Bulletin d'information académique Aix-Marseille - novembre 2023

Vous avez dit égalité filles-garçons ?

Témoignage à propos d'une formation douteuse

Nous reproduisons ci-dessous des extraits d’un témoignage qui nous a été adressé par un adhérent d’Action & Démocratie-Aix-Marseille qui a voulu suivre un atelier dans le cadre des actions labellisées EFG et qui s’est retrouvé embarqué dans une séance de propagande sur l’identité de genre. Si la plupart des actions labellisées EFG sont conformes aux attendus, il ne faut pas tolérer que de telles pratiques se banalisent, ce qui est hélas favorisé par la multiplication des référents-ceci et des référents-cela. Et si l’école cessait de devenir le théâtre d’activités douteuses pour se contenter d’être le lieu où l’on s’instruit ?

 Le collectif « régalons-nous » (plus exactement « rEGALons-nous », collectif d’éducation populaire féministe créé en 2017) a été invité par le référent égalité de mon lycée. Le sujet annoncé était l’égalité filles-garçons. Il y a eu un atelier de deux heures où une quinzaine de professeurs se sont confrontés à trois activités. J’y suis allé en dehors de mon service autant par curiosité que pour y confronter ma pratique. D’autant plus que dans ma matière, il y a un grand déséquilibre filles-garçons. J’ai très vite déchanté. Toutes les activités étaient orientées et centrées sur l’identité de genre, avec des situations véhiculant les stéréotypes les plus éculés, à croire que depuis que le sujet de l’égalité filles-garçon était posé, on n’avait pas avancé d’un centimètre !

Un premier exemple. L’animatrice met sur la table ceci : « Le masculin l’emporte sur le féminin » et sollicite les réactions des collègues. Je prends la parole :
« – Peut-on considérer cette phrase comme un moyen mnémotechnique de retenir une règle, comme toute autre méthode facilitant les apprentissages que nous pourrions avoir en tant que professeur ?
– Mais, non ! C’est une règle qui dès le CP dit aux garçons qu’ils sont supérieurs aux filles, qu’ils peuvent écraser les filles.
– Euh, c’est quand même une règle de l’Académie française. Elle s’inscrit sans doute dans un contexte historique mais nous pouvons avoir l’intelligence d’évoluer sur la considération à apporter à cette phrase, tout comme sur d’autres sujets.
– Mais avant çà, la langue permettait le neutre. D’ailleurs, aujourd’hui, lorsque je sortirai de cet atelier, parce qu’il y au moins un homme, je devais dire :
« ils ont beaucoup apprécié l’atelier ».

– Ah ben non ! On peut dire « Elles ont beaucoup apprécié l’atelier ».

Très court moment de silence lié à la surprise. Je reprends :

« – Eh bien oui, les personnes présentes, donc elles ! »

Moment de brouhaha : « c’est trop facile… », « ah oui mais… », « vous avez utilisé un mot englobant… », etc. L’animatrice coupe court à la discussion :

« – Je sais que c’est un échange intéressant et que vous aimeriez développer mais, nous ne pouvons pas continuer, nous n’avons que deux heures pour faire ce qui est prévu. D’ailleurs, j’ajoute qu’aujourd’hui vous pouvez utiliser « iel » comme neutre à la troisième personne du singulier et « elleux » au pluriel. Allez, avançons ! »

A ce moment, non seulement, je me sens trompé sur le sujet de l’atelier mais en plus je découvre que nous ne pouvons même pas discuter… J’ai la désagréable sensation de subir un discours formaté et orienté qu’il est interdit de remettre en question ou même d’interroger. Surtout après la longue liste de définitions qui suit : sexe, genre, identité de genre, transidentité, transgenre, genre fluent, hétéronormalité… Tiens, j’aurais aimé échanger sur « l’hétéronormalité », mais non, pas le temps.

Un second exemple est l’échange en petit groupe sur des situations très stéréotypées et très particulières dont je ne saisis toujours pas le rapport avec le thème de l’égalité filles-garçons. Chaque situation est présentée par la formule suivante : « Je suis démuni·e lorsque… », qui elle-même en dit long sur les représentations de cette animatrice concernant les enseignants à qui elle s’adresse.
Sur les trois situations, je ne me souviens que de celle qui a été proposée au groupe dont je faisais partie : « Je suis démuni.e lorsque… une élève demande à ce que je l’appelle par « il ».

Lorsque vient mon tour de parole, j’explique alors que je m’en tiens à ce qui est écrit sur la pièce d’identité de l’élève. J’emploie donc « elle » si c’est écrit « Madame », jusqu’à ce que l’élève me présente sa nouvelle carte où il sera écrit « Monsieur » pour l’appeler « il ».
J’argumente en insistant notamment sur le fait que nous nous plaignons, en tant qu’enseignants et éducateurs, de ce que nos jeunes désirent obtenir tout, tout de suite, facilement, sans effort. De fait, il me semble qu’il est plus constructif pour eux, et que cela fait tout autant partie de notre rôle, de leur montrer les contraintes et difficultés d’un choix, le chemin à parcourir afin de faire passer au principe du désir l’épreuve du principe de réalité, et que nous participons dès lors à la construction de leur personnalité. Or à ce moment-là, j’ai senti l’animatrice coincée dans sa posture « neutre », de non-jugement, comme annoncé en début d’atelier, comme si je l’avais mis dans l’embarras et qu’elle voulait faire part de son désaccord tout en prenant alors conscience qu’elle devait pour cela assumer la position « non-neutre » qu’elle avait en réalité depuis le début de la séance. Mais cela risquerait de se voir. A moins qu’elle n’ait considéré que nous étions pris par le temps…

[…]

Pour finir, il me faut avouer que l’atelier a été beaucoup apprécié par la plupart des personnes présentes. Je fais partie, avec au moins une autre collègue, de la minorité affligée par ce que nous avons entendu, et cela m’afflige même davantage en réalité.

Je le suis d’autant plus que je me suis senti trompé par rapport à ce qui était annoncé et à l’écart entre l’objet officiel et l’objectif réel de l’atelier. L’égalité filles-garçons ? Non, le sujet était bien l’identité de genre. Il aurait fallu le dire d’emblée, les choses auraient été plus claires, plus transparentes, mais peut-être aussi plus difficiles à justifier dans le cadre d’actions labellisées « EGF » (pour égalité filles-garçons). Je quitte donc cet atelier avec des sentiments étranges où se mêlent inquiétude, frustration et déception, n’ayant même pas eu la possibilité de poser la question que j’avais en tête durant ces deux heures d’atelier : avec l’identité de genre et le genre fluent, est-il encore pertinent de parler d’égalité filles-garçons ? Après tout, l’égalité filles-garçon n’est-elle pas à son tour une forme de discrimination, si l’on pousse la « logique » de ce discours jusqu’au bout ?

Cela étant dit, je continue de m’interroger. Que recherchons-nous : des quotas ? Des bons chiffres pour le ministère ou les médias ? Ne s’agit-il pas plutôt de rechercher le bien-être de nos élèves ? Et si le bien-être de nos élèves, des futurs citoyens qu’ils sont, passe par de mauvais chiffres concernant la mixité, est-ce vraiment « mal » ?

Cette formation me laisse aussi un goût amer : peut-on donner à une formation l’objectif de faire changer les comportements sans laisser place à la discussion et sans même s’appuyer sur des connaissances éprouvées ? Est-ce qu’une formation de professeurs peut à ce point se dispenser de s’adresser à l’intelligence de ceux à qui elle est dispensée ? N’est-ce pas alors plutôt un dressage qu’une formation ?

A.P.