Conseil supérieur de l’éducation
8 janvier 2024
Déclaration d'Action & Démocratie
Madame la ministre,
La CFE-CGC, qui donne à cet effet mandat à son syndicat de l’éducation nationale, Action & Démocratie, veut commencer cette déclaration par un message de soutien face aux attaques personnelles indignes dont vous faites l’objet depuis votre nomination. Certes, des paroles maladroites ont été prononcées mais vous avez su présenter des excuses aux personnels qui les avaient mal reçues – dont acte. Il est temps de mettre les polémiques stériles de côté et de parler enfin des vrais sujets.
Les vrais sujets sont d’abord l’état général de l’école, qui est mauvais, et la souffrance des élèves et des personnels qui en découle, qui ne cessera que lorsque seront rétablies partout des conditions propices à l’étude et au travail.
Oui Madame la ministre, Mesdames et Messieurs, l’école, qui est le pilier du régime républicain, se porte globalement mal, à l’exception des quelques ilots, dans le secteur public aussi bien que le secteur privé, qui ont su maintenir un climat studieux et un niveau d’exigence sans lesquels il n’y a pas d’instruction – exigence que d’aucuns qualifient d’élitiste pour l’opposer au principe d’égalité, ce qui n’a évidemment aucun sens.
L’école, cependant, ne s’est pas effondrée toute seule ; elle se porte mal parce que les gouvernements successifs n’ont pas su la préserver contre certaines évolutions de la société. Des décennies de réformes catastrophiques vouées à satisfaire les demandes les plus extravagantes ont abouti à ce que des élèves entrent dorénavant au collège sans pouvoir dire combien il y a de quart d’heure dans trois-quarts d’heure et accèdent à l’enseignement supérieur en ayant encore les plus grandes difficultés à lire et à écrire, et ce malgré quinze années ou plus passées sur les bancs de l’école !
Cette réalité, à laquelle tous font face sur le terrain, certains persistent à la nier. Comme disait le philosophe Spinoza, leur cas ne relève plus de l’argumentation mais de l’obstination et de son traitement médical.
D’autres, y compris dans cette assemblée, considèrent que ce n’est pas l’orientation générale des politiques éducatives menées jusqu’à présent, et auxquelles ils ont apporté leur concours, qui est en cause, mais uniquement l’insuffisance des moyens, à telle enseigne que, selon eux, il suffirait de « mettre plus de moyens » pour tout résoudre. Quelle naïveté ! Mettre encore plus de moyens dans un système à bout de souffle, c’est financer la désinstruction au lieu d’y mettre fin.
D’autre encore, et parfois les mêmes que les précédents, y compris dans cette assemblée, sautent sur leur chaise comme des cabris, qui en fantasmant le retour à l’école du passé, qui en agitant le spectre du tri social et de la sélection féroce, qui en brandissant la menace de l’extrême-droite dès qu’on prononce les mots « redoublement », « classe de niveau » ou « uniforme ».
Ce n’est pas sérieux. Et ce n’est pas avec ce genre de postures que l’on va pouvoir redresser la situation ni répondre à la souffrance des élèves et à celle des personnels. Car, redisons-le, outre le coût financier et économique pour la nation, la désinstruction a un coût social et humain beaucoup plus préoccupant et dramatique.
Madame la ministre, votre prédécesseur et désormais chef du gouvernement a fait preuve de lucidité en affirmant que l’heure n’était plus aux constats mais à l’action. L’annonce, en décembre dernier, d’une série de mesures destinées à produire un « choc des savoirs », en dépit de l’inélégance d’une telle formule, nous a fait espérer que nous avions enfin un ministre de l’éducation capable de prendre à bras le corps les problèmes. Hélas, les premières mesures concrètes censées produire ce « choc des savoirs » sont très décevantes et, en guise de « choc », nous n’avons pour l’instant à faire qu’à un « pschitt ».
Si l’on veut vraiment reconstruire l’école, restaurer la confiance et relever le niveau scolaire de nos élèves, il faut rompre avec un demi-siècle de fuite en avant idéologique et changer complètement l’orientation de la politique éducative.
En prenant tout d’abord les mesures indispensables pour rétablir le prestige du savoir et de sa transmission, pour faire respecter l’expertise des professeurs par tous, pour défendre et conforter leur autorité. Vous le dites, mais quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour y parvenir ? Cela passe aussi évidemment par une amélioration très significative de leurs conditions matérielles mais également par l’abandon une fois pour toutes de ces pseudo-formations pédagogiques abstraites délivrées dans des instituts coûteux et inefficaces. C’est sur le terrain qu’on apprend le métier, c’est l’établissement qui doit devenir un lieu de formation permanente et de transmission d’expérience entre des enseignants chevronnés et les débutants. Nous réclamons aussi une révision complète de l’emploi et des missions des AED et la suppression du stage post-concours pour les lauréats au profit de stages in situ avec validation de l’expérience acquise.
