Toute la question est de savoir si l’on peut radicalement dissocier le problème particulier de la situation d’ensemble. Il y a bien un cas particulier provoqué par le mensonge d’une élève, entre-temps condamnée pour dénonciation calomnieuse en 2023.
Ce fait établi est bien connu et reconnu : la menteuse a affirmé qu’elle assistait le lundi au cours d’une autre classe de 4e que la sienne, que ce cours portait sur l’islam et qu’il a été demandé aux musulmans de sortir au moment où un dessin du prophète nu a été montré [IG, p. 11]. La mère de la menteuse affirme que sa fille, dont elle avait pourtant excusé l’absence au cours du mardi auquel elle aurait dû assister, a été virée du collège par l’enseignant à cause de son refus de sortir de cours le lundi [IG, p. 5]. Le père reprend le même discours [IG, p. 6] dans trois posts sur facebook qui en appellent à « virer ce malade » : au collège, B. Chnina fustige le harcèlement subi par sa fille tout en menaçant d’organiser un rassemblement des musulmans, avant de porter plainte de manière scabreuse pour diffusion d’images pornographiques auprès de mineurs (p. 51-53 vs p. 119). A. Sefrioui, l’activiste salafiste qui accompagne le père au collège, exige la mise à pied de ce voyou, terme au plus haut point polémique dont Mickaëlle Paty nous apprend qu’il autorise à venger par la violence le comportement irrespectueux et violent d’un homme (p. 143) : les prétendus agissements de l’enseignant seront de surcroît assimilés à de la pédophilie au cours d’une vraie campagne de désinformation islamiste (p. 74). Dans ce sillage, un premier message anonyme évoque un climat d’islamophobie en France [IG, p. 5] et, en contrepoint des messages et vidéos qui dénoncent nommément le professeur sur les réseaux sociétaux, des appels aux fédérations de parents propagent la rumeur d’un Paty raciste qui stigmatiserait les musulmans [IG, p. 16].
Or ce sont précisément ces rumeurs qui suscitent une vive émotion en salle des profs, et non pas seulement les messages de deux enseignants en désaccord polémique avec le professeur Paty qui ont circulé sur la messagerie du collège : les pleurs des professeurs ne peuvent en effet s’expliquer que par les menaces envoyées de manière réitérée au collège et par les vidéos diffamatoires qui circulent désormais dans les réseaux sociaux [IG, p. 13-14]. Le rapport de l’IGésr ne donne pas la mesure de la mobilisation islamiste dont l’ampleur peut être appréciée à partir des chiffres fournis par l’enquête de Mme Paty : des centaines de messages sont envoyés au collège en réaction aux vidéos du père que des officines de l’islamisme extrémiste, comme le CCIF ou la mosquée de Pantin (100 000 abonnés), ont relayées (p. 67-69).
Plus grave encore, la mission d’enquête du ministère confond l’écho provoqué par le cours et l’émotion déclenchée par les menaces islamistes, sans les distinguer non plus de ce qui s’est produit dans l’entre-deux : la réaction de quelques parents musulmans, choqués que leur enfant ait été ou se soit senti discriminé, est également qualifiée d’« émotion face au déroulement du cours » par la mission d’enquête, à tort et à travers. Il faut lever ces confusions terminologiques en clarifiant conceptuellement la description des événements :
- D’une part, l’écho du cours parmi les élèves et les parents n’est pas identique à l’émoi suscité chez une minorité de parents musulmans ;
- D’autre part, l’émotion en salle des profs et l’effroi de tous les adultes au collège et au rectorat ont été provoqués par l’agitation islamiste qui entend ameuter les musulmans en propageant des fausses informations et en proférant des menaces.
Les rumeurs qui circulent font le lien entre tous ces éléments de la situation confuse qu’il convient de clarifier en ayant recours aux chiffres pour apprécier le rôle des uns et des autres dans le déroulement du drame. Le point de départ, c’est le cours et l’effet qu’il est censé produire sur les élèves. Car, même si c’est une évidence, il faut rappeler qu’un cours qui resterait sans effet manquerait son objectif : en l’occurrence, montrer les caricatures n’est pas une provocation (p. 85) ; il s’agit en effet pour Samuel Paty de lancer une réflexion sur la liberté d’expression en montrant des caricatures qui, pour choquantes qu’elles soient, ne tuent pas et permettent même de dénoncer la violence (p. 40-43). C’est le message à faire passer grâce au cours. Distinct de l’effet recherché, dont rien ne prouve qu’il n’ait pas été atteint dans les deux classes, il y a l’écho du cours qui se traduit par des demandes d’information des élèves à la CPE et de la part de parents à l’établissement : le rapport parle de moins d’une dizaine de parents inquiets [IG, p. 7 vs p. 14] dans un collège de 751 élèves. Selon la CPE, les parents auraient été la source de la demande d’information de leurs enfants, lesquels étaient peut-être plus curieux qu’inquiets : sur cette base délétère, le rapport croit pouvoir contredire le témoignage de l’AESH qui, pour sa part, n’a constaté aucune remarque ou rumeur exprimant un malaise dans les deux classes de 4e de M. Paty [IG, p.7], alors que les élèves qui ont assisté au cours ne peuvent pas être ceux qui ont voulu s’informer…
L’inquiétude d’une minorité de parents d’élèves contribue donc à donner un écho à la séquence controversée du cours, mais le rapport ne précise pas quelle est la teneur de l’écho et les raisons de l’inquiétude : il est fort possible qu’elle soit au moins en partie la conséquence des menaces proférées. Il faut donc chercher la source de la défiance envers l’enseignant ailleurs, à savoir dans les rumeurs malveillantes qui se propagent à l’intérieur du collège : comme un professeur a manqué à son devoir de réserve en dénonçant son collègue devant une classe de 3e (p. 71, cf. p. 64 du Cours), une élue au CA demande instamment à ses collègues de cesser d’alimenter les rumeurs [IG, p.10]. Ces rumeurs circulent entre enseignants, entre parents, entre enfants, etc. Distinct de l’inquiétude de la dizaine de parents dont il n’est qu’un élément, l’émoi des parents musulmans est encore plus circonscrit : il n’est question, en tout et pour tout, que de deux ou trois familles. Car le rapport ne précise pas si la mère que M. Paty a déjà rassurée, en l’appelant dès le mardi 6 octobre, est une des deux mères reçues avec le mari de l’une d’elles par la principale, le référent laïcité et l’adjointe, le vendredi 9 octobre : en tout cas, ces trois parents se disent rassurés, tout en regrettant l’absence du professeur [IG, p. 12]. Trois parents inquiets reçues par la direction de l’établissement et un IA-IPR envoyé par le rectorat, c’est tout sauf un manque de considération de l’émoi provoqué par le cours.
