Document
Le cours de monsieur Paty
[Extraits]
Les fautes commises par l’institution envers Samuel Paty sont avérées et impardonnables. Plusieurs enquêtes les ont établies et plusieurs livres en ont donné les preuves. C’est au tour de Mickaëlle Paty d’écrire aujourd’hui, et de nous donner une leçon magistrale avec Le cours de monsieur Paty : « J’ai décidé de publier le cours de mon frère pour lui rendre sa dignité d’homme et de professeur. Parce que ce cours est la raison pour laquelle mon frère est mort, et que vous ignorez tout de son contenu. Vous ne savez pas que c’est dans le cadre de cet enseignement, inscrit au programme de quatrième, que Samuel a montré des caricatures. Je le publie aussi parce que j’ai entendu trop de « Oui, mais. » Or en France, on ne met pas de « Oui, mais » après qu’un professeur se soit fait décapiter. On met un point. »
Le commencement
Ce même mardi [6 octobre 2020], entre 12 h 50 et 13 h 40, mon frère délivre son cours « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » aux quatrième 4, comme il le leur a annoncé la veille. L’élève Z. qui chahutait la veille est absente. Comme il n’y a pas d’auxiliaire dans cette classe, Samuel ne propose pas à ses élèves de sortir quelques minutes car ils se retrouveraient seuls dans le couloir, sans surveillance. Il les invite à simplement détourner le regard quelques instants s’ils le souhaitent, et le cours se poursuit sans que personne ne fasse le moindre commentaire.
Mercredi 7 octobre, la principale prend la décision d’exclure Z. pendant deux jours, en raison de son comportement délétère depuis le début de l’année et de ses absences répétées. Cette exclusion est signifiée aux parents par SMS, Pronote (messagerie de vie scolaire) et courrier postal recommandé. Ce renvoi n’a aucun lien avec le cours de Samuel, la jeune élève n’y a d’ailleurs pas assisté, comme l’atteste un mot d’excuse présenté par ses soins. Sa mère prétend aujourd’hui que Z. a imité sa signature, et que son ex-mari et elle ont cru à son mensonge. (…) En tout cas, dès le 7 au soir, le père, Brahim Chnina, rédige trois posts sur son compte Facebook pour manifester sa colère à l’encontre de mon frère, et réclamer une mobilisation en vue d’obtenir sa radiation.
Premier post :
« Incroyable mais vrai et ça vous concerne tous et toutes.
Ce matin le prof d’histoire de ma fille en 4e demande à toute la classe que tous les élèves musulmans de la classe lèvent la main.
Ensuite il leur dit de sortir de la classe car il va diffuser une image qui va les choquer.
Certains sortent et d’autres refusent dont ma fille. Ensuite ce professeur diffuse l’image de quelqu’un nu et leur dit que c’est le Prophète des musulmans notre cher bien aimé Prophète sallallahu’alayhi wa sallam tout nu…
C’est une honte venant de la part d’un professeur qui apprend à nos/vos enfants l’histoire.
Pour ma part, je ne laisse pas passer, demain je vais aller voir le directeur car ma fille est exclue deux jours du collège.
Si vous n’être pas d’accord avec ça, vous pouvez écrire un courrier au directeur de l’école pour virer ce malade et je vous donne l’adresse.
Il faut virer ce professeur d’histoire du collège. »
Deuxième post :
« Collège Bois d’Aulne, 78700 Conflans-Sainte-Honorine, Mr Paty, professeur d’histoire-géographie.
Ce professeur Pathy dit en se vantant à ma fille qu’il a participé à la marche de Charlie.
Vous avez l’adresse et nom du professeur pour dire STOP. »
Troisième post :
« Chers frères et sœurs
Cette histoire est vraie et c’est arrivé à ma fille. Soyons fiers de notre religion et de notre prophète sallallahu’alayhi wa sallam, qui nous a appris la religion musulmane et surtout le bon comportement.
Faites minimum un courrier au collège ou CCIF ou inspection académique ou ministre de l’Education ou président.
Mais faites quelque chose. »
Ces trois posts sont envoyés par Brahim Chnina à tout son répertoire WhatsApp et relayés par ses « amis » Facebook. Abdelhakim Sefrioui fait partie de ses contacts depuis le mois précédent. C’est de cette façon qu’il prend connaissance des posts et se met immédiatement en relation avec ce parent d’élève. Abdelhakim Sefrioui est un militant islamiste fiché S, bien connu des renseignements pour combattre la laïcité dans les services publics. Son mode opératoire est le suivant : il requalifie les rappels à la loi en discriminations à l’égard des musulmans, ce qui lui permet de mener des actions en justice et de convoquer la presse afin d’imprimer dans la tête du plus grand nombre qu’il existerait en France un racisme d’Etat. Son activisme exercé depuis plus de quarante ans lui vaut d’être déjà, au moment de la cabale contre mon frère, inscrit au fichier FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), comptant un peu plus de 10 000 personnes radicalisées susceptibles de passer à l’acte.
