Le pacte avec les enseignants pour transformer l’école : pourquoi il faut dire non !

Le « pacte avec les enseignants » ou les mirages de la revalorisation

Une démission toutes les trois heures, une crise de recrutement sans précédent, un mal-être au travail grandissant : l’état déplorable dans lequel se trouve l’école de la République et l’amertume de ceux qui la font vivre sont désormais connus de tous. Pour remédier à une situation qui n’est plus tenable, et notamment pour mettre fin au déclassement continu des personnels de l’éducation, le gouvernement déploie de grands efforts en matière de communication afin de persuader l’opinion publique qu’il procède à une « revalorisation historique » du salaire des enseignants. Mais nous savons qu’il n’en est rien : les quelques mesures qui constituent la revalorisation dite « socle », c’est-à-dire la part d’augmentation de salaire sans condition, sont dérisoires en comparaison de la chute de notre pouvoir d’achat et déjà neutralisées compte tenu de la hausse des prix (voir notre analyse, « Revalorisation socle : le compte n’y est pas ! »).

Mais il y a pire : profiter de la paupérisation des personnels enseignants pour leur faire miroiter des primes significatives à condition qu’ils acceptent de « nouvelles missions » ! C’est ce qu’on appelle la « revalorisation-pacte ». Outre le cynisme d’une telle démarche, ce « nouveau pacte avec les enseignants pour transformer l’école », comme sa dénomination complète l’indique, porte en lui les germes d’une profonde redéfinition du métier à laquelle nous ne pouvons souscrire.

Qu’est-ce que « le pacte avec les enseignants » ?

Le « pacte » consiste en un ensemble de « missions » supplémentaires proposées aux agents sur la base du volontariat pour une durée d’un an renouvelable. Il s’agit donc, ni plus ni moins, d’une forme de contrat à durée déterminée. Et, bien qu’il ne porte (encore) que sur des tâches marginales et qu’il ne soit pas (encore) obligatoire, il fait peser des risques bien réels sur nos obligations de service (ORS), déjà mises à mal par la réforme Hamon du statut en 2014.

Les missions du pacte, regroupées dans des ensembles appelés « briques », sont rémunérées en tant que primes et seront versées sous forme de parts variables de l’ISAE (1er degré) ou de l’ISOE (2nd degré). A la part fixe s’ajoutera un montant annuel de 1250, 2500 ou 3750 euros bruts, en fonction du nombre de missions. La prétendue « revalorisation historique » ne comptera donc pas davantage pour la retraite que les mesures du socle de revalorisation sans condition. Initialement prévues pour être soumises à l’impôt sur le revenu, ces primes ne le seront finalement pas, comme le précise la FAQ du ministère : « La rémunération des missions complémentaires sera exonérée de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu dans les mêmes conditions que les heures supplémentaires et les indemnités pour missions particulières. »

Travailler plus !

Une heure d’enseignement de qualité, ce sont des heures de préparation, pour ne rien dire des corrections et autres tâches inhérentes à l’enseignement. Proposer des « missions » supplémentaires revient à ne tenir aucun compte de la charge réelle de travail des professeurs qui croulent déjà sous le travail et l’inflation des tâches, avec des conséquences souvent néfastes sur leur état de santé. Les professeurs des écoles assurent 900 heures de cours en France, alors que la moyenne est de 720 heures annuelles dans les pays de l’Union européenne. Les professeurs certifiés travaillent en moyenne 43 heures par semaine, selon les études du ministère, les professeurs agrégés et les professeurs de lycée professionnel 39 heures. Les enseignants français font plus d’heures et sont moins bien payés que leurs collègues des pays comparables. Ainsi, de 2005 à 2019, leurs salaires ont baissé en moyenne de 4 %, tandis qu’ils augmentaient de 11 % pour les professeurs des pays de l’OCDE. Comment pourraient-ils raisonnablement assumer des missions supplémentaires dans le cadre du pacte sans que cela ne se fasse au détriment de leur mission essentielle, qui est d’enseigner ?

Ajoutons que la contractualisation des missions figurant au pacte fait perdre à de nombreux collègues la possibilité d’assumer librement des tâches qu’ils remplissaient jusqu’à présent en échange d’HSE. Vous aviez l’habitude de participer aux stages de réussite durant les vacances ? Il vous faudra d’abord remplir les missions de la brique n°1 avant d’accéder à la brique qui vous intéresse. Vous acceptiez quelques heures de remplacement, payées en HSE ? Dans le cadre du pacte, vous signez pour un bloc de 18 heures à la discrétion du chef d’établissement. Pour ne rien dire des collègues de lycée professionnel qui devront accepter le mur entier et non telle ou telle brique ! Certains collègues, qui ne veulent ou ne peuvent pas s’engager dans cette formalisation rigide de ce qu’ils faisaient spontanément, perdront donc de l’argent. On peut d’ailleurs s’interroger sur le bénéfice financier de cette prime compte tenu des charges supplémentaires qu’elle entraîne parallèlement, en termes de frais de déplacement, repas ou frais de garde d’enfant par exemple.

Et après ?

