AD/CFE-CGC, pour reconstruire l'école et défendre tous ceux qui la font vivre

IA : la menace fantôme

AD / Conseil supérieur de l'éducation /22 mai 2025

Le projet de « cadre d’usage de l’intelligence artificielle en éducation » présenté par le ministère élude les enjeux fondamentaux liés à la formation de l’esprit et à la mission même de l’école. Dans sa déclaration préalable au Conseil supérieur de l’éducation le 22 mai 2025, AD/CFE-CGC dénonce l’absence de réflexion éthique, le manque de précautions face aux risques pédagogiques et la banalisation d’outils susceptibles d’atrophier l’intelligence naturelle que l’école a pour mission de former. AD/CFE-CGC refuse donc de cautionner un prétendu cadre d’usage qui ne cadre rien, et en appelle à une réflexion de fond à la hauteur des enjeux humains, pédagogiques et éthiques que soulève cette transformation.

Déclaration préalable

Monsieur le président,
Monsieur le directeur,
Mesdames et messieurs, chers collègues,

Alors que la Cour des comptes, dans un rapport publié en début de semaine, semble découvrir en 2025 l’ampleur de la crise de l’éducation que subit notre pays sur laquelle nous attirons en vain l’attention des pouvoirs publics depuis trente ans ;

alors que, dans plusieurs disciplines ou, s’agissant du premier degré, dans plusieurs académies, tous les postes offerts au concours ne sont pas pourvus malgré des exigences en baisse constante et alarmante ;

alors que, sur le terrain, votre administration continue de ne pas être en soutien des agents, ne manquant pas une occasion de se tourner contre eux dès qu’ils ont été accusés des choses les plus invraisemblables (et ce tant au mépris du devoir de protection fonctionnelle qui est le sien qu’au mépris de la présomption d’innocence qui s’impose à tous, l’Éducation nationale y compris),

alors que, dans le même temps, cette administration se montre toujours aussi clémente, compréhensive, pour ne pas dire laxiste, quand il faudrait punir ou sanctionner sans tergiverser certains comportements inadmissibles d’élèves (la hiérarchie ne faisant parfois preuve de la fermeté et de la diligence attendues que dans les cas qui sont médiatisés ou susceptibles de l’être…) ;

enfin, alors que les personnels sont partout écrasés par des tâches nouvelles ou des demandes impossibles à satisfaire, qu’ils ne trouvent souvent plus de sens à ce qu’ils font tant leur métier et l’institution qu’ils ont choisi de servir a été défigurée par d’innombrables réformes mal inspirées, et qu’ils sont même désormais punis financièrement de tomber malade, y compris lorsque cela est dû, comme c’est très souvent le cas, aux virus qui circulent constamment dans les espaces confinés que sont les salles de classe ;

bref, alors que rien ne va et que, si l’institution ne s’est pas encore entièrement écroulée tel un bâtiment dont on aurait sapé les fondations, c’est uniquement grâce au dévouement de ceux qui la font vivre et la maintiennent debout par leur travail, voici que se profile une nouvelle menace, une menace fantôme et déjà efficiente, immatérielle et cependant réelle, aussi fascinante et terrifiante par ses promesses que par ses premiers résultats, j’ai nommé : l’IA.

On pourra disserter sans fin sur le caractère plus ou moins grave et inédit de cette menace, sur le changement de paradigme et le basculement anthropologique engendré par une technologie qui se nourrit des productions humaines pour les imiter et finir par déposséder les individus de l’usage de leurs facultés (comme aurait pu le dire Kant en décrivant l’état de tutelle dans lequel sont de tout temps maintenus un si grand nombre d’homme, à quoi bon penser par soi-même dès lors qu’une machine peut le faire à notre place ?).

Mais voilà, il paraît que l’IA est là et qu’il faut faire avec, voire qu’on ne peut déjà plus faire sans. Après tout, son utilisation déjà bien développée dans l’éducation n’est-elle pas que la suite logique de la prolifération des nouvelles technologies qui ont elles-mêmes été accueillies par l’éducation nationale sans prudence ni réflexion, sans « cadre d’usage » non plus d’ailleurs, voire avec un empressement confinant à la niaiserie ou à la trahison, car comment appeler autrement la volonté assumée de bannir les outils et supports traditionnels, souvent pour de faibles raisons tels que le poids des cartables, et de surexposer nos élèves à des écrans qui sont si contraire au développement de leur attention et de leur perception ? – chose dont on commence, là encore bien tardivement, à considérer qu’elle n’était peut-être pas si bonne….

