Hussards désarmés ou Eduscol contre les fake news

« Pour les valeurs de la République en avaaaaaaant ! » hurle une escouade de CRS armés jusqu’aux dents, dans une scène hilarante autant qu’unique en bande dessinée (La méthode Champion, aux éditions Fluide Glacial). Tant que le héros violentait les membres d’une association de « riro-thérapie », les autorités ne jugaient pas utile d’intervenir mais « la municipalité avait dû réagir lorsqu’il s’était attaqué au cours de macramé de la salle 106, que dirigeait l’épouse du député. La tolérance a ses limites ». Sur Eduscol, aussi !

Le bien connu portail d’informations et de ressources pour les personnels de l’Education Nationale vient de déclencher une mini-polémique avec deux publications consécutives intitulées « Ecouter la parole des élèves en retour de confinement Covid19 » et « Coronavirus et risque de replis communautaristes », publications destinées à conseiller les enseignants qui accueillent des élèves fraichement déconfinés. Morceau choisi :

« Des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables. La référence à l’autorité de l’Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique. Les parents seront alertés et reçus par l’enseignant, le cas échéant accompagné d’un collègue, et la situation rapportée aux autorités de l’école. »

Voilà qui appelle plusieurs remarques et avant tout celle-ci : Quels propos « inacceptables » nos élèves pourraient-ils tenir au sujet du coronavirus ?

L’on n’a certes pas oublié qu’au début de cette crise des abrutis avaient tagué de propos racistes quelques vitrines d’un quartier chinois de Paris … Hors sujet, il est question de « l’autorité de l’Etat pour permettre la protection de chaque citoyen », s’agirait-il alors de sanctionner chez les enfants des critiques sur la façon dont le gouvernement a géré la crise du Covid19 ? Cela paraît énorme mais le propos étant fort ambigu, beaucoup de professeurs et de simples citoyens l’ont compris ainsi. Les professeurs devraient-ils alors se préparer à convoquer les parents dont les bambins se permettent de moquer l’incapacité de la porte-parole du gouvernement à enfiler un masque ? « J’attends de pied ferme d’être convoqué, déclare un parent d’élève sur Twitter. Si un enseignant donnait une punition à mon fils pour ça, je peux vous assurer que le prof et son directeur ils la boufferont la punition». Nous voilà prévenus, c’est bon à savoir car la cantine n’a pas encore rouvert.

Il n’est bien sûr plus à démontrer que nos élèves dès le plus jeune âge sont sensibles à des discours hostiles au gouvernement en place tenus dans leur entourage ; en témoignent ces enseignants qui l’an dernier regardaient médusés leurs élèves « jouer aux gilets jaunes » dans la cour, avec slogans, chorégraphies et charge de CRS à la fin (authentique).

C’est donc en connaissance de cause qu’Eduscol appelle les enseignants à « identifier les changements de comportements des élèves, susceptibles d’être provoqués par des influences familiales ou extérieures », à « sensibiliser les élèves aux risques des discours dangereux qui prodiguent de faux remèdes et des conseils dangereux  en lien avec le Covid19 » et enfin « développer l’esprit critique des élèves pour mieux lutter contre la désinformation, les fake news, les rumeurs et les théories complotistes ». Rien que ça. Les juvéniles adeptes de la chloroquine n’ont qu’à bien se tenir.

Hélas, ce que nos chers conseillers d’Eduscol ont dramatiquement oublié, c’est de nous la dire, la vérité sur le Covid, à nous qui sommes censés la répandre telle parole d’évangile (oups). Alors… finalement le masque c’est utile ou pas ? Le virus vient du pangolin ou d’un pokemon? les gouvernements qui n’ont pas confiné leur population sont-ils des irresponsables ? Parce que bon, s’il s’agit de démontrer avec autorité à Dylan que le vaudou ne permet sûrement pas de guérir du Covid, OK. Mais comme pour la plupart d’entre nous, les études se sont arrêtées à la dissection de la grenouille, on se gardera bien de départager Michel Cymès et Didier Raoult.

Au lieu de râler encore (« les profs… »), écoutons ces quelques collègues qui pleurent de gratitude en ouvrant leur page Eduscol : « Ah pour une fois que le Ministère nous aide à gérer une situation compliquée ». C’est vrai qu’en général les situations compliquées on les gère sans lui, alors… pour une fois pourquoi ne pas saisir cette main tendue ?  