Le risque majeur et l’effet le plus redoutable du « pacte », qui ne concernera forcément que certains enseignants, est cependant qu’il instaure deux types de professeurs et introduise la rivalité, la concurrence, la compétition entre collègues et au sein des équipes. Il provoquera de fait une fracture dans le corps enseignant puisqu’il remet en cause l’égalité de salaire appuyée sur la grille indiciaire des fonctionnaires. On peut le voir comme une expérience grandeur nature servant à séparer le bon grain de l’ivraie, à identifier les « bons » professeurs, toujours prêts à répondre aux nouvelles modes. Il ne faut pas négliger cet aspect, ni minimiser les effets, sur l’évolution du système, de la promotion à tout-va de « projets innovants » dont la seule vertu est souvent de faire passer ceux qui se contentent de bien faire leur travail pour des grincheux ou des obstacles au progrès pédagogique. De même qu’il ne faut pas se faire d’illusion quant à la possibilité, pour ne pas dire la probabilité très forte, que ces « nouvelles missions », aujourd’hui effectuées sur la base du volontariat, ne deviennent assez rapidement des obligations. Au regard de ce qui se passe dans d’autres pays européens, on a des raisons de le craindre.

C’est pourquoi Action & Démocratie considère ce « pacte avec les enseignants pour transformer l’école », au mieux comme un mirage et une entourloupe, au pire comme une marque supplémentaire de mépris à l’égard de notre profession et un danger qu’il faut combattre.

Un refus très massif peut mettre en échec ce funeste projet.

Pour nos métiers et nos conditions de travail, disons tous NON à leur pacte !

Pour aller plus loin

Revalorisation-socle : le compte n’y est pas !

La « revalorisation » dite socle est maintenant connue. Elle se fera exclusivement sous forme de primes, ce qui signifie qu’elle ne sera pas prise en compte pour le calcul de la retraite : l’ISOE et l’ISAE seront alignées à compter du 1er septembre 2023 et s’élèveront à 2.550 € brut par an, ce qui représentera une augmentation de 92,36 € net par mois dans le 2nd degré pour tous les professeurs et de 96,15 e net par mois dans le 1er degré.

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Prime d’attractivité : pas pour tous !

Une indemnité dégressive d’un montant de 240 € net par mois à l’échelon 3 et d’un montant de 28,49 € aux échelons 8 et 9 et de … 0,00 € aux échelons 10 et 11. La raison en est simple

 

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Le pacte dans le premier degré : tous perdants !

Un professeur des écoles pourra choisir de réaliser une mission (formant une « brique » du pacte) pour 1250€/an, deux missions pour 2500€/an, voire trois pour 3750€/an. Mais attention ! Quiconque signera un pacte devra obligatoirement commencer par effectuer la « brique numéro 1 », qui consiste en 18h par an de soutien français/ mathématiques en sixième ! Valider la 1e brique donnera accès à la 2e : 24h de devoirs faits en sixième, des heures de soutien en école élémentaire et les « stages de réussite » pendant les vacancesEnfin les mordus qui auront validé les deux premières briques auront accès à la 3e dont les missions sont encore à définir mais qui tourneront autour de la coordination de projets, de tutorat, de pratiques innovantes (sic) et de l’inclusion…

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Collège : le pacte faustien !

La priorité absolue du ministère est en effet de faire accepter la première brique consistant à s’engager à assurer 18 h annuelles de remplacement de courte durée (RCD). Cette première brique permet ensuite (si la personne le désire) d’accéder aux autres (dans la limite de trois au maximum). Chaque brique est rémunérée 1250 euros brut annuel (soit environ 1130 euros net). Un personnel qui effectuera trois briques de missions touchera donc 3 750 € bruts annuels supplémentaires. Le pacte sera signé pour une année scolaire (mais le ministère envisage une tacite reconduction pour les années suivantes…. A suivre !).

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Lycée professionnel : la totale !

Contrairement aux PE et collègues du secondaire, les enseignants du LP n’auront pas le choix. Accepter le Pacte, c’est obligatoirement accepter de remplir 6 des 8 missions. Chaque mission (dite « brique ») permettra à l’enseignant de recevoir une prime de 1250€/an, soit un total de 7500€/an (brut). Qui plus est, les enseignants du LP n’auront pas le choix de décider quelles missions ils voudraient occuper puisque c’est le chef d’établissement qui aura la charge de les lui attribuer. Un véritable « pacte avec le diable » en fonction du management mis en place par le personnel de direction de l’établissement

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Ce que nous demandons pour une vraie revalorisation

La simple justice sociale aussi bien que la crise de recrutement rendent indispensable une vraie revalorisation, à la hauteur du retard accumulé en la matière. Elle exige aussi la remise à plat de la rémunération des heures supplémentaires, dont le montant est une véritable escroquerie, ainsi que la poursuite de l’intégration de l’indemnité de résidence au traitement brut, dont l’interruption n’avait aucune justification. Nous demandons aussi la création d’une véritable indemnité de logement tenant compte du prix des loyers si variable d’une partie à l’autre du territoire national. A ces conditions, ainsi qu’à quelques autres telles que la garantie d’un déroulement de carrière complète sur trois grades ou la promotion automatique à l’échelon spécial de la classe exceptionnelle après trois ans d’ancienneté au 4ème échelon de ce grade, la question d’une augmentation liée à des missions supplémentaires pourra être posée et étudiée. Pas avant !

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Socle, pacte : vue d’ensemble sur les mesures de revalorisation 

Le ministère a annoncé des mesures de « revalorisation » des salaires qui seront effectives dès septembre prochain. Cette « revalorisation » s’organise en une partie dite « socle », et une partie dite « pacte » liée à des missions supplémentaires. A ce jour, aucune publication de ces mesures au BO, aucune circulaire. Les textes officiels seront examinés en CSAMEN le 31 mai 2023. En voici les principaux éléments.

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