Une réforme déjà condamnée par l’expérience
Catastrophique car on ne peut qualifier autrement le sabotage délibéré de la fin d’année que la DGESCO reconnaît à demi-mots en proposant des « ajustements » à cette réforme conçue avec la même logique que celle qui s’abat sur le lycée pro depuis des années et qui consiste au fond à diminuer sans cesse les horaires d’enseignement professionnel aussi bien que général. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n’était pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’avancer les épreuves écrites du baccalauréat à la mi-mai afin de dégager six semaines destinées soit à un stage supplémentaire en entreprise, soit à une préparation à l’enseignement supérieur engendrerait le chaos et que les établissements seraient quasiment dépeuplés début mai !
Ce dispositif a donc d’une certaine façon tenu toutes ses promesses : absentéisme massif après les épreuves, classes désertées, stages introuvables ou remplacés par des emplois saisonniers mieux rémunérés, élèves démobilisés après une année scolaire « au pas de course ». Ce qui devait consolider les parcours n’a fait qu’accentuer le décrochage. Chapeau l’artiste !
Le ministère vient d’annoncer que la période de stage serait réduite de six à quatre semaines. Un aveu d’échec ? Un éclair de lucidité ? Un retour du bon sens ? Que nenni ! On ne supprime pas les effets dont on s’obstine à conserver les causes et sauver le « parcours en Y » en réduisant sa durée ne changera pratiquement rien à la désorganisation des établissements et à la démobilisation généralisée qui résultent mécaniquement d’une amputation de l’année scolaire dont les justifications sont totalement déconnectées de la réalité et parfaitement hypocrites : comment en effet la DGESCO peut-elle sérieusement prétendre inciter les élèves de lycée pro à poursuivre des études en BTS (on va même jusqu’à leur y réserver des places) alors même qu’ils reçoivent désormais près de deux fois moins d’heures de français au cours de leurs trois ans d’enseignement ? C’est les envoyer à l’échec et, de facto, plus de la moitié des élèves échouent leur première année de BTS et sortent du système éducatif.
« Errare humanum est, perseverare diabolicum » : voilà donc à quoi l’on pourrait résumer le projet d’arrêté qui sera prochainement examiné par le CSE. Il prévoit de transformer le « parcours différencié » en « parcours personnalisé » [sic], de repousser les épreuves terminales à la fin mai-début juin en ramenant le parcours de fin d’année à quatre semaines, d’ajouter ce faisant l’équivalent de deux semaines de cours en terminale, soit 62 heures réparties sur l’ensemble des disciplines et du soutien au parcours, sans modifier la charge hebdomadaire des élèves. Action & Démocratie CFE-CGC ne pourra donc pas voter en faveur de ce texte en l’état et continuera à réclamer la suppression d’un dispositif qui ne trouve grâce aux yeux de personne, les députés qui se sont intéressés au sujet le jugeant eux-mêmes néfaste.
Quand l’Assemblée nationale parle de « chaos »
En effet, dans le rapport de la mission flash de l’Assemblée nationale sur les réformes du bac professionnel publié en juillet 2025, le « parcours en Y » est qualifié de « vecteur de chaos » dans les lycées professionnels, aggravant l’absentéisme et désorganisant totalement les établissements, ce que l’ensemble des organisations syndicales avaient annoncé sans qu’on daigne les écouter.
Au-delà du seul « parcours en Y », les rapporteurs de cette mission parlementaire rappellent que la voie professionnelle a fait l’objet d’une série de transformations empilées depuis 2009, dont la plus lourde de conséquences fut le passage du bac pro de quatre à trois ans. Et bien entendu toutes ces réformes avaient pour objectif affiché de renforcer l’attractivité et de viser « l’excellence », mais jamais, disent-ils, elles n’ont été sérieusement évaluées.
Ce dernier point n’est pas tout à fait exact dans la mesure où ces réformes ont bel et bien été évaluées, non certes par quelque comité Théodule mais par les personnels eux-mêmes. Et leur jugement est sans appel. C’est d’ailleurs le passage du bac pro à trois ans approuvé par le SNETAA contre ses mandants alors qu’il était majoritaire qui a conduit à la création d’Action & Démocratie en 2010. Notre syndicat reste depuis sa création le seul à réclamer le rétablissement d’un bac pro en quatre ans. Quant aux réformes qui ont suivi « la mère des contre-réformes » de la voie professionnelle, dont les co-intervention et chef-d’œuvre qui ont donné lieu à une nouvelle diminution des heures d’enseignement, nous n’avons eu de cesse de les combattre et d’avertir des conséquences inévitables. Perte d’heures d’enseignement, dispositifs gadgets, désorganisation des parcours, démobilisation des élèves : les effets délétères de ces mesures, prévus et dénoncés, se sont à chaque fois confirmés.
Refonder la voie professionnelle, et non la sacrifier
Cette succession de réformes traduit une logique préoccupante : affaiblir sciemment l’enseignement professionnel pour le remplacer par l’apprentissage en confiant la formation des jeunes à la seule entreprise. Comme l’a cependant rappelé Action & Démocratie dans son adresse au Président de la République en 2022, le lycée professionnel a au contraire été créé justement pour soustraire la formation initiale à la tutelle patronale, en garantissant une formation émancipatrice qui ne réduit pas l’élève à sa seule force productive.
Les professeurs de lycée professionnel sont des enseignants, pas de simples pourvoyeurs de gestes qu’il suffirait d’imiter : leur mission est de donner aux jeunes des savoirs, technologiques et généraux, qui leur permettent d’analyser, de comprendre et de s’adapter aux évolutions des métiers. C’est cette ambition républicaine de la formation professionnelle sous statut scolaire qui est aujourd’hui mise en péril par la fragmentation et l’appauvrissement des cursus.
Réduire de six à quatre semaines la période de stage et un aveu en même temps qu’une fuite en avant qui ne règlera rien. La voie professionnelle doit être refondée, et non sacrifiée. Elle doit pour cela retrouver le temps d’enseignement perdu depuis 2009, la stabilité et la considération qu’elle mérite, celle d’une voie d’émancipation, complémentaire et non subordonnée à l’apprentissage, au service des élèves et de la société.