Bulletin d'information académique - novembre 2023
La formation continue le mercredi après-midi ou le soir ? Ce n'est pas si simple, Monsieur le recteur !
A propos de la circulaire académique du 22 septembre 2023
Le ministre Gabriel Attal a donné pour consigne d’organiser 100% de la formation continue des enseignants « hors du temps de face-à-face avec les élèves » dès la rentrée 2024. Dans une circulaire adressée aux directeurs des services académiques et aux inspecteurs datée du 22 septembre 2023, le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a pris les devants pour « faire évoluer [le] modèle de formation continue », tout en disant vouloir agir « avec mesure et bienveillance » au cours de la présente année scolaire, qualifiée d’année de transition.
Agir « avec mesure », c’est-à-dire en fait avec prudence, et pour cause ! Puisqu’il ne s’agit de rien de moins que de nous préparer à accepter de suivre des formations en dehors du temps de service, le mercredi après-midi ou le soir, voire pendant les petites vacances ! Ce qui, en l’état actuel de la réglementation, ne peut évidemment nous être imposé.
En effet, le cadre réglementaire de la formation continue est défini par le décret n°2007-1470 du 15 octobre 2007, dont l’article 9 notamment précise que les formations énumérées au 2 de l’article 1er et qui sont soit destinées à l’adaptation immédiate au poste de travail ou à l’évolution prévisible des métiers, soit destinées au développement des qualifications ou à l’acquisition de nouvelles qualifications, sont prises en compte dans le temps de service et ne peuvent s’effectuer en dehors de celui-ci qu’« avec l’accord écrit de l’agent ».
En réalité, et comme cela avait été déjà fait en janvier 2023 lorsque le ministère avait donné aux recteurs pour consigne d’anticiper la mise en œuvre d’une heure de soutien et d’approfondissement en Sixième et la suppression de l’enseignement de technologie en résultant alors que l’arrêté contenant ces dispositions n’était même pas encore écrit, il s’agit encore une fois avec cette circulaire de mettre en œuvre des dispositions dont le cadre réglementaire n’existe pas, ou du moins n’existe pas encore. On peut dire qu’on se borne à « engager une réflexion », on peut aussi se gargariser des mots « expérimentation » ou même « innovation » tant qu’à faire – et l’on sait que l’académie d’Aix-Marseille ne veut pas être en reste sur ce point, surtout après les encouragements répétés du président de la République qui regarde de près ses progrès en la matière – cela n’en constitue pas moins un passage en force. Et un passage en force dont l’effet, pour ne pas dire l’objet, est d’ouvrir la voie à une annualisation au moins partielle du temps de service permettant de nous imposer des formations hors du temps en présence des élèves.
La circulaire du recteur traduit d’ailleurs très fidèlement la volonté du ministre telle que ce dernier l’a exprimée dans les médias : le but est qu’il n’y ait plus d’absence de professeurs pour cause de formation, comme si un professeur en formation était un professeur absent !
Pour y parvenir, le recteur demande donc de déplacer les formations sur des temps qui n’entraîneront pas la perte d’heures de cours ou, à défaut, de soumettre l’autorisation donnée par le chef d’établissement de suivre ces formations à la possibilité de remplacer les heures de cours, que ce soit via le Pacte, l’auto-remplacement ou les heures supplémentaires, ce qui dans les faits revient à restreindre considérablement le droit à la formation, pour ne pas dire à le supprimer.
Recteur aussi bien que ministre, nul ne songe qu’un professeur travaille en dehors de ses heures devant les élèves et qu’il ne peut donc pas être au four et au moulin même si l’on a pris l’habitude d’en demander toujours plus aux enseignants. Nul ne songe également que les « absences » qui figurent dans l’emploi du temps des élèves ne sont pas des absences en réalité puisque l’agent est en formation, et qu’il n’y avait donc pas lieu de prévoir des heures de cours en même temps. Allons plus loin : le simple fait de ne pas faire figurer de cours sur les emplois du temps des élèves alors qu’un enseignant suit une formation en même temps suffirait pour que ces « absences » qui n’en sont pas mais qui font beaucoup parler les journalistes cessent aussitôt d’exister et d’être à tort comptabilisées. Il faudrait pour cela que les dates de formation soient connues avant l’édition des emplois du temps et qu’y figurent d’autres activités que des activités d’enseignement – et, de l’heure de vie de classe aux autres heures de rien qui encombrent inutilement le temps scolaire, il n’y a que l’embarras du choix ! Curieusement, la circulaire du recteur n’envisage pas un seul instant cette possibilité alors même qu’elle encourage « l’anticipation et la transparence sur l’offre et le calendrier de formation » afin de « prévoir une organisation anticipée de l’emploi du temps du professeur », le recteur allant jusqu’à donner l’exemple d’un enseignant qui verrait son mardi libéré dans son emploi du temps parce qu’il aurait « déclaré en fin d’année précédente son intérêt pour un parcours de formation se déroulant exclusivement le mardi ».
Toujours est-il que cette circulaire, que l’académie d’Aix-Marseille a été la première à prendre, contient en filigrane les prémices d’une réforme de la formation continue à venir qui risque d’avoir un impact sur le statut des enseignants du second degré.
En effet, la loi pour une école de la confiance de 2019 a instauré une obligation d’accès à la formation continue pour les enseignants. Pour cela, l’article L. 912-1-2 du code de l’éducation a été modifié en remplaçant ce qui n’était qu’une incitation à la formation (« chaque enseignant est encouragé à se former régulièrement ») par ce qui est désormais une obligation professionnelle (la rédaction issue de 2019 indique que « la formation continue est obligatoire pour chaque enseignant »). Cela ne constituait pas une innovation pour le premier degré, les obligations de service des professeurs des écoles comportant depuis 2008 « dix-huit heures consacrées à des actions de formation continue, pour au moins la moitié d’entre elles, et à de l’animation pédagogique ». À l’inverse, cette affirmation ne s’est pas encore traduite par une modification du cadre règlementaire s’agissant des enseignants du second degré pour lesquels des parlementaires et la Cour des comptes déplorent qu’aucun temps de formation ne figure encore actuellement dans les obligations de service. Or on voit mal en effet comment une telle obligation pourrait se concilier avec la volonté de placer la formation en dehors du service, sauf à s’attaquer au statut des enseignants du second degré qui définit leur service par les heures d’enseignement en présence des élèves !
Pour Action & Démocratie, la formation continue reste un droit avant d’être une obligation. Nous affirmons que, pour ne pas supprimer des heures d’enseignement, il existe d’autres moyens que de placer les formations en dehors du temps de service. Et nous disons clairement que faire de la formation continue une obligation professionnelle ne saurait avoir pour conséquence d’alourdir encore le service des enseignants. Action & Démocratie/CFE-CGC n’hésitera pas à contester auprès du Conseil d’État toute disposition de ce genre.