Percevant lui-même le malaise d’une élève affectée par la sortie de classe, l’enseignant y a répondu en appelant la mère, tout en étant contrarié par cette réaction qui le perturbe suffisamment pour qu’il en parle à un de ses collègues (p. 47-48). De son côté, le rapport évoque par deux fois la réaction de plusieurs élèves qui « avaient mal vécu d’être mis en situation de sortir de la classe » pour contredire la version de l’AESH qui n’a constaté aucun signe de tension [IG, p.4]. En présence de deux versions, la mission d’enquête administrative aurait dû user du conditionnel… Mais elle a tranché au préalable en faveur de la version qui étaye sa propre position, le manquement du professeur au principe de neutralité, en invoquant la réaction des élèves et des parents d’élèves comme si elle était motivée par leur sens aigu de la laïcité. Il y a deux points d’achoppement qui montrent le parti pris de la mission d’enquête :
- le ressenti des élèves ou de leurs parents est la pierre de touche du jugement, alors que l’émoi ou l’indignation peut reposer sur une sensibilité exacerbée, voire une susceptibilité militante ;
- de facto, la réaction des parents choqués n’invoquent pas la laïcité, contrairement au premier message anonyme d’indignation qui critique le professeur pour avoir semé la discorde en montrant à nos enfants une image du prophète nu au lieu de dispenser une « bonne éducation laïque » [IG, p. 5].
Au lieu d’éviter le piège d’islamistes qui retournent les règles de la laïcité contre la laïcité [IG, p.13], la mission d’enquête adopte ainsi une position islamo-compatible qui accrédite la légitimité des réactions d’inquiétude ou d’indignation d’enfants et de parents choqués, sans remarquer la contradiction dans laquelle elle s’enferre en accordant de la considération à la sensibilité musulmane des parents tout en critiquant l’enseignant pour avoir considéré la sensibilité musulmane des enfants…
Le diable étant dans les détails, il faut revenir sur la scène controversée pour remarquer les glissements dans la perception et la présentation tendancieuse de cet événement d’une minute ou deux, dont l’interprétation polémique a coûté la vie à un honnête homme et à un professeur consciencieux. Car tout est dans la nuance :
- proposer de sortir à tous les élèves et autoriser à le faire ceux qui lèvent le doigt pour exprimer leur volonté, ce n’est pas commander aux élèves musulmans de se signaler en levant le doigt et leur imposer de sortir de cours ;
- laisser sortir, ce n’est pas faire sortir et encore moins exclure de cours ;
- respecter par là-même la sensibilité inhérente aux croyances religieuses, ce n’est aucunement discriminer les croyants en les distinguant des mécréants !
Tout en affectant de reconnaître cette différence capitale, l’institution l’efface subrepticement à travers le reproche fait au professeur d’avoir froissé les élèves en laissant maladroitement supposer qu’il s’adressait aux musulmans, erreur de jugement qui a eu pour effet non intentionnel un manquement à la laïcité, puisqu’il « a laissé penser qu’un critère religieux pouvait induire des activités pédagogiques différentes dans une même classe[1] » [IG, p. 12] : ce qui revient bien à distinguer certains élèves [IG, p. 14] et, donc, à les discriminer. Le mot de Jules Ferry repris par le référent laïcité, froissé, s’avère être la traduction institutionnelle du terme utilisé par la mère de la seule et unique élève qui a dit s’être sentie discriminée. La langue de bois de l’institution, qui fait droit au ressenti d’élèves prétendument froissés, ne peut dissimuler le fait qu’en reconnaissant l’erreur, elle a donné raison à la plainte émise par deux ou trois familles musulmanes, accréditant de la sorte l’idée qu’il y aurait eu effectivement discrimination à laisser sortir des élèves du cours en faisant de la sorte entorse au principe de laïcité.
[1]
« (…) La situation de la classe et du collège : M. Paty a reconnu avoir fait une erreur. Il ne voulait pas froisser les élèves en utilisant une caricature comme support pédagogique et il les a froissés en laissant supposer qu’il s’adressait aux musulmans. Il a été maladroit et il a laissé penser qu’un critère religieux pouvait induire des activités pédagogiques différentes pour une même classe. Mais si l’effet est celui d’un manquement à la laïcité / neutralité, à aucun moment le manquement n’a été intentionnel et cela a été très ponctuel dans une séance d’une heure d’une séquence pédagogique de sept séances. L’erreur a été reconnue dès les premiers appels de parents tant par la principale que par l’enseignant. » (extrait du relevé des conclusions du référent laïcité du rectorat cité par le rapport de l’IG, p. 12 ; l’italique est de mon fait).