AD/CFE-CGC, pour reconstruire l'école et défendre tous ceux qui la font vivre

Protection fonctionnelle, climat scolaire, inclusion : des alertes entendues par le ministre

Face aux discours convenus sur “la réussite” qui se répètent chaque rentrée, Action & Démocratie / CFE-CGC a rappelé au ministre la nécessité d’en finir avec la langue de bois et de regarder lucidement la réalité du terrain : la dégradation du climat scolaire et l’insécurité vécue par les personnels, le manque de soutien institutionnel, la surcharge de travail, l’attractivité en chute libre et les limites de l’école inclusive lorsqu’elle devient un dogme. AD/CFE-CGC a proposé trois décisions concrètes et immédiates : garantir une protection fonctionnelle effective, revaloriser le rôle des AED et lancer des états généraux du climat scolaire, engager enfin un bilan sincère de l’inclusion scolaire. Trois alertes parfaitement reçues par le ministre qui y a longuement répondu.

AD / Conseil supérieur de l'éducation /04 décembre 2025 / Déclaration

Monsieur le Ministre,

« L’instauration d’un climat scolaire serein ainsi que la prise en compte du bien-être et de la santé des élèves constituent une condition essentielle de leur réussite, un facteur majeur de leur épanouissement et de leur capacité à envisager l’avenir avec confiance. »
« Animée par une exigence constante de justice et de cohésion républicaine, l’École doit garantir à chaque élève des conditions propices à sa réussite ».
« La transmission de connaissances solides et l’acquisition de compétences adaptées aux défis actuels favorisent l’épanouissement de chaque élève et contribuent à la réussite collective de notre pays. »
« Le développement des compétences psychosociales contribue au bien-être et à la réussite des élèves ».
« Le climat scolaire, lorsqu’il est serein, est au service de la réussite des élèves. »
« Les dispositifs d’accompagnement personnalisé ont vocation à créer les conditions de la réussite. »
« L’ensemble des partenariats éducatifs doivent être mobilisés pour leur réussite, en particulier pour les élèves issus des milieux les plus fragiles. »
« La réussite scolaire et sociale ne peut être dissociée d’un engagement citoyen qui donne sens aux apprentissages. »
« Les projets d’établissement doivent être conçus pour favoriser la réussite de tous ».
« L’orientation doit être pensée comme une clé de réussite, permettant à chacun de construire un parcours cohérent et porteur d’avenir. »
« L’école maternelle constitue un moteur de réussite en posant les bases de la socialisation et des premiers apprentissages. »
« Une attention particulière doit être accordée à la réussite des élèves les plus fragiles, afin d’assurer un véritable partage de la réussite …»

Ce que vous venez d’entendre, Monsieur le Ministre, chers collègues, sont des extraits de la circulaire de rentrée 2025 rédigée par votre prédécesseur et ses conseillers. Il ne serait pas difficile de faire le même exercice avec les circulaires de rentrée rédigées par chaque recteur, les discours de rentrée prononcés par chaque DASEN et chaque chef d’établissement. A les lire ou les écouter, on rebaptiserait volontiers le ministère de l’éducation nationale « ministère de la réussite » !

Bien qu’elles poussent l’art de la langue de bois à un niveau qui ferait sourire si nous étions au théâtre, ces odes à la réussite ne parviennent cependant plus à convaincre quiconque tant elles sont déconnectées du réel et semblent n’avoir pour objet que d’évacuer celui-ci avec une tranquillité et une niaiserie qui laissent pantois.

Le réel n’est ni tout rose ni tout noir. Il ne se prête pas non plus au lyrisme.

Le réel, c’est par exemple cette AESH qui, à son troisième jour de classe, demande « Que faire quand vous prenez une gifle par un enfant et qu’un autre élève de la classe vous mord les doigts ? ».

Le réel, c’est par exemple cette professeure des écoles arrêtée 2 semaines et demi suite à une blessure au bras causée par un élève et qui nous écrit : « J’ai demandé de l’aide à mon inspectrice en début novembre, la cellule PAIRE est venue en… mai ! ».

Le réel, c’est par exemple ce professeur signalant des inscriptions antisémites le visant et à qui sa hiérarchie lui reproche d’en faire trop ; ou encore, il y a quelques jours, cet autre professeur ayant fait l’objet de menaces explicites en classe et que, cette fois, ses propres collègues accusent d’en faire trop !

