Sur l'uniforme à l'école
Billet d'humeur
Je suis né en 1965. Préciser l’époque des premières imprégnations est fondamental.
Durant mes années de collège et de lycée, je n’ai pas souvenance que nous ayons été souvent confrontés, dans les établissements scolaires et les classes où j’étais élève, à des problèmes vestimentaires. On attendait une tenue convenable, et une hygiène correcte. Rien d’autre n’était particulièrement défini. Il allait de soi qu’on ne venait pas à l’école publique en kippa, en djellaba, avec une croix exhibée, pas plus qu’en sandales nu-pieds, ni même en short. On peut s’imaginer la réaction du « surveillant général » (ancien CPE), du proviseur ou des enseignants qui auraient vu débarquer, en 1975-78, un « croc top » ou des pantalons tombant sur des fesses protégées – ou non – par un caleçon (ce n’était pas encore la mode des boxers). L’époque était pourtant très libre, post-soixante-huitarde ; le cheveu était parfois un peu gras, ce qui n’est quasiment plus du tout le cas. L’élève d’aujourd’hui est plutôt propre, et même léché. Mais l’école était encore, au moins au plan symbolique, vécue et reconnue par les familles comme un sanctuaire. Chacun avait en tête une limite : la décence.
Mais la limite et la teneur exacte de la décence varient suivant les époques.
Je ne considère pas d’un œil immédiatement favorable qu’il faille faire entrer l’uniforme « à l’anglaise » à l’école. Parce que je ne pense pas que la forme suffise. Je ne suis pas un formaliste. Pourtant, voilà maintenant près de trente-huit ans que je pratique l’aïkido, un art martial japonais, où, deux fois par semaine, je me vêts d’un kimono blanc, par dessus le pantalon duquel je rajoute une jupe plissée noire ou bleue marine. Le strict respect d’une étiquette est mon pain hebdomadaire. La tenue, les nombreux saluts, aux significations multiples, l’espace du dojo, qui est un espace orienté, chacun des quatre côtés possédant une signification symbolique précise, l’organisation de la pratique et des interactions, tout, presque tout est normé. Mais c’est un art martial ; on peut se blesser ; on pose donc, en amont, les conditions de la réduction des risques. Tout cela contribue à apaiser l’esprit, à modifier le comportement pour l’ajuster à l’objectif : le progrès personnel, la maîtrise de soi, au travers d’une culture somatique et psychique.
Avant l’uniforme, coquille formelle, il y a l’intention. Pourquoi vient-on ? A-t-on l’idée et le sentiment de la valeur de notre engagement ? Sans la conscience des choses, les formes n’ont pas d’effet ; ou bien, pire, elles n’ont que l’effet de leur pure forme, elles sont (excusez le terme) autotéliques : elles risquent d’être perçues comme n’ayant d’autre but qu’elles-mêmes. C’est cela, le formalisme ; et il est là à deux doigts du diktat ; le tout porté par un halo de pensée magique. Cela est pour moi le contraire de l’éducation rationnelle et raisonnable. L’imposition d’une mesure d’autorité amènera ses ripostes. Les singularités distinctives rejailliront ailleurs. Si l’uniforme arrive, il amusera un temps, comme une mode qu’il sera, car l’esprit contemporain vit tout comme une mode…
Une école avec des élèves en uniforme, mais dont l’espace matériel est négligé, pensé parfois en contradiction totale avec les objectifs qu’il est censé servir, n’est pas cohérente ; elle est même absurde. Me vient à l’esprit, en ce début d’année, mes deux classes de Première, chacune de 36 élèves, tassés en dépit du bon sens et de toute humanité dans un volume que je ne peux que qualifier de surpeuplé. J’imagine les mêmes en uniformes, avec cravate et chemise blanche, dans la canicule. Le short ou le bermuda seraient infiniment plus adaptés et ils pourraient tout autant être conseillés – voire devenir obligatoires – lors des épisodes de fortes chaleurs. A moins que ce ne soit la djellaba ou le burnous, vêtements unisexes d’origine berbère, idéaux pour ventiler le corps ou se protéger du soleil par fortes chaleurs.
Si nous voulons penser l’uniforme, il faut le penser en fonction des autres dimensions qui favorisent la discipline, le but étant la formation de l’autodiscipline. Dans le domaine de l’éducation, l’autorité n’est digne que lorsqu’elle est éducative, c’est une évidence logique et éthique. Si, entre autres, l’architecture extérieure comme intérieure était pensée pour enseigner, si les espaces étaient plus signifiants et plus beaux, ces « boîtes » où nous évoluons deviendraient enfin les lieux de culture de soi qu’ils prétendent être.
Une institution qui se respecte se fait naturellement respecter.