L’inclusion : entre petites satisfactions et grandes souffrances

Octobre 2024

« Que faire quand vous prenez une gifle par un enfant et qu’un autre élève de la classe vous mord les doigts ? » demandait il y a quelques semaines cette AESH d’une académie du sud de la France à son troisième jour dans « une classe compliquée ».

« Coups de pied, chaises lancées en classe : une directrice d’école porte plainte contre un élève de 8 ans » titrait La Voix du Nord suivi hier par Le Figaro en rapportant les violences subies par notre collègue de l’école René-Bry de Trélon (Hauts-de-France), à qui vont toutes nos pensées solidaires.

Allons-nous tous devoir en arriver là pour que l’on s’intéresse enfin à la réalité de l’inclusion de ces enfants dans nos classes ?

Il est urgent que le sujet soit traité sérieusement et sans langue de bois, dans toute sa complexité et en tenant compte de tous ses aspects, les bons comme les mauvais et les pires. Et ceux qui sont sur le terrain sont les mieux placés pour cela.

« Encore un cri… un hurlement en pleine classe devrais-je dire… Un autre enfant qui se lève et court après le premier… qui vient de lui prendre son feutre des mains et de s’enfuir hors de la classe avec. Du chahut dans toute la classe et des risques énormes que la maîtresse doit gérer à tous les instants pour éviter que la situation ne dégénère.

Un sourire… quelques applaudissements et des éclats de rire autour de cet enfant qui réussit malgré ses difficultés et ses différences. Un instant de bonheur pour l’enseignant, l’idée de remplir sa mission d’apprendre à tous. »

Et si nous parlions de l’inclusion avec des mots simples, des mots qui collent à la réalité du terrain comme le fait cette collègue ? Et si nous prenions tous enfin la parole, sans posture idéologique, sans chercher à prouver quoi que ce soit, juste pour dire le réel et mettre noir sur blanc le vécu des personnels qui accompagnent dans les écoles ces nombreux enfants quelquefois en réussite scolaire, mais souvent très peu élèves et source de profondes angoisses pour tous, autres enfants comme adultes ?

Nous avons besoin de votre témoignage pour faire bouger les choses !

« Accueillir dans une même classe de CP/CE1 un enfant avec trouble autistique + un enfant hyperactif en attente de traitement médicamenteux + un dysphasique sévère + une enfant en attente de diagnostic dyspraxie ou pas, sans aucun AESH, ça parle tout seul, non ? »

Voilà ce que nous écrivait l’an dernier une autre collègue suite à notre appel à témoignage dans une circonscription des Yvelines.

« Ça parle tout seul » ? Pas sûr. Ça parle évidemment à ceux qui savent de quoi elle parle. A ceux qui vivent la même chose et qui sont de plus en plus nombreux.  Voici la suite de son témoignage :

« Devant la difficulté à supporter les cris, l’agitation constante et l’impossibilité d’entrer dans les apprentissages d’un ou plusieurs élèves (situation récurrente depuis 3 ans) au milieu d’un groupe-classe de 26 CP ayant eux-mêmes de grandes difficultés (public de REP… mais école non classée REP), je suis sous anxiolytiques pour continuer malgré tout à exercer mon métier, parce que l’injonction “Faites-vous arrêter” renvoie à me dire que je suis une incapable, malade, et coupable et ça, c’est encore plus déprimant car j’aime enseigner…et que je sais que je ne serai pas remplacée faute de ZIL. »

Combien sommes-nous à pouvoir écrire peu ou prou les mêmes choses ? Combien sommes-nous à souffrir, à culpabiliser, à chercher pendant des heures des solutions introuvables, à tenter des adaptations incroyables pour parvenir à gérer miraculeusement la classe malgré tout ? Combien sommes-nous à tenir ainsi, coûte que coûte ?

A l’évidence, très nombreux, et de plus en plus nombreux. Avec beaucoup de questions et le sentiment que cela ne peut pas continuer ainsi.

« Que faire quand vous prenez une gifle par un enfant et qu’un autre élève de la classe vous mord les doigts ? » demandait cette AESH d’une académie du Sud de la France à son troisième jour dans « une classe compliquée ». Le problème est que ces classes dites compliquées sont en passe d’être la norme ! Elles sont devenues si fréquentes qu’il faut désormais s’estimer heureux quand les situations qu’elles regroupent ne sont pas trop nombreuses, ni impossibles à maîtriser ensemble. Ces situations sont très diverses et ne peuvent pas être traitées de la même façon, tant les solutions dépendent du vécu et de l’élève à inclure : de la différence où l’adaptation pédagogique est requise et justifiée, et surtout permet les progrès et l’apprentissage dans un cadre relativement serein, aux inclusions extrêmement difficiles pour ne pas dire subies par tous, où la progression de la classe entière est remise en question, et la souffrance partagée par tous.