Le réel, c’est ce personnel de direction qui subit un harcèlement après avoir signalé de graves dysfonctionnements et qui fait l’objet d’un retrait de fonction pour ne pas faire de vague…

Le réel, ce sont aussi tous ces enseignants dont la charge hebdomadaire de travail s’est considérablement accrue en sept ans, sous l’effet de réformes conçues au sein de la DGESCO auxquelles vous avez pris part et qui, disons-le, ont semé la pagaille aussi bien au lycée général et technologique qu’au lycée professionnel et au collège.

Le réel, c’est aussi ce million et quelques d’agents dont les traitements stagnent pendant que l’inflation et le SMIC augmentent et qui désormais vont travailler en étant malades de peur de se voir amputés d’une part de leur maigre traitement s’ils ont le malheur de contracter un virus au contact des élèves…

Le réel, ce sont ces milliers de démissions et de départs volontaires, un toutes les trois heures quarante précisément, qui en disent long sur l’attractivité du « plus beau métier du monde »…

Le réel, ce sont ces candidats à qui l’on est contraint de donner le titre de professeur des écoles même lorsqu’ils ont obtenu 06 /20 au concours – quand on ne va pas les chercher sur « le bon coin »… ; ou bien ceux qui deviennent professeurs de mathématiques avec moins de 08/20 aux épreuves de mathématiques du CAPES mais… 14/20 à l’entretien professionnel sur des sujets aussi pointus que celui-ci : « Un élève est déjà venu dans l’établissement avec des hématomes. Un matin, il arrive avec un œil au beurre noir. »[1]

Le réel, ce sont enfin tous ces enseignants qui ne parviennent plus à gérer des classes très hétérogènes de 30 à 35 élèves, voire davantage, et qui entendent un beau jour leur ministre se féliciter au micro d’un journaliste que le nombre d’élèves par enseignant pour chaque heure de cours n’est que de 21,7…

Monsieur le Ministre, vous avez souhaité avoir aujourd’hui un temps d’échange avec les membres du conseil supérieur de l’éducation et nous vous en sommes très reconnaissants mais afin de le rendre utile, commençons par proscrire de part et d’autre la langue de bois et, puisque vous avez hélas inauguré votre ministère en annonçant que vous ne pourriez pas faire grand-chose compte tenu du contexte et des contraintes budgétaires (qui n’empêchent pas le budget des armées d’exploser…), nous ne vous interpellerons aujourd’hui que sur trois sujets où les décisions qui peuvent et doivent être prises ne coûtent rien, ou si peu, et nous serons très attentifs à vos réponses.

Premièrement, rappelons qu’en 2023, 5264 demandes de protection fonctionnelle ont été déposées, dont plus de 90% pour atteintes volontaires à l’intégrité de l’agent. Malgré ce chiffre – dérisoire au regard du nombre d’agents (pour rappel, cela représente à peine 0,36% rapporté au nombre d’agents de l’Éducation nationale, contre 16% à l’Intérieur avec 25000 demandes par an), et dérisoire aussi au regard du nombre d’incidents graves recensés (plus de 90 000 en prenant le chiffre le plus bas) – eh bien, malgré ce chiffre dérisoire donc, 30% de ces demandes n’ont pas été satisfaites, et la moitié par refus implicite c’est-à-dire sans même prendre la peine de répondre à l’agent victime pour motiver le refus. Alors qu’une PPL votée à l’unanimité par le Sénat prévoyait l’automaticité de la protection fonctionnelle, chose que nous réclamons depuis toujours, et que son parcours législatif a été hélas interrompu en raison des vicissitudes de la vie politique, nous constatons et déplorons que les personnels de l’éducation ne se sentent pas ou plus du tout protégés par l’institution qu’ils servent, la majorité d’entre eux ignorant même que celle-ci a le devoir de les protéger !

Voici donc une mesure qui ne coûte rien : faire en sorte que, lors de chaque rentrée scolaire, ministre, recteurs et hiérarchie de proximité mettent enfin en sourdine leurs sempiternelles odes à « la réussite » et utilisent ce temps pour rappeler solennellement à tous les personnels qu’ils bénéficient de la protection fonctionnelle et pour les assurer du soutien sans faille de l’institution. Un tel rappel, outre le fait qu’il contribuerait à faire mieux connaître ce droit auprès d’agents qui trop souvent l’ignorent encore, aurait aussi pour vertu de mettre chaque maillon de la chaîne hiérarchique face à ses responsabilités. Car nous constatons que lorsqu’un personnel est victime d’une agression, les consignes du ministère, aussi précises et excellentes soient-elles, ne sont pas appliquées partout avec la même diligence ni la même bienveillance. On en profitera pour rappeler que face à l’adversité, la solidarité des personnels entre eux et envers ceux qui sont pris pour cible est indispensable et constitue une première réponse. Ce rappel ne coûtant rien et étant cependant essentiel, pouvez-vous prendre dès aujourd’hui l’engagement d’y procéder et d’y faire procéder ?

