Conseil supérieur de l’éducation
8 janvier 2024
Déclaration d'Action & Démocratie
Monsieur le ministre,
On a dit une fois que, pour prouver le mouvement, il suffisait de marcher. On peut ajouter que faire marche arrière est parfois la meilleure façon d’aller de l’avant. Lorsque vous avez repoussé les épreuves de spécialité du baccalauréat général en fin d’année comme nous le réclamions ici même dès 2018, vous avez mis fin à la désorganisation de l’année scolaire en terminale et cette marche arrière a permis à l’éducation nationale de faire un pas en avant en dépit du temps perdu faute d’avoir pris cette décision de simple bon sens plus tôt.
Il en va de même de la suppression de la pseudo harmonisation administrative des notes qui non seulement portait atteinte à la crédibilité de l’examen mais qui était aussi une offense faite aux professeurs et un déni de leur expertise. Cette suppression fait partie des mesures que vous avez annoncées le 5 décembre dernier et qui vont dans le bon sens, tout comme la suppression du caractère exceptionnel du redoublement que nous réclamions déjà par nos amendements lors de la séance du CSE du 14 décembre… 2017 ! En effet, si tant d’élèves parviennent en classe de sixième sans être capables de dire combien il y a de quarts d’heure dans trois-quarts d’heure et tant d’autres parviennent jusqu’en classe terminale en confondant la cause et la conséquence – ce qui n’empêchera pas la plupart d’entre eux d’obtenir le baccalauréat même en ne sachant pas orthographier correctement ce mot –, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont passés sous le radar d’évaluations qui n’ont eu de fait aucune conséquence sur leur parcours scolaire, c’est d’abord parce que le diagnostic sur leur niveau formulé par ceux qui sont les mieux placés pour le porter, à savoir leurs professeurs, n’a pas été pris en compte. Vous avez décidé de rendre aux professeurs le dernier mot en matière de redoublement et c’est une bonne chose car aucune considération tirée du fait, par ailleurs avéré, que les rythmes d’apprentissage varient d’un élève à l’autre, ne saurait justifier qu’on laisse accéder certains élèves ayant de lourdes difficultés à un niveau supérieur où elles deviendront des lacunes insurmontables.
Vous montrez que vous êtes capable de regarder la réalité de la désinstruction en face et de prendre les décisions qui s’imposent. Dont acte. Mais si l’on veut agir efficacement, il ne faut pas le faire à moitié ni prendre, à côté de mesures qui vont dans le bon sens et que nous saluons sans arrière-pensées, des mesures dont nous savons d’ores et déjà qu’elles produiront plus de mal que de bien et sur lesquelles on finira donc par revenir en faisant marche arrière. Evitons de perdre encore du temps !
C’est le cas par exemple de ces « groupes de niveaux » que vous souhaitez instaurer en français et en mathématiques au collège en prétendant que les enseignants les réclament, ce qui est totalement faux. Ce que veulent les enseignants concernés, ce sont des classes moins hétérogènes afin qu’ils puissent travailler et avec des effectifs réduits quand le niveau de la classe est plus faible. Des « groupes de niveaux » dans deux disciplines seulement sont un non-sens pédagogique dont le principal effet sera de détruire le cadre de la classe, pourtant si nécessaire, pour ne rien dire des complications que cette usine à gaz va engendrer sur le terrain dans la confection des emplois du temps et la définition des services. Evitons de perdre encore du temps ! En revanche, rétablissez sans tarder l’heure de technologie en Sixième dont la suppression n’a plus aucune justification.
Vous ne pouvez pas non plus espérer rétablir la vérité des notes aux examens, et partant restaurer leur valeur certificative, en laissant une telle part au contrôle continu dont les effets sont absolument catastrophiques car la pression est devenue telle sur la notation en cours d’année que plus personne n’ose mettre la note que mérite un travail indigent quand il est indigent. De même, vous ne pouvez pas continuer à laisser dans un flou juridique et réglementaire fort problématique l’organisation des jurys du bac dont la composition ne répond plus à aucun principe et s’affranchit même du simple bon sens puisqu’il est désormais fréquent, pour ne pas dire constant, que ce ne sont pas les correcteurs eux-mêmes qui participent aux délibérations et qu’il paraît désormais « normal » dans les rectorats d’affecter un professeur dans un jury qui examine des candidats dont il n’a pas corrigé la moindre copie mais à qui l’on demande tout de même de modifier la note de telle épreuve sur la seule base du livret scolaire !
