La protection fonctionnelle : peut mieux faire !

État des lieux et propositions d’Action & Démocratie

Analyse du bilan de la protection fonctionnelle pour l’année 2022-2023 publié dans la lettre d’information juridique – hors série septembre 2024

  • Qu’est-ce que la protection fonctionnelle ?
  • Un nombre de demandes encore anormalement bas en 2023
  • Un nombre de refus toujours anormalement élevé
  • Une dépense en baisse et d’un montant dérisoire

L’administration a l’obligation de protéger ses agents contre les violences de toutes sortes dont ils peuvent être victime en exerçant leurs fonctions. Du moins en théorie, car en pratique les choses ne sont pas si simples : la protection fonctionnelle, peu demandée, est parfois refusée. Notre analyse du bilan 2023 et nos propositions.

 

A l’heure où le nombre d’incidents graves explose dans les établissements et où la presse se fait l’écho presque chaque semaine d’une agression contre un enseignant ou tout autre personnel de l’éducation nationale, le sujet de la protection fonctionnelle revêt une importance capitale. Aussi convient-il de saluer le hors-série de la lettre d’information que la direction des affaires juridiques (DAJ) consacre en cette rentrée au bilan de la protection fonctionnelle pour l’année 2023.

Si Action & Démocratie se réjouit de l’attention que le ministère accorde désormais à un sujet sur lequel nous sommes pleinement mobilisés depuis longtemps, force est de constater cependant que son bilan, en dépit de données statistiques intéressantes quoique très générales, n’aborde aucune de nos préoccupations et ne fait qu’effleurer le sujet, pour ne pas dire l’esquiver s’agissant des conditions pour le moins opaques dans lesquelles la protection fonctionnelle est accordée ou refusée. Mais pouvait-on s’attendre à un bilan objectif et un début d’autocritique de la part d’une direction ministérielle qui se trouve à la fois juge et partie ?

Pour Action & Démocratie, il est urgent de réformer la protection fonctionnelle pour la rendre effective et restaurer ce faisant la confiance des agents envers l’institution. Nous vous expliquons pourquoi.

 

Qu’est-ce que la protection fonctionnelle ?

 

La protection fonctionnelle est tout d’abord un devoir qui s’impose à l’employeur public à l’égard de ses agents par les articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique. Son importance et sa portée sont rappelées et précisées dans plusieurs textes dont la récente circulaire du 2 novembre 2020 visant à renforcer la protection des agents publics face aux attaques dont ils font l’objet dans le cadre de leurs fonctions et donnant entre autres consignes aux administrations concernées celles d’accorder une attention particulière aux attaques contre les agents via les réseaux sociaux ou bien celle de renforcer le suivi des protections accordées.

La protection fonctionnelle est accordée en cas d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, de violences, d’agissements constitutifs de harcèlement, de menaces, d’injures, de diffamations ou d’outrages subis par les agents durant l’exercice de leurs fonctions et/ou en raison de celles-ci. Elle s’étend dans certains cas aux conjoint et enfants de l’agent. Cette obligation de la collectivité publique envers les agents s’applique enfin à tout le personnel, titulaire ou non (mais avec des modalités de saisine différentes).

Par protection fonctionnelle, on entend toutes les mesures de protection et d’assistance mises en œuvre par une collectivité publique afin de protéger l’agent contre l’atteinte aussi bien physique que morale à sa personne ainsi que, dans certaines conditions, à ses biens. Ces mesures ne se limitent donc pas à la prise en charge de frais d’avocat, qui en est la forme la plus connue et la plus répandue ; elles dépendent de chaque situation ainsi que de la gravité de l’atteinte que le premier devoir qui incombe à la collectivité est de faire cesser dans les plus brefs délais.

