Madame la Ministre,
On nous avait annoncé en grande pompe lors de la constitution du gouvernement que l’éducation serait une priorité, votre qualité de ministre d’État et votre rang dans l’ordre protocolaire étant censés en être la garantie. Or, après trois mois passé à la tête du ministère, que voyons-nous ? Quels sont les actes ? Quelles sont les fortes décisions pour commencer à résoudre l’immense crise que traverse notre système scolaire et le découragement des personnels ?
Certes, vous avez renoncé à la suppression de 4000 postes décidée par le gouvernement précédent pour faire de dérisoires économies sur le dos de l’éducation alors que nous apprenons par une commission d’enquête que la situation calamiteuse des finances publiques serait en grande partie due à une erreur majeure d’évaluation des recettes de… 60 milliards, soit, excusez du peu, plus des deux-tiers du budget de l’enseignement scolaire !
Mais en réalité, le rétablissement des 4000 postes est un simple jeu d’écriture puisqu’il est obtenu à moyens constants et, pire, le budget global de l’enseignement scolaire est même en baisse par rapport à celui qui était envisagé par le PLF précédent ! A qui fera-t-on croire qu’on donne priorité à l’éducation en diminuant son budget ? De plus, le renoncement à la suppression de 4000 postes, exagérément mis en avant, ne saurait faire oublier que, dans la réalité, vous avez prévu de supprimer sur le terrain 670 postes dans le premier degré et plusieurs centaines également dans le second degré qui ne sont pas compensés, dans les académies concernées, par les créations dont bénéficient d’autres académies pour un solde positif dérisoire de 283 postes créés au total alors que le manque d’enseignants n’a jamais été aussi important.
Mais il y a plus grave. En votre qualité de ministre, votre premier devoir est de donner aux personnels qui sont sous votre autorité les conditions qui leur permettent d’exercer sereinement leurs missions. Or vous avez laissé sans mot dire celles-ci se détériorer gravement en diminuant de 10% le traitement des agents bénéficiant d’un congé maladie ordinaire alors que tout le monde sait que les personnels de l’éducation sont particulièrement exposés aux maladies de type virales à tel point que le ministère avait renoncé à appliquer le jour de carence au moment de l’épidémie de covid pour cette raison. L’effet de cette diminution de 10% de traitement qui est ressentie comme une punition, sera, compte tenu de la faiblesse de ce dernier, de pousser les agents à venir travailler malades, et par conséquent contagieux pour leurs collègues comme pour leurs élèves : d’un point de vue sanitaire autant qu’organisationnel, une telle mesure est en tout point contraire à ce qui devrait être fait en bonne gestion. Le Sénat a récemment adopté une proposition de loi visant à protéger les personnels de l’éducation en leur accordant notamment, comme AD/CFE-CGC le réclamait, l’octroi automatique de la protection fonctionnelle, et ce qui motive cette proposition de loi, aux dires de leurs auteurs et rapporteurs, est bien la volonté de mieux prendre en compte, au sein de la fonction publique, la spécificité des métiers. Nous saluons cette louable intention des sénateurs mais nous déplorons qu’elle ne soit manifestement pas celle du gouvernement et que la ministre chargée de l’éducation ne soit pas la première à considérer qu’on ne peut traiter la question de l’indemnisation des congés maladies par des mesures concernant toute la fonction publique sans prendre en compte la spécificité des métiers et en l’occurrence la spécificité des conditions dans lesquelles travaillent les personnels de l’éducation.
La même remarque pourrait être faite à propos de la question des retraites et des fins de carrières, sur lesquelles AD/CFE-CGC a des propositions utiles et concrètes qui, tout en apportant des solutions au problème de l’usure professionnelle dont le ministère s’obstine encore à ne rien vouloir savoir, peuvent aussi améliorer grandement la qualité de la formation initiale, dans sa dimension pratique, en permettant aux professeurs débutants de bénéficier de l’accompagnement des professeurs expérimentés.
De manière générale, si l’on veut vraiment enrayer la crise du recrutement qui est le problème numéro un, il faut commencer par cesser de maltraiter les personnels tout en leur disant qu’ils font le plus beau métier du monde. Comment se fait-il en effet, Madame la Ministre, que le plus beau métier du monde n’attire plus ? Et que faites-vous pour mettre fin à cette catastrophe ? Nous allons passer plusieurs heures aujourd’hui à examiner des projets de nouveaux programmes de français et mathématiques pour le cycle 3 et de langues vivantes étrangères comme si c’était la chose la plus importante à faire. Nous allons passer plusieurs heures à examiner des centaines d’amendements déposés par une ou deux organisations pour modifier ici une virgule et là l’ordre des mots dans telle phrase de telle colonne de telle tableau de telle page du programme de français de CM2 comme si c’était une chose importante. Mais enfin, un peu de sérieux ! La qualité de l’enseignement repose exclusivement sur la valeur des professeurs qui, s’ils sont compétents et bien recrutés, n’ont certainement pas besoin de ces programmes qui poussent le ridicule jusqu’à leur formuler des « exemples de réussite » comme s’ils ne savaient pas parfaitement ce qu’ils doivent faire et comment le faire !
Madame la Ministre, au fond, il ne s’agit pas tant de faire de l’éducation une priorité que de redonner à la politique éducative de la nation le sens des priorités : assurez-vous de donner à tous les élèves de ce pays d’excellents professeurs, donnez à ces derniers de bonnes conditions de travail et, pour le reste, qu’on leur fiche la paix : le reste suivra !