-Allo M. L’inspecteur, le petit Johnny 8 ans, est en train de détruire ma classe. Les autres enfants se sont réfugiés au réfectoire, surveillés par le maire qui heureusement passait par là.

-Surtout ne le touchez pas pour éviter les accusations de maltraitance. Parlez-lui avec bienveillance. Au revoir.

-Non, attendez. Il a aussi crié : « Macron est un illuminati. Dieudonné a raison! »

-On vous envoie de l’aide tout de suite, je préviens le recteur et le Ministère, tenez bon !

Car comme on le disait en introduction, la tolérance a des limites. La chienlit dans les classes oui, mais pas dans les têtes !  Pour les valeurs de la République, en avaaaaaant !

Du temps de Najat Vallaud-Balkacem, on ne lésinait pas non plus sur le formatage, pas question ainsi de laisser les enseignants sans « ressources » pour traiter des attentats de 2015. Les consignes furent très claires avant tout échange avec nos élèves : Bannir tout propos politiquement incorrect ou potentiellement jugé tel par le gouvernement en place. Répétons bien que la politique internationale de la France n’a joué AUCUN rôle dans la déstabilisation de la Syrie et donc le renforcement de l’Etat islamique. Contentons-nous de belles paroles lénifiantes sur le vivre-ensemble. Les terroristes ? méchants par nature, voilà.

Nous on est des gentils et ils n’auront pas notre haine.

Dans une enquête récente sur les dispositifs d’éducation aux médias au lycée, (le Monde diplomatique (Quand les médias rééduquent les lycéens), la journaliste Sophie Eustache observait très justement que ces dispositifs visaient moins à développer le recul critique sur les grands moyens d’information que de rétablir la confiance vis-à-vis du journalisme et d’inculquer les « valeurs de la République » aux jeunes des quartiers populaires. » Et si plutôt que de tenter de « formater », « déformater »,« reformater » la pensée de nos élèves (avec bien peu de succès, de surcroît), on considérait (enfin) que le meilleur service à leur rendre est de leur apprendre à maîtriser leur langue ? Penser librement implique de maîtriser la langue, or les « réacs » et autres « consternants » ne sont plus seuls à constater que nos bambins et ados maîtrisent de moins en moins bien leur langue, certains pédagogues ont mis du temps à l’admettre mais mieux vaut tard que jamais.

Une évidence soulignée par le philosophe René Chiche, (La désinstruction nationale) qui déplore qu’on ait fait le choix d’ « enseigner les médias et le décryptage des « fèqueniouzes » plutôt que la démonstration de mathématique » ou encore d’ « initier à la philosophie dès la maternelle par des « débats » plutôt que faire simplement lire les chefs-d’œuvre et donner le goût de la langue en puisant à la source ».

En attendant que la raison l’emporte… ce soir l’équipe enseignante se prépare à affronter la Bête immonde. On attend de pied ferme les parents du petit Kévin, ce dernier ayant tenu des propos inacceptables que nous citons avec effroi :« le président a créé le coronavirus dans un labo pour tuer les vieux pour pas payer leur retraite. » Même que le Youtubeur qui l’a dit avait 100000 vues, ça vous calme les profs ? Cette graine de gilet jaune n’ayant pas accepté de retirer ses propos, on use de la manière forte, CONVOCATION.

Hélas trois fois hélas… trois décennies de « Pas de vague » ça laisse des traces. Depuis qu’on lui a sucré son estrade, qu’on lui a inculqué à l’IUFM que l’autorité c’est fasciste et que la punition traumatise les enfants qui plus tard se vengeront sur leurs propres enfants, voilà que dans sa classe le professeur n’impressionne plus grand monde. La nature ayant horreur du vide, les perturbateurs sont enfin libres de pourrir la scolarité des autres. De même, dans la rue, les délinquants sont libres de pourrir la vie des habitants de leur quartier.

Heureusement que dans un pays où caillasser des pompiers est sanctionné d’un rappel à la loi (Ah mais !), les fèqueniouzes et la haine sur internet sont combattus sans relâche. Non non, l’autorité de l’Etat n’a pas dit son dernier jet de LBD.

-Madame, Monsieur, votre enfant a tenu des propos inacceptables.

-Et ta sœur ?

-Je suis le bras de l’Etat, je vais sévir. Pour les valeurs de la République, en avannnnnt !