Le Premier ministre a annoncé, le 14 octobre 2025, sa volonté de suspendre la réforme des retraites issue de la loi de 2023. Cette mesure a été intégrée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, adopté par l’Assemblée nationale le 12 novembre.
Une « suspension » qui correspond en réalité à un décalage
Il convient en effet de rappeler que cette suspension n’est pas un abandon : la réforme de 2023 demeure en vigueur dans son principe. Le gouvernement choisit seulement d’en différer la poursuite, au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2027, comme l’a indiqué le Premier ministre : aucun relèvement supplémentaire de l’âge n’interviendra avant janvier 2028 et la durée d’assurance restera fixée à 170 trimestres jusqu’à cette date.
La lettre rectificative au PLFSS 2026 déposée le 23 octobre précise les effets concrets de cette suspension. Le texte crée un article modifiant le code de la Sécurité sociale : l’augmentation de l’âge légal, qui devait se poursuivre de la génération 1964 jusqu’à la génération 1968, est décalée d’un trimestre (parfois davantage selon les cas). Parallèlement, la durée d’assurance requise pour un départ au taux plein est réduite d’un trimestre pour les générations 1964 et 1965 : 170 trimestres pour les personnes nées en 1964, 171 pour celles nées en 1965. Sans modification législative supplémentaire avant fin 2027, l’âge légal resterait donc bloqué à 62 ans et 9 mois en 2028.
En clair, ce sont essentiellement les générations 1964 à 1968 qui sont directement concernées par ce décalage : celles-ci devaient être soumises, entre 2025 et 2028, à une nouvelle hausse progressive de l’âge d’ouverture des droits et de la durée requise. La suspension gèle ces évolutions, tandis que les dispositions déjà entrées en application depuis 2023 (pour les générations antérieures) demeurent inchangées.
Carrières longues : des ajustements spécifiques
Le 12 novembre, le gouvernement a présenté un long amendement à l’article 45 bis. Celui-ci précise les modalités d’application de la suspension pour les carrières longues. Il maintient à 170 trimestres la durée requise pour les personnes nées au premier trimestre 1965 et fixe à 171 trimestres celle demandée pour les naissances d’avril à décembre 1965. L’amendement adapte également, dès mars 2026, les durées et âges d’ouverture des droits pour les fonctionnaires relevant des catégories active et super-active.
L’un des effets importants de cet amendement est de repousser la date d’application des dispositions suspendues : alors qu’elle devait initialement intervenir à la promulgation de la loi, elle est désormais fixée au 1er septembre 2026. Ce report correspond à la demande technique des caisses de retraite.
L’ensemble de ces dispositions a été adopté par les députés le 12 novembre, dans la version amendée, avant transmission du texte au Sénat.
Et si l’on parlait enfin de l’usure professionnelle ?
Rouvrir le débat sur la retraite n’a de sens que s’il prend en compte les conditions de travail, qui ne cessent de se dégrader. Certes, il y a des données démographiques. Mais on ne peut pas allonger indéfiniment les carrières ou maintenir un âge de départ élevé sans adapter parallèlement la charge de travail et intégrer l’usure professionnelle, qui n’est toujours pas reconnue dans l’Éducation nationale.
Cette usure n’est pas une fatalité individuelle : elle est structurelle et touche l’ensemble des personnels. Elle résulte de la combinaison de plusieurs facteurs bien identifiés et elle a des conséquences directes sur la santé, la capacité à exercer les fonctions dans la durée et la possibilité réelle d’atteindre l’âge de départ à la retraite dans de bonnes conditions.
Pour Action & Démocratie, débattre des retraites sans intégrer à la réflexion le sujet de l’usure professionnelle revient à ignorer la réalité du terrain. Il n’est pas non plus anormal de considérer que la charge de travail que l’on peut supporter à trente ans n’est pas la même que celle que l’on doit encore supporter à soixante ans, surtout dans des métiers générant une grande fatigue (pour ne rien dire des tensions accrues que l’on subit en raison de la dégradation du climat scolaire). La soutenabilité des carrières doit devenir un axe majeur de tout futur débat sur les retraites, si ce n’est son volet principal, avec une politique ambitieuse de prévention agissant sur les conditions d’exercice, l’accompagnement, l’allégement des services en fin de carrière, la mobilité ou encore l’encadrement de la charge de travail.
Action & Démocratie/CFE-CGC porte des propositions concrètes sur ces sujets, depuis la suppression des heures supplémentaires imposées à partir de 55 ans, jusqu’à la création d’un statut senior comprenant une part du service dédié à la transmission d’expérience.