Directeur d’école, pour quoi faire ?
Le 12 mai dernier, la députée LREM Cécile Rilhac déposait une proposition de loi créant la fonction de directeur d’école.
A l’automne dernier, le suicide de Christine Renon, directrice d’école en Seine-Saint-Denis, drame qui faisait suite à bien d’autres, soulevait avec plus d’urgence que jamais la question de la direction d’école.
Au début des années 2000 déjà, des milliers de directeurs avaient, par la grève administrative, clamé haut et fort que leur rôle n’était pas de gratter du papier pour flatter l’égo et le goût du « management moderne » de leur ministre. La répression fut terrible et les promesses d’une amélioration de leurs conditions de travail ne furent jamais tenues.
Présent au Conseil supérieur de l’éducation le 9 octobre dernier, Action&Démocratie CGE-CGC a dénoncé les charges et les responsabilités de plus en plus lourdes qui pèsent sur les directeurs, pour un salaire risible et une reconnaissance nulle. Surtout nous avons marqué notre différence en rappelant qu’une augmentation du temps de décharge ne constituerait pas une mesure suffisante et que la priorité était l’allégement des tâches administratives, réputées aussi chronophages que largement inutiles. Nous avons dénoncé le glissement de la fonction du directeur vers un emploi purement administratif, alors que plus que jamais nos élèves ont besoin d’enseignants.
Enfin, Action&Démocratie a rappelé qu’un changement de statut du directeur, faisant de celui-ci un supérieur hiérarchique était très massivement rejeté par la profession. De même que la création des EPLESF (établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux) qui visaient à placer les professeurs des écoles sous l’autorité du proviseur du collège local.
Avec la crise du coronavirus, les voyants du surmenage sont plus que jamais au rouge, les directeurs d’école sont en première ligne pour mettre en application avec célérité des injonctions hiérarchiques souvent contradictoires. Plus que jamais épuisés et malmenés, les directeurs auraient-ils cependant enfin été entendus ?
Car certes, il y a dans ce projet des avancées concrètes :
• Augmentation du temps de décharge. Restons prudents, le projet de loi proprement dit ne s’engage que pour les « grosses» directions d’écoles (huit classes minimum).
• Bonification des indemnités de direction (montant restant à confirmer, les organisations syndicales seront-elles consultées ?) et progression de carrière accélérée.
• Allègement partiel des tâches administratives : l’organisation du PPMS est partiellement prise en charge par le Dasen et l’élection des représentants des parents d’élèves est partiellement simplifiée.
• Invitation aux collectivités locales (qui apprécieront) à fournir au directeur une aide administrative.
Le projet de loi souhaite également voir la « fonction » de directeur d’école évoluer. S’il n’est apparemment plus question de faire de celui-ci le supérieur de ses collègues, la philosophie de cette loi est cependant de lui attribuer des prérogatives d’autorité qu’il n’avait pas jusqu’ici :
• Le directeur devient « décisionnaire » lors des réunions d’équipe et des conseils d’école, au détriment de la prise de décision collégiale qui prévalait jusqu’alors.
• Le directeur deviendrait « délégataire de l’autorité académique » (jusqu’ici seuls les inspecteurs l’étaient). De plus, le mode de recrutement va être modifié et le Dasen pèsera davantage dans la nomination des directeurs.
Alors qu’en pensons-nous ?
Avant tout, il est bon de rappeler que de nombreuses propositions de Mme la députée Cécile Dulhac ne figurent pas dans le projet de loi proprement dit. Et quant au projet lui-même, qu’en restera-t-il après les amendements à l’Assemblée nationale ? Le Ministère de l’Education nationale y souscrira-t-il ?
Si l’on part pourtant du principe que l’ensemble des propositions de Mme Dulhac préfigurent bien une future loi, nous devons admettre qu’elle contiendrait des avancées, les premières depuis tant d’années de silence et mépris vis-à-vis des directeurs d’écoles. Il faut saluer aussi le fait (très rare) que ces propositions sont le fruit de remontées du terrain.