« L’Ecole inclusive, c’est pour moi la cause n°1 des souffrances psychologiques des enseignants du premier degré, et les instits ne vont pas bien, pas bien du tout. De plus, l’école n’est pas un lieu pour accueillir des enfants avec des handicaps mentaux aussi lourds, et la présence ou non de personnels AESH n’y change pas grand-chose, il faut à ces enfants des locaux adaptés, des personnels formés, sans quoi ils ne peuvent ni être heureux ni progresser.

On s’est plantés, il faut revenir là-dessus, les enfants à besoins particuliers doivent être inclus de façon intelligente et pas automatique, je sais que ce n’est pas politiquement correct mais je suis certain que la majorité de mes collègues le pensent sans oser le dire. » (Philippe, PE, académie Orléans-Tours)

Eh bien, osons le dire !

Comme Philippe, Fadela, Cécile, Xavier, Valérie, Lucie, Pascal, Romain, Catherine et tous ceux dont vous pourrez déjà lire les témoignages ici, n’hésitez plus à prendre la parole et écrivons ensemble le livre noir de l’inclusion scolaire, un bilan d’étape de l’inclusion que personne ne pourra ignorer ni mettre sous le tapis car il sera réellement basé sur votre vécu au sein des classes !

Action & Démocratie aura à cœur de recueillir l’ensemble de vos témoignages en vous garantissant l’anonymat et s’engage à porter votre parole aux plus hautes autorités afin que l’on avance enfin sur ce sujet. Nous sommes persuadés que c’est urgent, et qu’ensemble, nous allons vraiment pouvoir faire bouger les choses ! Alors à vos plumes et vos claviers !

Le livre noir de l'école inclusive

Vos témoignages

[Dernière mise à jour : 15/10/2024]

Cécile

Notre école dispose d’une classe ULIS, ce qui permet une inclusion partielle de la plupart des élèves à besoins particuliers, je mesure notre chance : En relation avec la collègue chargée de cette classe, nous avons pu mettre en place un emploi du temps qui tient compte du profil de chaque élève, une inclusion à visage humain, basée sur la réalité et pas sur un dogme. Mais pour d’autres enfants handicapés qui ne sont pas n ULIS c’est plus compliqué, j’ai par exemple un élève très dyslexique en CM2, l’adaptation me demande beaucoup de travail de préparation supplémentaire mais surtout le temps que peut lui consacrer son AESH est très insuffisant, cette personne -bien que compétente et dévouée- doit s’occuper de trois élèves dans l’école, c’est du saupoudrage !
Notre commune dispose d’un IME, je redoute le jour où il va fermer et où l’ensemble de ces enfants seront inclus en milieu ordinaire, ce sera ingérable.

Pascal

« L’école inclusive », l’idée sur le papier est très belle mais la réalité de terrain est compliquée, l’inclusion ne devrait pas être systématique mais au cas par cas, tout dépend de la nature et de l’ampleur du handicap, je pense que certains élèves que l’on inclut n’ont pas leur place dans des classes ordinaires. Car mêmes les élèves dits « ordinaires » deviennent difficiles à gérer, avec une attention et une concentration très réduite, sans compter parfois les effectifs trop élevés. L’inclusion se rajoute à aux difficultés : j’ai chaque année des élèves qui ont des besoins particuliers, certains avec des notifications MDPH, d’autres qui ont des troubles non reconnus. A la fin d’une journée, c’est très frustrant de se dire « tu ne peux pas te multiplier » « tu ne peux pas répondre aux problématiques posées par ce type d’élèves »… Je vois trop d’enfants qui sont en souffrance et pour qui je ne peux rien faire. Les structures médico-éducatives adaptées doivent non seulement subsister mais même se développer, si l’Etat les ferme pour balancer tout le monde en milieu ordinaire, ce sera un désastre, la casse définitive du service public, plus personne n’arrivera à travailler. J’en veux à ces politiques qui n’ont aucune idée des réalités du terrain, ils ne voient que la communication et la comptabilité !