L’administration de l’éducation nationale a l’obligation de protéger ses agents dès lors qu’ils font l’objet de telles attaques. Du moins en théorie, car en pratique les choses ne sont pas si simples et la loi est ainsi faite que l’administration peut refuser à l’agent le bénéfice de cette protection, soit en estimant que les faits invoqués par l’agent ne la justifient pas, soit en invoquant une faute de l’agent, ce qu’elle ne se prive pas de faire même si la faute n’est pas établie ou qu’elle est imputée à tort à l’agent (par exemple en cas d’accusation mensongère ayant déclenché une enquête administrative pendant la durée de laquelle l’agent sera présumé fautif et privé de la protection dont il aurait alors précisément besoin, chose que nous constatons hélas fréquemment).

Ainsi, l’administration a de fait le pouvoir de priver ses agents du droit à être protégés que leur garantit pourtant la loi, et ce en s’arrogeant le pouvoir d’apprécier la nature de faits qu’elle pourra estimer ne pas être suffisamment établis ou ne pas être suffisamment préjudiciables pour justifier la mise en œuvre de mesures de protection (comme dans le cas d’insultes par exemple). Cette faculté laissée à l’administration d’octroyer ou de refuser la protection fonctionnelle n’est cependant pas une conséquence de la loi (laquelle impose au contraire cette protection à l’administration comme une obligation) mais un résultat de l’usage puisque, dans la pratique en effet, c’est à l’agent agressé, menacé ou diffamé qu’il revient de demander la protection fonctionnelle. Cela est tout à fait anormal. Pour Action & Démocratie, la protection fonctionnelle doit être systématiquement et automatiquement accordée et ne doit en aucun cas dépendre de l’avis d’un quelconque supérieur hiérarchique, comme c’est aujourd’hui le cas. Au service concerné d’ajuster ensuite les modalités de cette protection en fonction de la situation et de la plus ou moins grande gravité des faits. Mais cette protection est due par principe : elle doit donc être effective et immédiate dès la survenue des faits.

 

Un nombre de demandes anormalement bas

 

Si la DAJ constate dans son bilan et chiffres à l’appui une augmentation des demandes de protection fonctionnelle en 2023 de l’ordre de 30% avec 5264 demandes recensées en tout (mais le périmètre de son étude comprenant, outre les académies, l’enseignement supérieur et l’administration centrale, le chiffre que nous retiendrons pour ce qui nous concerne est celui des académies, 4948 demandes contre 3 733 demandes en 2022, et celui de l’administration centrale qui reste stable avec 35 demandes contre 36 en 2022), elle a tort de s’en satisfaire ou d’en inférer que ce droit est davantage utilisé par les agents que précédemment. Pour Action & Démocratie, c’est encore loin d’être le cas et nous considérons que de tels chiffres, aussi bien en 2022 qu’en 2023, prouvent au contraire que les agents ne sont pas suffisamment au courant de leur droit en la matière.

Il suffit pour s’en convaincre de comparer cette augmentation avec celle de la violence dans les établissements ainsi que de la fréquence des atteintes plus ou moins graves au personnel que nous constatons tous sur le terrain, à tel point que même la presse (nationale autant que locale) s’en fait l’écho presque chaque semaine. Si les victimes de chacun de ces faits exigeaient, comme il se doit, d’être protégées, gageons que le nombre de demandes de protection fonctionnelle serait au moins deux à trois fois supérieur à celui qui est constaté.

Non seulement ce droit n’est pas encore assez connu pour être pleinement exercé, mais il arrive également que les personnels soient dissuadés de l’exercer parce qu’on leur fait comprendre que leur demande sera refusée. Cela est dû au fait que, dans la plupart des cas, la demande est effectuée par la voie hiérarchique ou que sa transmission est soumise à l’avis du supérieur hiérarchique, ce qui n’est pas normal étant donné que le devoir de protection fonctionnelle s’impose non à la hiérarchie mais à la collectivité publique comme telle. Il en irait tout autrement si la protection fonctionnelle était mise en place automatiquement. Et ne parlons même pas des cas, nombreux, où l’atteinte à la personne est causée par le supérieur hiérarchique lui-même (cas du harcèlement moral notamment), même si en principe, dans une telle situation, son avis n’est pas requis.

