Pour une école inclusive digne de ce nom
Conseil supérieur de l’éducation – séance du 9 avril 2021
Déclaration préalable Action & Démocratie/CFE-CGC
Monsieur le Ministre, madame la Présidente, mesdames et messieurs les membres du CSE,
Les AESH, accompagnants et accompagnantes des élèves en situation de handicap, étaient hier mobilisés pour dénoncer la précarité de leur métier, réclamer de dignes salaires et de meilleures conditions de travail. La crise sanitaire et la mise en place des PIAL ont encore accru leur légitime colère. Leur situation, qui est à elle seule un scandale, vient de plus braquer un projecteur sur cette grande « révolution » éducative que l’on nomme « école inclusive », dispositif dont le ministère se gargarise mais qui cristallise le mécontentement d’une grande part de nos collègues.
Comme nous le savons tous, l’école inclusive consiste à scolariser TOUS les élèves en milieu dit « ordinaire », avec des aménagements spécifiques. Une belle idée sur le papier, mais beaucoup de difficultés sur le terrain. Le décalage entre les jolis PowerPoint publiés par les rectorats et la réalité dans les établissements est abyssal.
D’abord une précision importante : comme le rappelle très justement Sylviane Corbion, docteure en sociologie, dans son récent ouvrage L’école inclusive- Entre idéalisme et réalité*, « l’école inclusive ne concerne pas que les enfants dont le handicap est médicalement reconnu mais aussi les élèves en difficulté scolaire ou en difficulté sociale ». On parle donc bien de tout élève dont le profil ou le comportement sort de l’ordinaire et influe de manière importante sur le climat d’une classe. Pour inclure au mieux ces élèves à profil particulier, les collègues enseignants et AESH déploient chaque jour des trésors de patience et de pédagogie. Malgré cela, les situations d’échec sont aussi nombreuses que totalement ignorées par l’institution.
A l’heure actuelle, près de 80 % des élèves handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire, contre un peu plus de 20 % en IME ITEP (établissements médico sociaux) et établissements sanitaires. Il ne s’agit pas de nier que beaucoup de ces inclusions sont heureuses, mais personne ici n’ignore que certains types de handicaps génèrent des difficultés d’adaptation sociale et de comportement. Fatalement donc, les enseignants se trouvent à devoir gérer des enfants au comportement inadapté, voire violent. Rappelons que ces comportements peuvent avoir des causes très variées qui ne relèvent pas forcément du handicap, mais le résultat quant à lui est le même : certains de ces élèves perturbent gravement le fonctionnement de la classe, au détriment non seulement de l’équilibre psychique de l’enseignant, des autres enfants dont on bafoue le droit à apprendre dans la sérénité, mais aussi au détriment de l’enfant ESH lui-même, qui perd son temps en milieu ordinaire et se voit privé du droit d’être pris en charge et correctement aidé dans une structure médico-psychologique adaptée à son profil.
Dans ces situations inacceptables, l’enseignant est très souvent abandonné à son sort par sa hiérarchie et généralement impuissant à gérer une situation à laquelle il n’a jamais été formé. On rappellera d’ailleurs à toutes fins utiles que la fonction d’un enseignant est d’enseigner. Les personnels AESH, quand il y en a, sont bien sûr d’un grand secours mais ne sont pas non plus des super-héros. Leur rôle est d’aider dans ses apprentissages un élève en situation de handicap, l’AESH n’a pas été davantage formé que les professeurs pour gérer de graves troubles du comportement chez un enfant.
Quelle formation d’ailleurs le ministère promet-il à ses personnels pour relever les défis de l’école inclusive ? Pas mieux qu’une « plate-forme de ressources numériques » qui devrait en quelques clics nous transformer tous en professionnels du handicap. Ainsi, Sophie Cluzel, Secrétaire d’état chargée des personnes handicapées, assure benoîtement que « la plateforme de ressources numériques sera suffisante pour leur donner les clés de lecture pour les adaptations » (sic). Que cynisme ! Quel mépris ! Les véritables professionnels du handicap, dûment formés, apprécieront sans doute autant que nous.
Cependant, il importe de ne pas se tromper de combat et de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’école inclusive est une belle idée, une majorité des enseignants d’ailleurs y adhère, pourvu que sa mise en œuvre se fasse dans des conditions satisfaisantes pour tout le monde, autrement dit qu’elle soit un progrès. Est-ce beaucoup demander ? Il ne s’agit pas non plus ici d’alimenter l’opposition stérile entre d’un côté les promoteurs de l’école inclusive qui seraient d’irresponsables rêveurs faisant le jeu de la politique d’austérité du gouvernement et de l’autre des enseignants égoïstes et indifférents au sentiment d’exclusion ressenti par des milliers d’enfants handicapés. Non, il s’agit de rappeler avec bon sens qu’on ne doit pas faire peser sur les épaules des personnels plus qu’elles ne peuvent supporter. Mieux vaut pas d’inclusion du tout qu’une inclusion mal faite dont seuls sortiraient gagnants les comptes publics et les démagogues qui n’ont pas les mains dans le cambouis. Car il est tellement facile de culpabiliser la malheureuse collègue qui ose déplorer à haute voix l’arrivée d’un enfant autiste dans sa classe qui va s’ajouter à ses 30 élèves dont deux violents et dix en grave échec scolaire ! Oh l’égoïste qui ne veut pas sortir de sa zone de confort !
Une école inclusive digne de ce nom se doit de prendre en compte avec pragmatisme le bien-être de tous, elle se doit d’inclure les élèves en situation de handicap, certes en grand nombre, mais au cas par cas.
Car NON, tous les enfants ne sont pas capables de s’adapter au milieu ordinaire.
Une école inclusive digne de ce nom ne consiste pas en un transfert de charge de travail à moindre coût des établissements médicaux-sociaux vers le milieu ordinaire. Quand on sait que le coût de la scolarité en milieu ordinaire (6 300 €/ an / élève en primaire) est 6 à 11 fois moins élevé qu’en institut spécialisé (entre 39 000€ et 72 000€/an/élève), le soupçon est légitime quant aux intentions du gouvernement actuel comme des précédents d’ailleurs. Si vous souhaitez éviter ce procès d’intention, il ne doit pas être question, Monsieur le ministre, de supprimer encore des postes de RASED, des classes d’ULIS et d’ITEP ; au contraire il faut pérenniser ces postes et ces structures, les renforcer même afin de répondre aux besoins qui augmentent chaque année. Il faut enfin sans plus tarder accorder aux personnels AESH un statut et une rémunération dignes.
L’école inclusive OUI, mais avec les moyens adaptés. Sinon, vous n’aurez fait qu’ajouter de la souffrance à la souffrance et fragilisé encore notre système éducatif qui ne résiste (mais pour combien de temps encore ?) à l’effondrement que par le dévouement de ses « petites mains ».
*lien vers une interview récente de Sylvine Corbion par le site Café pédagogique :
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/03/26032021Article637523382593406730.aspx