Pages 50-53
L'emballement
Le lundi 12 octobre, alors qu’une deuxième vidéo a été postée durant le week-end par le militant islamiste, ce qui affole évidemment l’ensemble de la communauté enseignante, il n’y a toujours aucune réaction à la hauteur de la menace. La directrice demande simplement au référent laïcité de revenir au collège pour rassurer ses troupes, et une réunion de médiation avec l’équipe pédagogique est organisée à 17 heures… en « salle de détente ». Ça ne s’invente pas ! Le référent laïcité se plante face aux enseignants inquiets, la pointe des fesses et les mains en appui sur le rebord d’une table, à la manière d’un prof s’apprêtant à faire classe, puis explique que la situation est sous contrôle, que tout a été mis en place afin de garantir leur sécurité, et que la seule chose à faire maintenant est d’adopter un discours d’apaisement. Samuel, lui, a été positionné derrière ce référent, autant dire au coin, et à nouveau contraint au silence. Il ne fait plus partie du groupe des professeurs. Il n’a commis aucune faute pourtant, on le lui a bien dit, mais cette mise en scène prouve exactement le contraire. Elle le désigne comme coupable, dans la droite ligne de la case cochée par la principale sur la fiche « Faits Etablissement » : il est l’« auteur des faits », et les élèves sont les « victimes » d’une atteinte à la laïcité. Mon frère est pourtant le seul enseignant à être nommément menacé dans cette vidéo qui se viralise, mais à cette réunion c’est le reste de l’équipe dont on veut prendre soin. (…)
On ne rédige pas de courrier aux parents et aux élèves, on ne convoque pas Brahim Chnina pour lui faire admettre que sa fille ment ni pour lui signifier que son discours calomnieux ne restera pas sans suite. On fait le pari que, si personne n’en parle plus, les choses finiront bien par se tasser. Le fameux #Pasdevague… Sauf qu’il existe un autre monde, parallèle à celui dans lequel nous vivons, une « contre-société » pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron, dans laquelle les propos du père de Z. et du militant islamiste vont avoir un écho considérable. Et cela, grâce à de puissants relais. En l’espèce, Radio Maghreb 2 qualifie Chnina de lanceur d’alerte et la Grande Mosquée de Pantin diffuse sa vidéo calomnieuse. Cette mosquée va même jusqu’à reprendre à son compte le superlatif « hajj », dont ce parent d’élève se réclame, et qui est donné aux seuls musulmans ayant accompli le cinquième pilier de l’islam : faire le pèlerinage à La Mecque. Cette vidéo est postée dès le 9 octobre à 19 heures à plus de 10 000 abonnés. Dans les minutes qui suivent, un internaute répond : « Voilà le lycée. » Il reproduit le nom et l’adresse du collège tels que Chnina les a envoyés à ses boucles WhatsApp. Il donne également le nom de mon frère. Le recteur de cette mosquée et cette radio communautaire portent une lourde responsabilité morale dans la mort de Samuel, car ils ont assuré la diffusion à grande échelle de propos violents qui lui ont mis une cible dans le dos.
Pages 123-124
Nous sommes fils et filles d'instituteurs
Voilà où l’a conduit une semaine de menaces, de désaveux et de solitude : à croire lui-même qu’il ait pu commettre une erreur, une maladresse. Alors que trois jours plus tôt, quand rien encore ne l’a abîmé et qu’il prend la parole devant ses élèves pour revenir sur le déroulé de son cours, Samuel ne formule aucune excuse, car il sait qu’il n’a rien fait de répréhensible et que s’excuser entraînerait une remise en cause de son enseignement, ce qui le discréditerait pour le reste de l’année. Au contraire, « il est resté droit dans ses bottes », m’a dit l’auxiliaire après sa mort. Cette phrase me hante. Et me bouleverse. J’y vois toute la rigueur intellectuelle de mon frère, et sa manière de concevoir son métier d’enseignant. Nous sommes fils et filles d’instituteurs. Mes parents ont enseigné toute leur vie dans l’Allier, et ont tous les deux terminé leur carrière comme directeurs d’école en zone d’éducation prioritaire. Comme je l’ai dit précédemment, Samuel était dans l’Education nationale depuis vingt-trois ans ; ma sœur, après l’attentat, a changé de carrière pour enseigner à des enfants en situation de handicap. Quant à moi, je suis infirmière anesthésiste à l’hôpital. Assurer une mission de service public, c’est ce qui nous a guidés depuis l’enfance, et nous y avons consacré nos vies. Ce n’est pas rien.