De fait, 5264 demandes de protection fonctionnelle pour près de 1 500 000 d’agents en tout (puisque le bilan, rappelons-le, porte sur l’éducation nationale et l’enseignement supérieur), c’est un nombre très faible, pour ne pas dire dérisoire. Loin d’être révélateur des progrès effectués en ce domaine, il est avant tout révélateur des progrès qu’il reste à accomplir, et ce à plus d’un titre. Pour mettre les points sur les i et se rendre compte du problème, il faut d’abord savoir que ces 5264 demandes de protection fonctionnelle en 2023 équivalent à un taux de 0,36% environ lorsqu’elles sont rapportées au nombre d’agents du périmètre de l’enquête  (et, si l’on fait abstraction des 35 demandes émanant d’agents relevant de l’administration centrale et des 281 demandes émanant des agents de l’enseignement supérieur, un taux qui n’est guère plus glorieux de 0,4% pour les seuls agents relevant des académies).  Or ce taux est nettement supérieur dans d’autres administrations, et à titre de comparaison, toutes choses égales par ailleurs, il n’a rien à voir avec le taux de 16,6% correspondant aux quelques 25 000 demandes par an environ pour la seule police nationale par exemple.

Certes, les agents de l’éducation ne sont pas aussi exposés que ceux de la police nationale mais nous savons bien que nous faisons partie des agents de la fonction publique les plus exposés aux incivilités et aux agressions de toute sorte et nous savons également que les atteintes à la personne en raison de la fonction sont ne cessent d’augmenter dans l’éducation nationale pour diverses raisons, ce qui a même poussé le législateur à créer le délit d’entrave à l’enseignement récemment.

La DEPP a calculé que sur 100 incidents graves parmi ceux qui sont recensés par l’enquête Sivis 2022-2023, les victimes sont les agents eux-mêmes pour 61% des faits signalés dans les écoles publiques (dont 52% sont des membres du personnel enseignant) et pour 41% dans les établissements du second degré. Rappelons qu’avec un taux d’incidents graves pour 1000 élèves allant de 4,6 en moyenne pour l’école publique à 13,7 pour les collèges et lycées (dont 15,8 en collège et 20,2 en lycée professionnel), on peut évaluer à environ 86 000 le nombre total des incidents graves dans les établissements d’enseignement publics. Même si l’enquête Sivis porte sur l’ensemble des faits qualifiés d’incidents graves, y compris les violences verbales et physiques entre élèves, elle permet d’établir de manière indiscutable que les agents en sont les premières victimes par le nombre. Et quand bien même la plus grande partie de ces faits ne seraient que des violences verbales (43% des incidents graves dans le premier degré aussi bien que le second degré), et que selon la DEPP « la part importante de personnels victimes de violence tient en partie au mode de collecte de l’enquête Sivis. En particulier, une insulte non caractérisée sera considérée comme grave si elle est proférée envers un membre du personnel alors qu’elle ne le sera pas si elle concerne uniquement des élèves », ces violence verbales entrent dans le champ de la protection fonctionnelle qui s’applique aussi bien aux agressions physiques et aux atteintes aux biens qu’aux menaces, injures, outrages ainsi qu’à la diffamation.

L’administration ne saurait accepter que ses agents se fassent insulter par les usagers. Elle est tenue par la loi de prendre toutes les mesures pour punir les auteurs et soutenir les victimes, ce qui est très loin d’être le cas. Ajoutons enfin que, dans le premier degré, les auteurs des incidents graves recensés sont, pour 30%, les familles des élèves et qu’on a du mal à imaginer que les incidents graves dont les familles sont les auteurs puissent avoir d’autres victimes que les agents. On conclura donc, à partir des données de l’enquête SIVIS 2022-2023 et de la note d’information de la DEPP que chacun peut consulter ici, que le nombre d’incidents graves dont sont victimes les agents et qui justifient l’activation de la protection fonctionnelle, est forcément très élevé et sans commune mesure avec les 4948 demandes de protection fonctionnelle effectivement recensées.

