
Dans une lettre de saisine du Conseil supérieur des programmes en date du 13 mars 2024, la ministre BELLOUBET a souhaité qu’à l’occasion de la refonte du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, les « compétences psychosociales » (CPS) soient travaillées dans toutes les disciplines. Elle y énumère ces compétences : « la confiance en soi, la capacité à s’organiser, la persévérance ou la capacité à communiquer de façon constructive, à coopérer avec les autres, à verbaliser ses émotions, à faire une place aux autres en apprenant à les connaître, à faire preuve d’empathie et d’esprit critique, à évaluer les conséquences de ses actions pour l’autre et pour la collectivité » en ajoutant peu après que « le socle doit donc préciser les objectifs visés pour le développement des compétences cognitives, émotionnelles et sociales des élèves, en s’appuyant notamment sur le référentiel de Santé publique France. »
Une seconde lettre de saisine datée du même jour demande au même Conseil supérieur de veiller à introduire dans tous les programmes « là où cela sera nécessaire, la maîtrise des compétences psychosociales de façon à aider les élèves à agir de manière responsable et autonome ». Cette lettre ajoute que « les nouveaux programmes devront accorder une place substantielle à la maîtrise des compétences psychosociales. En effet, outre les compétences disciplinaires spécifiques qu’il transmet, chaque enseignement contribue au développement des compétences cognitives, émotionnelles et sociales des élèves. Ces derniers doivent ainsi pouvoir agir de manière responsable et autonome, en citoyens éclairés. »
Pour AD/CFE-CGC, si la mission fondamentale de l’école républicaine est bien entendu de former des citoyens éclairés, encore faut-il s’entendre sur ce qui fait un citoyen éclairé : il y a une grande différence entre une école qui apprend à penser et une école qui apprend quoi penser ! Le concept de « compétences psychosociales » a été défini par l’OMS en 1993 comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne ». L’OMS distingue dix compétences psychosociales réparties en trois grandes catégories : compétences sociales, compétences cognitives et compétences émotionnelles. Le simple recours au terme de « compétence » pour désigner des choses aussi diverses que l’empathie, la conscience de soi ou la pensée critique (pour ne citer que ces trois-là) est en lui-même problématique. On sait que les « compétences », directement issues du monde de l’entreprise et de la recherche de productivité, ont déjà causé des ravages au sein de l’éducation nationale et de ses programmes depuis qu’elles y ont été introduites au détriment de l’énoncé clair et rigoureux de connaissances précises.
Mais il y a plus préoccupant encore : l’intégration des compétences psychosociales dans les programmes scolaires transforme de fait ces derniers en outil de la santé mentale et en instrument de prévention des conduites à risque. Elle s’inscrit de fait dans un contexte de montée des fragilités psychologiques et sociales chez les jeunes parmi lesquels on observe des phénomènes de stress, d’anxiété, de harcèlement scolaire, de troubles du comportement et de mal-être de plus en plus fréquent. En adoptant le concept de compétences psychosociales, et qui plus est sans débat parlementaire, le ministère cherche à renforcer le rôle de l’école comme acteur de la santé publique et de la prévention. Est-ce là son rôle ? Il est permis d’en douter et de se demander si l’intégration des CPS dans les programmes scolaires, en plus de dénaturer ces derniers, ne risque pas d’aggraver le mal auquel on cherche à remédier, voire d’entraîner une normalisation des comportements ou une psychologisation des difficultés scolaires, et finalement de brouiller encore davantage les repères au sein d’une institution qui s’avère de moins en moins capable de les transmettre…
Quoi qu’il en soit, AD/CFE-CGC estime qu’on ne peut laisser se produire une telle transformation sans en interroger le sens, les objectifs ainsi que les présupposés, et sans s’en remettre à l’expertise des premiers concernés par les programmes d’enseignement que sont les professeurs. Pour AD/CFE-CGC, non seulement ce n’est pas à Santé publique France de se mêler des programmes scolaires, mais il n’appartient pas non plus au ministère et à la DGESCO de définir ou redéfinir dans leurs bureaux des programmes d’enseignement qui transformeraient le métier même de professeur pour en faire un accompagnement du développement personnel plutôt qu’un spécialiste d’une discipline chargé d’en transmettre les éléments aux nouvelles générations.
C’est pourquoi Action & Démocratie sollicite d’être auditionné par le conseil supérieur des programmes en urgence sur ce sujet, ainsi d’ailleurs que sur la prise en compte des apports de l’IA puisque les lettres de saisine du 13 mars 2024 précédemment citées donnent également consigne au CSP de faire contribuer les programmes, pour chaque discipline, à la création d’une « culture de l’IA , au travers en particulier de l’utilisation raisonnée des possibilités offertes par les outils utilisant l’intelligence artificielle ».
Action & Démocratie est un syndicat bien décidé à porter dans les instances la parole de ceux qui sont sur le terrain et s’estiment mal représentés par des organisations parfois confites dans des postures idéologiques. C’est pourquoi, dans le cadre de l’audition que nous préparons, nous avons constitué des groupes de travail et souhaitons recueillir vos avis éclairés : n’hésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos réflexions et de vos attentes sur ces sujets d’une importance majeure.