Voici donc que se profilent de nouveaux maux et qu’à cette occasion se donnent libre cours de nouveaux fantasmes ou de nouvelles lubies que cristallisent ces deux lettres, IA, devenues par la grâce d’on ne sait quel usage paresseux de la langue un nouveau substantif, puisque l’on parle désormais de « l’IA » comme d’une chose, voire d’un être (excusez du peu), ce qui conduit au passage à ne plus avoir conscience du caractère éminemment impropre et trompeur de cet acronyme, la seule intelligence qui puisse se trouver en un artefact quel qu’il soit étant celle que l’humain y a déposée.

Action & Démocratie/CFE-CGC se félicite néanmoins que le ministère ait pris conscience de la nécessité et de l’urgence de donner cette fois un cadre à l’usage de l’IA (dont il n’eut pas non plus été extravagant d’envisager l’interdiction pure et simple car il n’y a rien de contraire à la raison, loin s’en faut, dans le fait de penser que non seulement l’école n’a pas vocation à se conformer aux évolutions de la société mais qu’elle a même plutôt pour fonction et devoir d’y résister par nature).

Le document intitulé « cadre d’usage de l’IA en éducation » qui est soumis à l’examen du CSE aujourd’hui va indéniablement dans le bon sens mais il est encore fort loin de traiter l’entièreté du sujet, ce que vous reconnaissez vous aussi en nous présentant un document qui fait lui-même état de son caractère incomplet et donc provisoire. Aussi, Action & Démocratie/CFE-CGC souhaite savoir pourquoi faire preuve une fois encore d’une telle de précipitation ? Ne pouvait-on pas se donner quelques mois encore afin de poursuivre et d’approfondir les consultations et surtout le travail en commission spécialisée, quitte à présenter en plénière du CSE une simple note d’information en attendant plutôt que de sommer notre assemblée de se prononcer sur un texte inachevé nécessitant une quantité considérable d’amendements pour être amélioré ?

Qu’il soit inachevé n’est cependant pas le seul défaut d’un « cadre d’usage de l’IA en éducation » qui, en dépit de ce qu’il promet, ne cadre pas grand-chose en réalité, et élude les principaux risques contre lesquels il faut en effet prendre de sérieuses précautions car, certes, les risques en matière de protection des données ou de consommation excessive d’énergie et de ressources naturelles pour faire fonctionner l’intelligence artificielle sont bien indiqués et bien réels, la diffusion de fausses informations ou de fausses connaissances est également pointée et certains ici vont exagérément insister là-dessus mais enfin, l’éducation, c’est avant tout la formation de l’esprit et la première chose sur laquelle il faudrait prendre clairement position, ce sont les conséquences sur celle-ci de l’introduction et de l’usage de l’intelligence artificielle au sein d’une institution qui a pour objet et vocation de développer l’intelligence naturelle et de la fortifier contre tout ce qui peut l’entraver, l’atrophier, la tromper ou dissuader d’en faire usage. Le document proposé est étonnamment silencieux là-dessus, alors que c’est l’essentiel : serait-ce donc parce que l’école aurait déjà renoncé à instruire au profit d’autres missions (sensibiliser, faire réussir, occuper, etc.) ?

Ce document est également scandaleusement discret sur les risques avérés et déjà constatés de l’usage de l’IA dans les stratégies d’évitement du travail scolaire, que l’on peut aussi tout simplement appeler la paresse. Il ne semble pas non plus prendre la mesure des effets que ces technologies entraînent en profondeur sur leurs utilisateurs, se bornant à mettre en garde sur la véracité d’informations obtenues en sollicitant un mécanisme probabiliste qui ne pense pas tout en donnant aux plus crédules l’illusion qu’il pense, chose qui devrait d’ailleurs être suffisante pour en conclure que de telles technologies ne peuvent être utilisées à bon escient et sans dommage que par des intelligences naturelles déjà bien développées grâce à des modalités de transmission du savoir éprouvées et réellement formatrices de l’esprit.