A titre indicatif, on estime que sur un total de 85 000 incidents graves recensés, environ 40 300 ont pour victimes des enseignants ou d’autres agents, ce qui correspond à :

– 15 700 incidents graves dans le premier degré (pour seulement 1744 demandes de protection fonctionnelle en 2023) ;

– 24 600 incidents graves dans le second degré (pour seulement 2780 demandes de protection fonctionnelle en 2023 dont 647 par les personnels de direction et 335 par les personnels d’éducation et d’orientation).

Même si ces estimations fondées sur les chiffres du ministère demandent encore à être précisées et pondérées, elles confortent notre conviction que le nombre de demandes de protection fonctionnelle est étonnamment bas quand on le compare à celui des incidents graves dont les agents sont victimes de la part des usagers. En tout état de cause, il est urgent que le ministère prenne toutes les mesures qui s’imposent pour faire mieux connaître aux agents leur droit à la protection fonctionnelle et pour en faciliter l’exercice. Action & Démocratie demande notamment la généralisation à toutes les académies des bonnes pratiques constatées dans certaines académies, notamment celles de la région parisienne qui donnent accès à la protection fonctionnelle via Colibri, alors que dans la plupart des académies rien n’a été fait pour faciliter la formulation et la transmission de la demande. Des progrès sont également à réaliser en matière de suivi, même dans les académies que nous avons citées. Nous demandons enfin qu’à chaque rentrée scolaire, un message du recteur à tout le personnel de l’académie fournisse des informations très claires en ce domaine, ce qui permettra de croire que l’institution se tient effectivement aux côtés de ses agents et qu’elle les protégera comme il se doit.

 

Un nombre de refus anormalement élevé

 

Mais ce qui nous préoccupe autant que le nombre de demandes de protection fonctionnelle anormalement faible, c’est l’opacité qui règne dans l’instruction de ces demandes et le nombre anormalement élevé de refus puisque, selon les chiffres de la DAJ elle-même qui parvient encore à se flatter d’une augmentation du nombre d’accords, seules 3796 demandes ont été accordées en 2023 (sur les 5462 déposées), autrement dit plus d’un quart ont été refusées, dont la moitié de façon implicite.

 

Nous sommes plus que dubitatifs au sujet de ces refus implicites parce que nous estimons que si un agent est en situation de demander la protection fonctionnelle, la moindre des choses si on la lui refuse est de lui dire pourquoi et de le faire promptement. On n’est pas ici dans le cadre de la discussion d’une simple mesure de gestion, comme s’il s’agissait de demander la révision d’une notation ou d’une affectation, mais dans une situation d’urgence où des faits, dont l’agent se plaint à juste titre ou pas, ont été commis en raison de ses fonctions et lui ont causé un préjudice. Par respect pour l’agent, Action & Démocratie exige que dans le cas particulier d’une demande de protection fonctionnelle, une exception soit faite à la pratique du refus implicite, c’est-à-dire à la règle d’après laquelle une absence de réponse de l’administration au bout de deux mois vaut refus. Les circonstances qui poussent un agent à demander la protection fonctionnelle doivent être regardées par principe comme suffisamment sérieuses pour ne souffrir d’un tel délai de traitement ni d’une telle absence de motivation. Nous le disons clairement : ne pas se donner la peine d’expliquer à l’agent les raisons pour lesquelles on lui refuse la protection fonctionnelle revient à faire preuve d’une désinvolture inacceptable à son égard, quand bien même ce refus serait justifié. Mais c’est encore plus grave s’il ne l’est pas, comme nous allons le voir ci-après. Enfin, la protection fonctionnelle étant une obligation de l’administration vis-à-vis de ses agents, le refus ne peut être motivé que par les restrictions qui sont prévues par la loi, raison supplémentaire pour qu’il soit explicite. A défaut, l’agent à qui l’on refuse de manière implicite une demande de protection fonctionnelle qu’il estime légitime ne peut qu’éprouver un sentiment d’injustice qui, en s’ajoutant au préjudice dont il demande réparation à l’administration, ne fait que l’aggraver. En outre, garder silence face à une demande de protection fonctionnelle qu’on refuse d’accorder contribue à entretenir auprès des agents l’impression que l’octroi de ladite protection est à la discrétion de l’autorité hiérarchique (et en l’occurrence du recteur pour 99% des cas nous concernant à l’éducation nationale), ce qui participe à la défiance et au sentiment, lui-même très prégnant parmi les personnels, et là encore étayé par la DEPP dans une autre étude, de ne pas se sentir soutenu par la hiérarchie en cas de difficultés. Action & Démocratie insiste donc pour qu’en matière de protection fonctionnelle, toute demande reçoive une réponse et tout refus soit explicitement motivé dans un délai n’excédant pas quinze jours.

