Enseigner avec un masque

Les enseignants bientôt rappelés sur le terrain ont pour consigne ministérielle de porter un masque sur le visage. Mais demande-t-on aux acteurs de films ou aux comédiens de théâtre d’en faire autant ? interroge avec humour Annabelle Martin Golay, professeure de français, dans un article du Monde du 28 avril. Qui voudrait assister à un aussi pénible spectacle ?

Ce parallèle nous rappelle que le métier d’enseignant n’est pas assez perçu comme un métier qui implique toutes les dimensions de la communication humaine : la voix, le visage, le corps. Nous jouons de nous-mêmes pour parvenir à transmettre.

L’enseignant, dépositaire des savoirs de sa discipline, est un pédagogue qui transmet des connaissances par sa présence en mouvement, ses expressions faciales et une variété d’émotions dont il use pour impliquer son auditoire. « L’enseignant incarne de façon animée et vivante ce qu’il transmet », rappelle Annabelle Martin Golay. Si le port d’un masque n’empêche pas la gestuelle, et que l’enseignant peut encore déambuler dans l’espace – au demeurant souvent fort étroit – qui lui est alloué entre tableau et bureau pour mettre son savoir en scène, les expressions du visage en sont quant à elles considérablement réduites. Le sourire est la principale mimique d’éveil de l’empathie. Les élèves vont-ils entrer dans le jeu d’un enseignant qu’ils ne voient pas sourire… ? Les mimiques et les petits mouvements de la tête (dimension kinésique), qui servent à lier les propos ou à s’assurer de l’assentiment de l’auditoire seront également moins perceptibles. Ne voir que des yeux ne suffit pas pour instaurer un sentiment de sécurité affective, condition première de tout apprentissage.

Lorsque la « question du voile » occupait l’actualité, il était clair pour le ministère d’insister sur l’exigence d’un face à face des visages dans la relation pédagogique. Mais le port du masque est une nécessité sanitaire incontournable, que tout le monde comprend. Si la signification du masque ne peut être assimilée à celle du voile, il serait naïf de croire le masque neutre : au-delà de sa fonction hygiénique, il s’impose comme le signe de la menace virale permanente, et plus largement comme le signe d’un changement dans les relations humaines : celui d’une crainte mêlée de suspicion.

Comme toute personne en situation d’interlocution, les élèves lisent le visage de leur enseignant. On connaît l’importance du non-verbal dans l’interprétation des messages oraux. Outre qu’un visage masqué est peu rassurant, la réduction des mimiques ne permet pas une transmission satisfaisante. Les propos didactiques comme la relation pédagogique en sont affectés.

Par ailleurs, le port du masque modifie la voix. L’articulation est rendue plus difficile : resserrement et arrondissement des lèvres, écartement des maxillaires. Au plan acoustique, les fréquences aiguës sont filtrées, la voix est rendue moins audible. La prosodie et la musicalité de la voix, qui n’en font pas seulement le « charme », mais portent aussi de l’information sont affectées. Un masque de qualité, adapté aux spécificités des métiers de la communication, donc au métier de l’enseignant, impactera moins la qualité de la transmission. Des caractéristiques sont requises pour les masques qui seront fournis, sans quoi les professeurs, inaudibles, feront de la figuration. Monsieur le président de la République et monsieur le ministre de l’éducation nationale, récemment en visite dans une école primaire début mai, avaient de fort beaux masques.

Comme le résume l’article de The Conversation (voir les sources) : « Masquer le visage aura pour conséquence de dépouiller le message d’éléments d’information qui sont tous, dans leur imbrication les uns avec les autres, indispensables pour une perception globale du message, des conditions de son énonciation aux émotions qui s’y rattachent. C’est donc un défi majeur auquel enseignants et enseignés seront confrontés. »

L’occultation des mimiques par le masque pourra induire, par compensation, une amplification de la gestuelle, l’enseignant voulant être bien compris, tout particulièrement d’élèves qu’il ne peut approcher, du fait des consignes de distanciation physique.

