Conseil supérieur de l’éducation
16 novembre 2023
Déclaration d'Action & Démocratie
Monsieur le ministre,
La chute du niveau scolaire est un sujet sérieux sur lequel nous nous exprimons ici avec constance et sans langue de bois comme l’attestent toutes nos déclarations au conseil supérieur de l’éducation depuis des années. C’est donc avec satisfaction que nous avons pris connaissance du courrier envoyé aux personnels enseignants le 25 octobre dans lequel le ministère reconnait pour la première fois ce qu’il n’était d’ailleurs plus possible de nier, à savoir « un affaissement du niveau général des élèves français depuis trente ans » même si, à vrai dire, le mot effondrement eut été plus approprié. Et c’est avec l’espoir que soient enfin traités les maux de l’école de la République que les professeurs ont participé individuellement à la consultation proposée pour faire valoir leur avis.
Leurs attentes ont été douchées.
D’une part, aucune identification n’étant nécessaire, n’importe qui pouvait répondre à cette consultation, et cela autant de fois qu’il le souhaitait.
D’autre part, les délais annoncés pour la publication des conclusions donnent à croire, du fait de leur brièveté, que les décisions sont déjà prises.
Enfin et surtout, visiblement, ni les cuisiniers ni les ingrédients n’ayant été renouvelés, il faut s’attendre à ce que sorte des fourneaux un plat peu différent des précédents, loin de la rupture nette de recette que tous sur le terrain appellent de leurs vœux. Les questions fermées, impliquant du « en même temps » à haute dose, nous ont à peine permis de suggérer qu’il fallait de toute urgence que les écoliers apprennent de nouveau correctement à lire, écrire et compter avant d’entrer au collège, que cela impliquait de recentrer le temps scolaire sur l’acquisition de connaissances énumérées dans des programmes clairs et ordonnés, et ce afin qu’entrent par la suite au lycée des élèves en état de préparer effectivement le premier diplôme universitaire que doit redevenir le baccalauréat, présentement vidé de sa substance.
Nous n’attendons pas du ministère des mesures cosmétiques ou marginales mais des propositions fortes permettant de redresser la situation. Pour cela, il faut prendre conscience de l’ampleur du mal qui ne se résume pas à un simple tassement des résultats ni à une perte de rang dans les comparaisons internationales. En trente ans, nos élèves ont changé à tel point que beaucoup ne savent même plus en quoi consiste le fait d’être un écolier, un collégien un lycéen. On ne peut espérer relever le niveau scolaire par de simples ajustements dans les programmes ou des changements dans les pratiques pédagogiques si l’on n’agit pas en même temps sur les causes profondes de la baisse de niveau. Des changements dans les programmes ou l’organisation pédagogique ne résoudront pas les problèmes d’attention qui sont dus principalement à l’exposition permanente aux écrans ; ils ne résoudront pas les problèmes de comportement qui sont dus à une éducation familiale défaillante ; ils ne donneront pas le goût de l’effort à ceux qui ont adopté une posture de consommateur dans laquelle ils ont été encouragés par la promesse démagogique de la réussite au détriment de la nécessité du travail.
Eh oui, la condition de l’élévation du niveau scolaire, c’est le travail ! C’est même sa condition nécessaire et suffisante. Or les professeurs ont de plus en plus de peine à faire travailler les élèves – tous ceux qui sont sur le terrain et qui n’ont pas d’œillères idéologiques le constatent.
Dès l’école primaire, l’hétérogénéité extrême des niveaux, l’inclusion de certains enfants inadaptés à la vie en collectivité, la méconnaissance des codes et usages de la politesse élémentaire entre pairs et vis-à-vis des adultes, l’absence de toute notion de respect du maître placent bon nombre de collègues dans des situations qui rendent impossible tout travail sérieux, et parfois tout travail tout court. Dans ces conditions d’étude très dégradées survivent les écoliers qui trouvent chez eux ce que l’école n’est plus en mesure de leur apporter.
Au collège, les nouveaux arrivants démunis de toute possibilité de convenablement lire, écrire et compter, et ce dans une proportion effarante, doivent par la force des choses renoncer à tout apprentissage ambitieux tandis que les professeurs se trouvent contraints de tenter de rattraper les lacunes. La réalité prouve que malgré tous leurs efforts, ils n’y parviennent pas puisqu’entrent au lycée un tiers d’élèves incapables d’y suivre le moindre enseignement structuré, un tiers d’élèves en grande difficulté quant aux savoirs élémentaires en français et mathématiques ce qui condamne le tiers restant à ronger son frein et à travailler superficiellement au détriment du développement de leur potentiel.
Du CE1 à la Terminale, ce sont les élèves issus des familles au sein desquelles l’école, l’ambition, le travail, l’effort sont valorisés qui, grâce à leur bagage culturel, entreprennent et achèvent des études supérieures qui ne soient pas des impasses.
Oui la situation est grave, mais la première étape du redressement est de sortir du déni. Le 14 novembre dernier, Monsieur le ministre, vous avez qualifié d’« inquiétants » les résultats des évaluations nationales menées en 4e ; vous avez constaté « que durant le collège, le niveau stagne, voire régresse, ce qui signifie que le collège ne parvient pas à résoudre les écarts constatés à l’entrée en 6e » ; vous avez admis qu’en 4ème, « plus de la moitié des élèves ne lisent pas convenablement ni ne maîtrisent la résolution de problème et la géométrie ».
Est-ce-à-dire qu’enfin les lanceurs d’alerte ont fini par percer les murailles qui embastillaient le bon sens à l’Éducation nationale et mis fin à trente ans de négation insupportable de la réalité ? Trente ans durant lesquels des corps d’inspection démissionnaires et dogmatiques ont placé les professeurs dans des situations où l’on attendait d’eux qu’ils vident la mer avec une petite cuiller percée, sans manquer de leur reprocher de ne pas y parvenir !
L’heure n’est pas à ressasser les griefs mais à espérer que les enfants accueillis dans les écoles françaises réapprennent correctement à lire, écrire et compter aussi bien que leurs grands-parents ont pu le faire.
C’est bien cet espoir que nous exprimons aujourd’hui et cet objectif qui guidera notre contribution à la mission « exigence des savoirs » en cours.
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Communiqué A&D du 12 novembre 2023
On ne le répètera jamais assez, la première condition de la réussite scolaire est le travail. Et la première condition du travail est la discipline, mot si important qu’il faut toujours utiliser dans la pluralité de ses sens. Nous constatons tous à quel point il est devenu difficile de faire travailler nos élèves. La promesse d’une « réussite » qui leur est due dès qu’ils ont mis un pied dans l’école, promesse inscrite dans le code de l’éducation en tant qu’objectif du « service public d’éducation », est déjà en elle-même un encouragement à la paresse. Ajoutons-y l’abandon de toute exigence pour accéder à la classe supérieure depuis que l’on a rendu quasiment impossible le redoublement ; la contestation de plus en plus fréquente de l’autorité du professeur de la part des élèves mais aussi de leurs parents, avec la complicité de l’administration parfois ; mais aussi la surexposition aux écrans qui affecte gravement les capacités cognitives des nouvelles générations (pour ne pas parler des autres dégâts engendrés par les smartphones sur le rapport au monde et le rapport à autrui) ; l’hétérogénéité de classes difficiles à gérer en raison des lacunes considérables de certains élèves ayant obtenu leur place sans jamais la mériter, tout comme en raison des défis imposés par l’école inclusive contraignant des enfants porteurs de lourds handicaps à se soumettre aux conditions d’une classe dite « ordinaire » ; etc.