mise en danger d’autrui après la multiplication de suicides d’enseignants, non pas parce que nous serions animés d’une hostilité envers vous, mais parce que vous ne nous écoutez que si l’on frappe du poing sur la table. Et certes, quelques efforts ont été faits depuis en réponse à cette plainte, mais ils ne sont pas du tout à la hauteur des besoins. A l’heure actuelle, extrêmement sollicités, les médecins de prévention, en nombre toujours insuffisant, ne peuvent répondre aux demandes des collègues que nous invitons à se tourner vers eux pour faire constater une inaptitude temporaire et obtenir, ce qui est de droit, un aménagement de leur poste de travail afin de préserver leur santé. Et cerise sur l’indigeste gâteau sanitaire, le gouvernement, qui n’a même pas eu le bon sens de revenir sur le contre-productif jour de carence, a cependant l’outrecuidance de revenir sur sa suspension que la situation du printemps dernier l’avait forcé à concéder !
Assouplir le protocole demandons-nous, pour les professeurs. Mais nous n’oublions pas les élèves du secondaire qui enchaînent d’interminables journées sous leur masque, confinés dans des locaux exigus à trente-cinq par classe grâce à votre réforme, et par plus de trente degrés lors de ces longues heures de maltraitance. On nous rétorquera qu’au printemps, faire cours sans masque était possible du fait de l’absence de nombreux élèves dans les classes, ce qui permettait une distanciation suffisante, mais qu’aujourd’hui ce serait devenu impossible. Vraiment ? Pourtant l’Italie, durement éprouvée par la crise sanitaire au printemps, a investi plusieurs milliards d’euros pour assurer à ses enfants et à ses enseignants une rentrée « normale », et en tout cas beaucoup plus normale que celle que vous osez qualifier ainsi. Grâce à au dédoublement des classes, à l’extension des bâtiments, à une organisation repensée pour la circonstance, les élèves et leurs professeurs y sont libérés du port du masque dans la classe et ne le portent que lors des circulations. Mais il est vrai que le gouvernement italien, lui, a commencé à préparer cette rentrée dès le mois de mai !
A de lourds investissements et de l’imagination pour assurer des conditions pédagogiques acceptables, le gouvernement français a préféré le port du masque obligatoire en classe, qui ne lui coûte pas grand-chose, quitte à rendre improbables les enseignements dispensés dans ces conditions. Le masque nous protège peut-être de la maladie, mais à coup sûr il nous empêche d’enseigner. Votre devoir était de trouver des solutions, ou à défaut de laisser ceux qui sont sur le terrain les trouver à votre place. Mais vous préférez recourir à des mesures qui font bavarder les chroniqueurs et n’apportent aucune solution aux problèmes réels quand elles n’en créent pas de supplémentaires. Car il faut faire preuve de la plus grande hypocrisie, c’est le cas de le dire, pour penser que cette mesure ait une autre efficacité que celle consistant à ruiner l’autorité de ses auteurs, mais aussi celle des professeurs à qui l’on demande de la faire respecter, alors que tous voient, devant les grilles des établissements ou pendant les repas, les mêmes à qui l’on fait subir inutilement des heures de suffocation se contaminer joyeusement et en toute insouciance ! Et il faut faire preuve d’une grande inconscience, quand on a en charge l’éducation, pour imposer l’obéissance à des règles si peu fondées en raison qu’on ne peut les faire respecter que par la menace d’une sanction. « L’homme libre n’est pas conduit pas la crainte, mais par la raison », disait en substance Spinoza. Et ce sont des hommes libres que les professeurs veulent former, non des esclaves.
C’est en sollicitant le discernement et l’intelligence de chacun qu’il nous faut affronter collectivement et surmonter cette crise dont il faut repenser de fond en comble la gestion.
Nos élèves ont un besoin urgent d’instruction, instrument de leur liberté. Et cela aussi est vital.