Il va nous falloir balayer plus régulièrement la classe du regard pour établir le contact. Intensifier et rendre plus fréquents les messages visuels. Les porteurs de lunettes sont désavantagés, ils mesureront toute la difficulté de garder un contact visuel ou de lire un texte avec un masque, leurs verres optiques se couvrant d’une buée dense et tenace. La parade ? Un masque bien ajusté sur l’arcade du nez grâce à la barrette nasale, pour éviter que la vapeur de la respiration ne remonte, donc un masque de qualité. Un « bon masque » est un masque avec lequel la respiration s’avère plus difficile. Il arrive que la sueur qui s’accumule occasionne des démangeaisons, suscitant un geste réflexe de contact ou de retrait du masque. Ce qu’il ne faut précisément pas faire.

Notons qu’un masque partiellement transparent a été inventé par des soignants pour s’adresser aux malentendants, afin qu’ils puissent lire sur les lèvres. Ce type de masque convient à un usage de quelques minutes, mais sa surface en plastique transparent augmente buée et sudation, aussi ne convient-il pas à des échanges prolongés.

Sous le masque, il faudra surarticuler pour se faire bien comprendre. Modulant intonations et mélodies, il nous faudra surjouer notre cours. Prenons garde à ne pas compenser par une intensité vocale trop importante : les cordes vocales sont fragiles. Et parlons moins, respirons d’abord : parler et respirer sont des fonctions antagonistes, on ne peut faire les deux en même temps. Pour éviter de suffoquer sous notre masque, et avec l’intention de tenir plus d’une heure de cours, évitons de vouloir trop bien faire.

Tout en protégeant l’accès aux voies respiratoires, le masque musèle la parole, prenons-en acte. Enseigner masqué est un vrai défi.

Complément technique :

Il faut porter un masque. Tous les masques ne se valent pas. Certains protègent l’entourage. D’autres protègent l’entourage et son porteur.

Avec un masque FFP (FFP1, FFP2, FFP3) vous êtes protégés, et votre entourage également. Le FFP3 protège mieux que le FFP1 (finesse des particules filtrées). Ces masques sont plus contraignants (inconfort thermique, résistance respiratoire) qu’’un masque chirurgical. Pour l’enseignant, ils seront pénibles à l’usage en situation pédagogique. Le gouvernement a d’ailleurs préconisé l’usage de masque chirurgical ; c’est une autre catégorie de masques que les FFP. « Le masque chirurgical est un dispositif médical destiné à éviter la projection vers l’entourage des gouttelettes émises par celui qui porte le masque. Il protège également celui qui le porte contre les projections de gouttelettes émises par une personne en vis-à-vis, mais l’Afnor souligne qu’il « ne protège pas contre l’inhalation de très petites particules en suspension dans l’air. » » Moins contraignant que les FFP, le masque chirurgical ne présente pas le même inconfort thermique ni la même résistance respiratoire ; il permet donc de parler plus aisément. Pour une efficacité optimale, tout le monde devra en porter un.

Source :

Pour tout complément d’information, référez-vous à un document bien renseigné, par exemple, parmi d’autres : https://www.santemagazine.fr/sante/maladies/maladies-infectieuses/maladies-virales/tout-savoir-sur-les-masques-de-protection-contre-le-coronavirus-433485)

« Enseigner avec un visage masqué : un défi ? », le 6 mai 2020, sur le site The Conversation : l’expertise universitaire, l’exigence journalistique :

 https://theconversation.com/enseigner-avec-un-visage-masque-un-defi-137728

« Enseigner avec un masque ? », le 4 mai 2020, l’avis d’une enseignante, sur son blog :

http://rosemar.over-blog.com/2020/04/enseigner-avec-un-masque.html

« Même un cours virtuel est préférable à une fausse présence », Le Monde, le 28 avril 2020, par Annabelle Martin Golay, professeure de français :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/28/annabelle-martin-golay-meme-un-cours-virtuel-est-preferable-a-une-fausse-presence_6037963_3232.html