Cela est d’autant plus indispensable que le refus d’une demande de protection fonctionnelle peut, comme toute décision, être contesté et faire l’objet de recours contentieux, situation d’ailleurs en soi ubuesque, pour ne pas dire perverse, mais néanmoins fréquente qui contraint l’agent à attaquer en justice et sur ses propres deniers l’institution qui est censée lui assurer une protection notamment par la prise en charge de ses frais d’avocats ! Or le plus souvent, ce refus doit faire l’objet d’un recours dans les plus brefs délais justement pour ne pas aggraver le préjudice de l’agent que l’administration ne veut pas traiter. Prenons ainsi le cas de Monsieur B., enseignant dans un lycée de l’académie de Versailles, qui est suspendu suite à des accusations mensongères portées contre lui par des élèves. Tout naturellement, Monsieur B. se tourne vers le recteur de l’académie pour solliciter la protection fonctionnelle car la dénonciation calomnieuse dont il fait l’objet et pour laquelle il désire porter plainte lui cause un grave préjudice. Cependant, le recteur la lui refuse implicitement en estimant que Monsieur B. est susceptible d’avoir commis la faute dont il est accusé. Et au lieu de lui octroyer la protection fonctionnelle, il garde silence sur la demande de Monsieur B. tout en diligentant une enquête administrative. Monsieur B. est alors contraint d’attendre deux mois pour prendre acte du refus implicite et saisir le tribunal administratif, mais comme l’enquête administrative a été déclenchée, le tribunal rejettera à son tour la requête en annulation en considérant qu’au moment de la demande de protection fonctionnelle, le recteur pouvait estimer que Monsieur B. avait pu commettre la faute dont il était accusé. Finalement, l’enquête en question ne parviendra pas à établir les faits dont Monsieur B. était donc accusé de façon mensongère et aucune procédure disciplinaire ne sera engagée contre lui. Cependant, il aura subi une dénonciation calomnieuse, une suspension à titre conservatoire, une enquête humiliante, et tout ceci sans avoir pu bénéficier de la protection que l’administration lui doit précisément dans une telle situation. Et cerise sur un si indigeste gâteau, lorsque l’innocence de Monsieur B. sera implicitement admise par l’administration faute de poursuites disciplinaires, et qu’il pourra enfin porter plainte contre ses accusateurs en demandant à nouveau à bénéficier de la protection fonctionnelle, elle lui sera derechef refusée au motif qu’elle ne peut être demandée deux fois pour les mêmes faits !

Nous avons évidemment modifié le nom de l’agent et celui de l’académie pour protéger son anonymat mais ces faits sont exacts et le syndicat Action & Démocratie a une vingtaine d’affaires analogues à traiter chaque année. Or cette situation kafkaïenne montre plusieurs choses. La première est que les conditions dans lesquelles sont traitées les demandes de protection fonctionnelle sont actuellement peu satisfaisantes et que le refus implicite ne contribue ni à la transparence ni à la justice, ce qui est un comble s’agissant de la protection que l’administration doit à ses agents. La seconde est que l’administration s’exempte de son devoir de protection dès qu’elle peut soupçonner une faute de l’agent, ce que cette présomption de faute prive l’agent d’une protection à laquelle il a droit, en totale contradiction avec les principes généraux du droit et notamment la présomption d’innocence.