MAIS les propositions d’Action&Démocratie vont beaucoup plus loin et, en l’état, ce projet nous laisse déçus et extrêmement prudents :
1. Concernant l’allègement proposé des tâches administratives, on est très, très loin du compte. De plus, comme nous l’avons déjà dit, on peut légitimement craindre que l’augmentation du temps de décharge accordée soit prétexte à de nouvelles tâches sur les épaules des directeurs : le projet de loi ne sous-entend-il pas de nouvelles « casquettes », comme la participation à l’encadrement de l’accueil périscolaire ? Les directeurs d’école consultés ont déjà eu l’occasion de dresser le catalogue des « inutilités administratives » et surtout des moyens de réduire efficacement leur charge de travail. Sans être exhaustif, les idées ne manquent pas :
*Réduction drastique des remontées d’enquêtes (aucun intérêt pour l’instruction de nos élèves) ainsi que des évaluations nationales, *Simplification radicales ou (suppression pure et simple pour certains) des « formulaires » : déclarations d’accidents, PAI, droit à l’image, DUERP…, *Limitation drastique des envois de mails émanant de l’Administration (Ah le bon temps du timbre postal !), fixation de périodes (vacances, weekends) sans aucun envoi de mail, *Baisse en quantité et en durée des réunions qui souvent ne servent qu’à planifier les prochaines réunions ou à apprécier le bilan moral de M. le Dasen. Les comptes-rendus de ces réunions ne doivent plus être systématiques, *Prise en charge par les mairies des inscriptions des élèves, *Gestion d’Affelnet et des dossiers d’inscription par les secrétariats des collèges, *Accès des mairies au logiciel ONDE afin d’éviter aux directeurs la charge de transmettre des quantités astronomiques d’informations sur les classes et les élèves, *Renforcement des équipes académiques dédiées au « dépannage numérique », trop de directeurs en galère informatique sont livrés à leur sort,
etc… etc… etc…
Là est la priorité ABSOLUE de toute réforme de la fonction des directeurs !
2. Si le directeur devient « décisionnaire » et non plus « coordinateur » dans l’équipe pédagogique, on est en droit d’espérer plus de fluidité et d’efficacité dans le fonctionnement de l’école. Mais on peut également craindre pour la liberté pédagogique des enseignants, qui se verraient forcés de souscrire à tel ou tel projet qu’ils auraient pourtant majoritairement désapprouvé. Ce projet de loi doit donc réaffirmer clairement que la liberté pédagogique des enseignants ne sera en rien diminuée. D’autre part, si le directeur n’est pas un supérieur hiérarchique, il n’y a aucune raison qu’il devienne « délégataire de l’autorité académique ».
3. Laisser à la charge des collectivités locales l’embauche d’une aide administrative s’inscrit dans la funeste logique de désengagement de l’état et dans la rupture du principe de l’égalité républicaine. Chaque école doit pouvoir bénéficier d’une aide administrative pérenne, garantie par l’Etat.
4. Si ce projet de loi peut sembler admettre l’abandon des redoutés EPLESF, nous n’en avons absolument pas la garantie. Nous resterons très vigilants sur cette question comme sur celle des fusions d’écoles que nous condamnons fermement parce qu’elles nous semblent préjudiciables au bien-être des élèves et des personnels.
5. Enfin, nous tenons à rappeler les grands absents de ce projet de loi : l’élève et l’instruction auquel l’élève a droit, instruction pour laquelle nous, enseignants, nous sommes engagés. Il est très révélateur que Mme la députée Dulhac recommande la suppression des Activités pédagogiques complémentaires (APC) pour les directeurs. Toujours moins présent pour les élèves, toujours plus reclus dans son bureau, le directeur est-il condamné à se couper chaque jour davantage de la réalité de l’enseignement? A l’heure où l’instruction recule dramatiquement, où l’illettrisme et la violence scolaire explosent, clamons haut et fort que nos élèves sont notre unique priorité et que nous n’avons pas de temps à perdre pour des tableaux Excel et des formulaires en triple exemplaire.
Le directeur d’école, dans toute la noblesse de sa fonction, anime son équipe, cherche des solutions aux difficultés de son école, fait le lien entre les familles et les enseignants, désamorce les conflits, encourage les projets dont ses collègues sont à l’origine et dont les élèves seront vraiment bénéficiaires… Le reste est superflu.
Quelle loi mettra à l’honneur cette évidence ?
|