L’attitude de Samuel durant les dix derniers jours de son existence raconte aussi cette histoire. En dépit des pressions qui seront exercées sur lui, des menaces de mort et de sa propre peur, il ne sera guidé que par une chose, défendre le fait de devoir remplir cette mission : construire des êtres libres. Quand j’essaie de rendre compte du genre d’homme qu’il était, je me souviens de cette anecdote, en date du 15 mars 2020. Le président venait de décréter un premier confinement de quatre semaines, et Samuel m’avait écrit pour me souhaiter bon courage à l’hôpital. Je lui avais répondu qu’il allait m’en falloir, car nous étions passés de deux à trente patients Covid-19 dont un en réanimation, sans compter que parmi le personnel soignant un certain nombre fuyait le combat. Sa réponse fut lapidaire : « Les lâches. » Oui, la lâcheté, pour lui, était sans doute la pire chose qui pouvait vous arriver. Isolé, la peur au ventre, il a continué à se rendre au collège jusqu’au bout et à dispenser ses cours. A aucun moment, il n’a envisagé d’abandonner son poste. Il avait le sens du devoir. Et de l’honneur.
Pages 95-97
J'accuse
Le péril grave et imminent dans lequel se trouvait mon frère n’a en revanche été pris en compte par personne. (…) Les renseignements étaient également informés des vidéos qu’[Abdelhakim Sefrioui] avait réalisées contre mon frère et postées sur les réseaux sociaux, alors pourquoi n’ont-ils pas effectué de veille Internet ? Ou si veille il y eût, pourquoi n’en ont-ils rien fait ? Personne dans ces services n’a-t-il pris le temps de lire les commentaires sous ces vidéos, unanimes dans leur volonté d’« agir » contre mon frère ? Ses internautes pétris de haine considèrent que seule la charia est légitime. Aussi, quiconque viendrait lui porter atteinte ou ne respecterait pas l’oumma doit être puni afin de venger le prophète – c’est ce qu’on appelle le « djihad de défense ». Tel est l’appel de Sefrioui contre mon frère. Face caméra, il se fait passer pour un mufti, seul personnage juridique dans l’islam qui soit en mesure d’édicter une fatwa, sentence ayant la particularité d’être énoncée sans que l’exécutant soit connu ou nommé, de sorte qu’elle peut perdurer indéfiniment dans le temps. Ainsi, bien qu’il soit aujourd’hui mis en examen pour « participation à une association de malfaiteurs terroriste » (et toujours présumé innocent), son appel auprès des musulmans à défendre leur religion demeure. Par ailleurs, et conformément à la loi islamique canonique qui soumet le plaignant à l’administration de la preuve pour formuler son accusation, Sefrioui, dans sa vidéo, va tantôt se servir de Z. comme victime, tantôt comme témoin. A ce dernier titre, l’adolescente est censée lui permettre de prouver qu’il ne tient pas de propos calomnieux à l’encontre de mon frère, ce qui constitue en droit coranique un péché capital passible de l’enfer. Pour cette même raison, Chnina et son ex-femme s’évertueront eux aussi, chaque jour, sans relâche, à glaner des témoignages sur le terrain et sur les réseaux sociaux, afin de conforter l’accusation de blasphème et de discrimination portés contre Samuel. Et pour échapper à la justice française, mais aussi à la justice divine qui réprouve les calomniateurs, ils soutiennent encore aujourd’hui avoir cru le mensonge de leur fille. Dans cette vidéo, qui a circulé à grande échelle sur la toile, le mot « voyou » n’a eu de cesse d’être martelé. Dans l’islam, il n’a pas le même sens qu’en français. Un « voyou », dans l’islam, c’est quelqu’un qui n’a aucun respect. C’est quelqu’un de violent contre qui il faut réagir par la violence. En traitant six fois mon frère de « voyou », Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui s’adressent spécifiquement aux oreilles musulmanes. Ils exigent la radiation de mon frère auprès des laïcs, mais auprès des religieux ils incitent à venger le Prophète.
La possibilité d’exprimer un tel niveau de haine en violation totale de notre droit et la voir bénéficier d’une publicité sans limite est un phénomène auquel nous n’arrivons toujours pas à nous adapter. Pour simple exemple, il m’aura fallu trois mois, assistée de mon avocate, pour obtenir auprès du portail de signalement des contenus illicites de l’Internet, Pharos, la suppression par Facebook France de la vidéo de Brahim Chnina, pourtant mis en examen pour association de malfaiteurs à caractère terroriste. Trois mois durant lesquels ses mots de haine à l’encontre de mon frère décapité ont eu le temps de gangrener les cerveaux de notre jeunesse… Notons que, les jours précédant la mort de mon frère, pas une personne, du rectorat aux services de renseignements, n’a eu même l’idée d’un signalement sur cette plateforme.
Pages 141-143