Valérie (Orléans-Tours)

Je suis enseignante spécialisée de Réseau d’aide et je constate chaque jour les difficultés que rencontrent mes collègues avec l’école dite « inclusive » : élèves handicapés, autistes ou ayant des troubles du comportement, violents… Les enseignants du primaire sont dépassés et se sentent abandonnés. En début d’année, les PE de notre secteur demandent au RASED de prendre en charge les « enfants en difficulté » mais je suis contrainte de leur expliquer que beaucoup de ces enfants ne relèvent pas de notre champ de compétences, qu’ils ont un handicap et ont besoin d’une prise en charge extérieure. Ce diagnostic est souvent très mal pris par les collègues : « Mais qu’est-ce que je vais faire moi avec cet enfant ?! Tu pourrais quand même le pendre pour me soulager quelques heures par semaine ! » et c’est souvent ce que je finis par faire en effet. Mais cette prise en charge, inadaptée, ne sert qu’à aider l’enseignant et n’est pas bénéfique pour l’enfant.
L’école inclusive telle qu’elle est pratiquée est source de souffrance, l’enseignant n’est pas formé et se retrouve généralement seul face à un problème insoluble. Quand des soins extérieurs sont décidés, ils mettent beaucoup de tps à se mettre en place et encore plus de temps à faire de l’effet. Quand un placement en établissement médico-éducatif est décidé, il faut des années pour qu’une place se libère. Et -pire- si ces établissements venaient à fermer et leurs personnels transformés en équipes mobiles, les classes deviendront totalement ingérables : ces enfants à besoins particuliers qui réclament une attention spécifique et constante ne pourront jamais supporter la « pédagogie de masse » et les enseignants vont massivement jeter l’éponge. Ils sont déjà nombreux à le faire.

Fadela

Nous avons eu notre évaluation d’école cette année, nous en avons profité pour déplorer le plus gros souci à nos yeux : la mutualisation des AESH ! J’avais l’année dernière un enfant de Moyenne section diagnostiqué hyperactif, il ne parvenait pas à se concentrer, à rester assis, il criait, se roulait par terre, se faisait même du mal, j’ai dit à mon IEN que s’il devait rester en milieu ordinaire alors il avait besoin d’une aide permanente, que les crises pouvaient se déclencher n’importe quand. Mais nous n’avons pas pu obtenir davantage d’heures. Finalement, ça s’est amélioré parce que l’enfant a reçu un traitement médical. Dans la classe de ma collègue qui a des GS/CP/CE1 une autre AESH est présente à plein temps mais pour 3 enfants à la fois !
Je suis scandalisée que la profession d’AESH soit si peu reconnue, mal payée et mal considérée, alors que ces personnels sont aujourd’hui essentiels. Si l’école inclusive va plus loin dans les prochaines années, en incluant tous les élèves handicapés, ce sera une catastrophe, car jamais l’Etat ne mettra les moyens suffisants.

Lucie (Indre)

« Dans notre petite école de campagne, il a fallu attendre quatre ans avant qu’un enfant extrêmement violent soit enfin orienté en ITEP, cette situation a usé jusqu’à la corde plusieurs enseignants et fragilisé beaucoup d’enfants de la classe. Cet élève refusait tout travail et n’acceptait que de jouer ou colorier toute la journée. Quand il piquait une crise, il fallait que je protège les autres enfants, quitte à prendre des coups. Qu’on ne vienne pas me dire que la place de cet enfant était dans une école ordinaire, il avait besoin de soins urgemment et d’un enseignement adapté, il rendait aussi la vie impossible à ses camarades. Il faut des moyens pour les ITEP, ils sont débordés. Les enseignants comme moi ne sont pas formés à gérer une telle violence et ce n’est pas mon métier. »

Philippe (Orléans-Tours)

L’Ecole inclusive, c’est pour moi la cause n°1 des souffrances psychologiques des enseignants du premier degré, et les instits ne vont pas bien, pas bien du tout. De plus, l’école n’est pas un lieu pour accueillir des enfants avec des handicapés mentaux aussi lourds, et la présece ou non de personnels AESH n’y change pas grand-chose, il faut à ces enfants des locaux adaptés, des personnels formés, sans quoi ils ne peuvent ni être heureux ni progresser.
On s’est plantés, il faut revenir là-dessus, les enfants à besoins particuliers doivent être inclus de façon intelligente et pas automatique, je sais que ce n’est pas politiquement correct mais je suis certain que la majorité de mes collègues le pensent sans oser le dire.