Monsieur le ministre, allons à l’essentiel et évitons de perdre encore du temps ! Nous l’avons dit ici et ailleurs depuis longtemps, l’école ne repose que sur des professeurs qui se trouvent en face d’élèves qu’ils sont chargés d’instruire, tout le reste devant être considéré comme auxiliaire ou, le cas échéant, encombrant. Et comme nous l’avons exposé dans les 60 propositions que nous vous avons présentées lors de la mission « Exigence des savoirs », c’est sur le professeur, sa compétence et son expertise que tout repose ; le reste est secondaire. C’est pourquoi nous disons que, pour reconstruire l’école, la priorité est de veiller au recrutement d’excellents professeurs qui seront naturellement employés aux tâches pour lesquelles ils auront été recrutés et qui seront traités en conséquence de leur excellence, aussi bien matériellement que moralement par leur hiérarchie, par les élèves et leur famille sans que le code de l’éducation en fasse maladroitement obligation à ces derniers. C’est pourquoi également, attentifs au chantier du recrutement des personnels enseignants que vous avez aussi décidé d’ouvrir, nous réclamons en premier lieu et gage de bon sens l’abandon de l’épreuve pseudo professionnelle dans les concours qui doivent être recentrés eux aussi sur la maîtrise des savoirs car on ne voit pas comment l’on pourrait espérer relever le niveau des élèves en baissant celui des enseignants !
Vous voyez donc, Monsieur le ministre, que respecter l’expertise des professeurs, comme nous le démontrons dans nos 60 propositions, cela ne se limite pas à la question de savoir qui aura le dernier mot en matière de redoublement, redoublement qu’il faut certes rétablir mais que nous ne considérons pas comme la panacée, ce pourquoi nous préconisons la création d’une année supplémentaire dans le premier degré, un CM3, afin que la logique des cycles y soit pleinement respectée sans entraîner les dégâts et conduire à la situation inextricable que l’on constate dans le second degré et jusqu’à l’enseignement supérieur où l’on cherche en vain à traiter, par des dispositifs de remédiation en veux-tu en voilà, les problèmes qu’on a mis sous le tapis dès le début. Nous y reviendrons quand il sera question d’examiner ici votre texte sur le redoublement.
Monsieur le ministre, le respect de l’expertise des professeurs que vous proclamez ne doit pas s’arrêter pas aux portes des lycées professionnels. Or le projet de texte que vous nous soumettez aujourd’hui ne constitue rien d’autre qu’un déni pur et simple de l’expertise et de la compétence propre aux professeurs de lycée professionnel auxquels on va soustraire des élèves pour les confier à des maîtres d’apprentissage qui n’ont aucune expérience pédagogique ! Il faut arrêter de traiter la formation professionnelle sous statut scolaire, qui est une chose, en la confondant avec l’apprentissage, qui en est une autre. Prétendre vouloir améliorer la première tout en niant sa vertu et en considérant que les élèves tireront davantage profit de stages en entreprise que des cours qui leur sont dispensés, c’est un sophisme aux conséquences désastreuses à tout point de vue. Pour rendre effectivement la voie professionnelle attractive et efficace, nous réclamons des mesures de bon sens là encore, parmi lesquelles la possibilité pour les professeurs d’avoir la main sur le recrutement afin de ne pas laisser le lycée professionnel devenir une voie de relégation ou l’antichambre de Pôle Emploi. La motivation des candidats doit pouvoir être mesurée et les professeurs sont les mieux placés pour ce faire. Il est temps de mettre fin aux non-dits en ce domaine et de ne plus accepter ceux qui ne manifestent aucune motivation pour une formation professionnelle tandis qu’il faut au contraire conforter, privilégier et récompenser à la mesure de leurs mérites ceux qui ont clairement exprimé ce choix.
Oui Monsieur le ministre, c’est bien en marchant que l’on prouve le mouvement, même lorsqu’il s’agit de faire marche arrière. Nous vous demandons donc de retirer de l’ordre du jour un texte qui n’est, en l’état, pas même amendable puisqu’il revient à sacrifier purement et simplement le temps consacré à la formation professionnelle proprement dite sous couvert de le rendre plus efficace. Nous vous demandons de changer de cap, comme vous avez su le faire sur d’autres problématiques, et d’engager enfin un véritable et indispensable processus de refondation de la voie professionnelle qui lui permettra de retrouver sa vocation initiale. Evitons là aussi de perdre du temps comme on en a perdu depuis 2018 avec des réformes mal inspirées dont les méfaits étaient pourtant si prévisibles !