C’est pourquoi Action & Démocratie réclame un changement total dans l’application de la protection fonctionnelle : d’une part, celle-ci doit être accordée automatiquement en cas d’agression (il est évident que ce n’est pas à l’agent agressé d’implorer l’administration pour qu’elle fasse simplement son devoir) ; d’autre part, dans les situations complexes où telle et telle mesures de protection ne s’imposeraient pas d’emblée avec la même évidence que suite à une agression, la simplification de la procédure de demande que nous réclamons implique aussi que l’agent reçoive, même en cas de refus, une réponse immédiate, explicite et parfaitement motivée. Enfin, dans les cas où une faute de l’agent est mise en avant par l’administration pour ne pas accorder la protection fonctionnelle conformément à l’article L. 134-5 du code général de la fonction publique, nous exigeons que cette faute soit établie et qu’en conséquence le simple fait de procéder à une enquête ne puisse servir à l’administration pour se décharger de ses obligations envers l’agent alors qu’elle se retrouve en réalité dans pareille situation à la fois juge et partie.

 

Un montant dérisoire et en baisse

 

Pour en finir avec l’analyse du bilan de la protection fonctionnelle effectué par la DAJ pour l’année 2023 que nous invitons chacun à lire attentivement, nous déplorons qu’il s’en tienne à des généralités s’agissant des procédures qui concernent les personnels de l’éducation nationale et qu’il se concentre sur ceux de l’enseignement supérieur à travers son focus sur les « procédures-baillons ». Nous regrettons surtout qu’il ne nous en dise pas davantage sur la nature des mesures de protection mises en œuvre au regard des faits. Certes, la protection fonctionnelle ne se borne pas à la prise en charge des frais d’avocat (ou d’une partie d’entre eux) et cette expression désigne en réalité l’ensemble des mesures qui peuvent être prises pour protéger l’agent, mettre fin à son préjudice et bien entendu le réparer. Or de ce point de vue, découvrir au détour d’une infographie que « l’entretien avec l’agent » est considéré comme une action mise en œuvre dans le cadre de la protection fonctionnelle, et qui plus est comptabilisée à ce titre dans ce bilan, voilà qui est tout à fait sidérant tant il va de soi que, dans tous les cas de figure, un tel entretien est la moindre des choses. Que les actions mises en œuvre au titre de la protection fonctionnelle consistent en un simple entretien à hauteur de 27% d’entre elles pose évidemment question. L’éducation nationale a-t-elle si peu l’habitude d’écouter ses agents et de s’entretenir avec eux qu’elle en vienne à qualifier d’action de protection la chose la plus naturelle et la plus élémentaire au sein de toute organisation humaine ? Hélas, nous constatons à notre tour dans de nombreux cas que nous avons eu à traiter que le simple fait d’avoir reçu un agent semblait suffire à l’administration pour considérer qu’elle s’était acquittée de son obligation de protection.

 

La principale forme que revêt la protection fonctionnelle reste cependant l’assistance juridique, dont la DAJ nous apprend cependant que, malgré un nombre d’octrois de la PF en hausse, les montants sont en baisse (1 095 535 € versés en 2022, dont 834 294 € pour les académies, c’est-à-dire les agents de l’éducation nationale hors administration centrale, contre 922 187 € dont seulement 675 948 € pour les académies, soit une baisse de plus de 20%). Comment s’explique cette baisse ? La DAJ ne le dit pas, se contentant par la suite de détailler la ventilation de cette somme : « Les montants versés, à hauteur de 922 187 euros, ont servi principalement au remboursement de frais d’avocat (764 479 euros, incluant des frais de déplacement et des frais de justice), au règlement de sommes résultant d’une condamnation civile de l’agent (69 756 euros, dont le remboursement de 53 178 euros au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions) et au remboursement de débours consécutifs à des atteintes aux biens (34 286 euros, dont 32 122 euros pour frais de véhicule). »