Nous demandions depuis 2018 que le redoublement ne soit plus exceptionnel et nous nous réjouissons que cette demande soit enfin satisfaite, d’autant plus qu’elle est celle de la majorité de la profession même si la majorité des organisations syndicales représentatives y est hostile, ce qui pose question.
Nous ne considérons pas pour autant le redoublement comme une panacée, ce pourquoi nous demandons avant toute chose la création d’une année supplémentaire au premier degré, un CM3, qui permettra à ceux dont le rythme est différent de prendre leur temps tout en laissant à ceux qui le peuvent la possibilité d’entrer au collège dès la fin du CM2 ou dès la fin du CM1. Ce qui est certain, c’est qu’on ne doit plus laisser des élèves en difficulté accéder à un niveau supérieur où leurs difficultés deviendront des lacunes insurmontables. Il faut traiter les choses au bon moment, et si cela est fait, tous les dispositifs de remédiation qui pullulent jusqu’à l’enseignement supérieur n’auront plus lieu d’être.
C’est la raison pour laquelle, Madame la ministre, nous sommes résolument opposés à l’instauration de groupes de niveaux au collège, a fortiori sur tous les niveaux comme c’est envisagé. Cette mesure stupide, nous n’avons pas peur de ce mot, porte en effet gravement atteinte à l’unité de la classe qu’il faut au contraire préserver, cela va de soi, sans parler des problèmes sans fin engendrés en termes d’organisation (mise en place sur barrettes et contraintes sur les EDT, risque à terme que les services des collègues de lettres et de mathématiques soient uniquement composés de groupes et non plus de classes, suppression des moyens dédiés aux autres dédoublements ou aux options, etc.). A cette usine à gaz qui est un non-sens pédagogique, nous préférons non pas des classes de niveaux car un certain degré d’hétérogénéité est profitable à la dynamique de la classe, mais des classes de remise à niveau, des classes à effectifs réduits en fonction des besoins en 6e et, le cas échéant, en 5e mais pas au-delà : pourquoi en effet prolonger un dispositif tel que des groupes de niveaux tout au long du collège, sauf à parier d’avance sur son inefficacité et instaurer un collège à plusieurs vitesses qui ne dit pas son nom ?
Madame la ministre, le temps qui nous est imparti ne nous permet pas d’aborder tous les sujets sur lesquels il faudrait engager une vraie réflexion et changer radicalement d’orientation, comme celui de la formation professionnelle sous statut scolaire qu’il faut refonder au lieu de la sacrifier sur l’autel de l’apprentissage. Votre prédécesseur n’a pas non plus eu le temps ni peut-être le courage de revenir sur le contrôle continu au brevet et au baccalauréat dont la prise en compte a des conséquences catastrophiques sur le terrain, entre l’obsession de la note du côté des élèves et des familles, la pression insupportable exercée sur les enseignants, le mensonge sur les notes qui en résulte souvent, pour ne rien dire de la confusion entre l’évaluation formative (devenue pour ainsi dire impossible) et l’évaluation certificative (devenue une fin en soi et parfois sans objet).
Vous le voyez, pour créer un véritable « choc des savoirs », il faut faire preuve de cohérence et d’ambition avec un objectif clair à l’aune duquel définir les mesures appropriées : celui de rétablir un climat scolaire apaisé, serein et propice au travail où des professeurs respectés et hautement qualifiés seront en face d’élèves motivés, ce qui suffira à résoudre la plus grande partie des problèmes.
Quelques-uns, et non des moindres, ont cependant leur source en dehors de l’institution : c’est le cas du rôle des écrans dans la diminution des capacités cognitives mais aussi celui des réseaux dits sociaux dans l’exacerbation de la violence. Il est urgent de s’y attaquer résolument, ce qui relève sans doute d’une action interministérielle. Mais sensibiliser les parents est une priorité. Nous demandons à cette fin la création d’un congé ou d’un crédit-temps de parent d’élève (une à deux journées par an) pour permettre à ces derniers, qui sont les adultes responsables de l’éducation de leurs enfants, de se rendre effectivement aux réunions auxquelles l’institution scolaire les convie parfois en vain.
Refaire de l’école la fierté française et républicaine qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être exige un changement cap mais aussi un changement de méthode et moins de précipitation. Nous y contribuerons volontiers et vous ferons connaître dans les prochains jours l’ensemble de nos propositions pour reconstruire l’école, dont la mission éclair dite « exigence des savoirs » n’a eu qu’un aperçu en raison du calendrier très contraint qui lui a été imposé. Un tel rythme effréné est d’ailleurs en totale contradiction avec l’importance du sujet et conduira, comme avec la réforme du lycée, à faire marche arrière dans quelques mois ou quelques années parce qu’on n’avait pas pris le temps de mesurer toutes les conséquences de décisions prises la hâte. Vous avez le pouvoir de ne pas commettre une telle erreur, et nous espérons que vous en userez en retirant du prochain ordre du jour du CSE le texte si mal pensé instaurant des groupes de niveaux au collège et, comble de l’absurdité, diminuant l’horaire de l’enseignement commun afin de produire un « choc des savoirs » !