Deuxièmement, vous semblez attendre beaucoup de la réforme du concours et de la formation initiale pour pallier la crise du recrutement mais, outre le fait que le manque d’attractivité du « plus beau métier du monde » dépend de plusieurs facteurs et que le positionnement du concours à bac + 2,5 ou bac + 5 n’est certainement pas le plus déterminant, vous n’êtes pas sans savoir que les effets escomptés de cette réforme ne se feront pas sentir avant quelques années. En revanche, cette réforme va immédiatement aggraver la pénurie d’AED, corps par ailleurs en profonde mutation, dont la moyenne d’âge est désormais supérieure à trente ans, et qui ne compte plus qu’un quart d’étudiants et une proportion dérisoire de boursiers à qui ce métier est pourtant théoriquement destiné en priorité d’après le code de l’éducation.

C’est pourquoi nous demandons une remise à plat du statut des AED incluant un accès au CDI plus rapide, à l’instar de ce qui a été consenti pour les AESH, une rémunération digne et le respect de leurs missions éducatives, qui doivent être plus précisément définies, ces agents n’étant pas et ne devant pas non plus être utilisés comme agents de sécurité. Au-delà du sujet des AED que vous aurez bientôt, si ce n’est déjà, autant de mal à recruter que les enseignants, il est temps que le ministère engage un travail sérieux et lance un vrai débat sur le climat scolaire permettant à ceux qui sont sur le terrain tant de dire les choses telles qu’elles sont que, le cas échéant, de formuler des solutions de bon sens pour restaurer partout où cela est devenu nécessaire des conditions favorables à un enseignement digne de ce nom. La question du climat scolaire ne faisait pas partie des priorités que vous avez annoncées être les vôtres mais elle mérite plus que la réunion d’un éphémère groupe de travail qui, à ce jour, est restée sans lendemain.

Troisièmement et pour finir, nous sommes toujours en attente d’un bilan d’étape de l’école inclusive. Un vrai bilan, qualitatif et permettant là encore à ceux qui sont sur le terrain de dire les choses telles qu’elles sont et d’être écoutés. A la CFE-CGC, nous avons commencé à le faire en donnant la parole aux professeurs et aux accompagnants : les témoignages reçus sont tous plus édifiants les uns que les autres et, s’il faut assurément améliorer le statut et les conditions de travail des AESH, c’est en réalité la politique de l’inclusion à tout prix et à n’importe quel prix, y compris celui de la souffrance, qu’il faut interroger et évaluer sans se voiler la face. Quelle est, sans langue de bois, votre position sur ce sujet ?

Monsieur le Ministre, nous savons bien que vous faites partie d’un gouvernement qui n’a pas de majorité, qui n’a pas de feuille de route et dont la mission principale consiste à assurer la stabilité et rassurer les agences de notation en attendant l’heure des choix qui est repoussée à la prochaine élection présidentielle. Paradoxalement, cette situation n’est pas si préjudiciable qu’elle n’en a l’air à l’éducation nationale, si bousculée au cours des dernières décennies, si abîmée par la frénésie réformatrice de vos prédécesseurs, car elle lui offre un peu de répit. Il s’en faut cependant que cela suffise à refaire de l’école républicaine une fierté française. Vous mettez en avant les contraintes budgétaires pour justifier de repousser encore aux calendes la nécessaire revalorisation des salaires à l’éducation nationale et refuser de profiter de la démographie pour diminuer le nombre d’élèves par classe, notamment dans le premier degré où tout commence. Nous ne pouvons accepter cette fausse rationalité comptable car, comme dit le poète, « chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne » et une école qui instruit, loin d’être un coût pour les finances publiques, est en réalité un investissement autant qu’une source d’économies.

Mais à défaut d’investir, si vous pouviez au moins remettre l’administration au service de ceux qui font vivre l’école et faire en sorte qu’aucun personnel ne se rende au travail en ayant peur ou en étant persuadé, à tort ou à raison, que l’institution dont il fait partie ne le soutiendra pas, vous feriez plus en quelques mois que tous ceux qui l’ont mise sens dessus dessous en quelques années.

[1] Sujet au CAPES de mathématiques, épreuve dite d’entretien (sic), rapport du jury du CAPES de mathématiques 2022, p.33 (557 reçus pour 1035 postes à pourvoir).

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