Comme nous l’avons signalé concernant le nombre anormalement bas de demandes de protection fonctionnelle pour des administrations comptant un million et demi d’agents, nous sommes également surpris, même si c’en est la conséquence, par le montant tout aussi dérisoire et anormalement bas du montant consacré l’assistance juridique pour des administrations dont le budget global dépasse les 90 milliards d’euros. Dans un souci de transparence autant que de parfaite information, nous aurions aimé connaître la répartition des demandes et des octrois par académie, et savoir en détail comment ces sommes sont distribuées car nous ne saurions admettre que la protection fonctionnelle soit soumise à quelque restriction budgétaire que ce soit même s’il est normal de devoir encadrer et plafonner la prise en charge des honoraires (cf. article 6 du décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit, qui dispose en son article 6 que le montant de prise en charge des honoraires est limité par des plafonds horaires fixés par arrêté conjoint du ministre chargé de la fonction publique, du ministre de la justice et du ministre chargé du budget).

 

Conclusion

 

La protection fonctionnelle est depuis toujours une préoccupation majeure d’Action & Démocratie. Cette obligation de l’administration envers ses agents est encore trop méconnue par ces derniers, et ce défaut d’information peut d’ailleurs lui-même être regardé comme un manquement à ladite obligation. La circulaire du 2 novembre 2020 visant à renforcer la protection fonctionnelle insiste sur ce devoir d’information qui incombe à toutes les administrations concernées, et à la nôtre en particulier de par sa taille. Or, force est de constater qu’en dehors des publications de la DAJ que peu d’agents lisent, et de l’existence d’un guide pratique sur la protection fonctionnelle mis en ligne dans quelques académies, la plupart des agents dans la plupart des académies sont maintenus dans l’ignorance, ce qui explique probablement le nombre anormalement bas de demandes en comparaison du nombre élevé d’incidents graves dont les agents sont victimes. Action & Démocratie demande donc au ministère de mieux diffuser l’information et surtout de le faire chaque année.

La mise en œuvre de la protection fonctionnelle doit également être améliorée, non seulement par des procédures de demande plus simples (la généralisation à toutes les académies de la demande de protection fonctionnelle via colibri s’impose par exemple) mais aussi par un meilleur suivi. De plus, il faut en finir avec les postures de défiance systématique envers les agents qui dominent encore au sein de l’éducation et qui se traduisent dans les procédures internes, en contradiction avec les principes généraux du droit, par l’application d’une présomption de culpabilité envers l’agent. Notre mobilisation sur ce point est totale et fait partie du combat syndical plus vaste que nous menons pour que tous les agents soient traités avec dignité par l’administration quelle que soit leur situation.

Quant à notre demande concernant l’automaticité de la protection fonctionnelle, elle sera adressée au Premier ministre et au ministre chargé de la fonction publique quand il sera nommé ainsi qu’à l’ensemble des parlementaires puisqu’elle nécessite une réécriture de la loi.

N’hésitez pas à nous écrire pour nous transmettre votre témoignage concernant la protection fonctionnelle ou pour nous solliciter sur tout autre sujet qui vous préoccupe.

 

Références :

Code général de la fonction publique, articles L. 134-1 et suivants

Circulaire du 2 novembre 2020 visant à renforcer la protection des agents publics face aux attaques dont ils font l’objet dans le cadre de leurs fonctions

La lettre d’information juridique, bilan de la protection fonctionnelle, année 2023 (DAJ – hors-série septembre 2024)

Rakotobe M., “Les signalements d’incidents graves dans les écoles publiques et les collèges et lycées publics et privés sous contrat en 2022-2023”, Note d’Information, n° 24.04, DEPP. 

Guide sur la protection fonctionnelle des agents publics (DGAFP – mars 2024)

La protection fonctionnelle : kit d’information et d’accompagnement (Académie de Versailles)