C’est pourquoi Action & Démocratie/CFE-CGC ne pourra voter pour un texte qui n’est pas seulement incomplet et perfectible, ce dont tous ici conviennent d’ailleurs, y compris leurs auteurs, mais qui passe surtout à côté de l’essentiel, comme si les vraies fins de l’école avaient déjà été abandonnées au point qu’on n’éprouve même plus le besoin de les évoquer ni de les défendre quand c’est indispensable, comme c’est indiscutablement le cas ici.

Le projet de texte portant le cadre d’usage de l’IA en éducation a reçu un avis défavorable du CSE le 22 mai 2025 : seulement 12 voix pour (dont CFDT, MEDEF, SNPDEN, SE-UNSA), 24 contre (AD/CFE-CGC, CGT, FO, FSU, SNALC) et 4 abstentions. Malgré cet avis défavorable et comme à son habitude, le ministère l’a publié moins de quinze jours après… Ci-dessous :

Explication de vote et position d'AD

La déclaration préalable d’Action & Démocratie en ouverture du CSE a clairement posé le cadre et le ton : elle a dénoncé l’effondrement systémique de l’Éducation nationale, aggravé par une administration défaillante et des réformes mal conçues. Elle a pointé l’introduction précipitée de l’intelligence artificielle dans l’éducation, sans cadre suffisamment réfléchi ni vision claire de ses effets. L’École semble se détourner de sa mission première : former l’intelligence humaine.

Pour le point 7, relatif au “cadre d’usage de l’IA dans l’éducation”, près de soixante amendements ont été déposés et débattus durant cinq heures (14h–19h). AD, comme une majorité d’autres syndicats, a voté contre ce texte. D’une part, il manque encore de clarté ; d’autre part, nous questionnons en profondeur l’utilité de l’IA comme outil éducatif. Que les capacités intellectuelles puissent être déportées vers des tiers numériques interroge. Que ces dispositifs artificiels puisent à la fois dans les savoirs humains et les ressources naturelles, dans une logique extractiviste dont l’école ne saurait être complice, interroge. Que l’effort lent, seul formateur, par lequel un esprit se construit, puisse être court-circuité par l’omniprésence d’un outil en apparence omniscient, interroge.

Enfin, ce « cadre d’usage » n’a ni la rigueur d’un cadre, ni la force d’un usage. Il s’agit d’un document non contraignant, plus incantatoire que normatif, qui se contente d’énoncer des principes vagues et des recommandations sans portée réelle. Pense-t-on vraiment encadrer une révolution technologique par de simples formules prudentes, dont l’efficacité tient surtout à l’illusion qu’elles produisent ?

Pour autant, l’IA ne peut être ignorée. Mais faut-il pour cela lui faire place à l’école ? Peut-on l’enseigner de façon critique sans en légitimer l’usage ? L’institution éducative saura-t-elle résister aux injonctions de la modernité, ou trahira-t-elle sa vocation ? Comment cultiver la pensée quand une machine, placée sous les yeux de l’élève, semble penser plus vite, mieux, plus complètement ? Comment encourager l’effort intellectuel quand l’IA propose d’emblée une réponse, un texte, une solution — sans aucun effort ? L’École est-elle en train de devenir un lieu d’apprentissage du prompting, c’est-à-dire de l’art de formuler des requêtes à une machine ?

Peut-on étudier l’IA sans en devenir dépendant ? Comment éduquer à la tempérance algorithmique, à la retenue technocognitive ? Comment résister à cette nouvelle forme d’illusion, de facilité, de renoncement à soi ? Quelle idée de l’élève, du savoir, de l’humain se profile ici ? La même que celle que nous défendons — ou déjà une autre ? Une IA auxiliaire de confort, substitut à l’effort, prétexte à la déresponsabilisation, renforce ce qui s’oppose au projet même de l’École.

À ce stade, nous n’avons pas encore trouvé de manière juste, cohérente, et fidèle aux finalités propres de l’École, d’intégrer l’intelligence artificielle dans l’acte éducatif. La nature même de ces technologies — leur logique d’efficacité, leur puissance d’automatisation, leur capacité à produire des simulacres de pensée — entre en tension avec ce que l’éducation exige en profondeur.

L’enthousiasme technologique et la fascination ambiante nous font perdre de vue l’essentiel : penser les usages avant les outils, envisager les finalités avant les moyens. Le problème est plus radical : il est philosophique, anthropologique, politique. Il touche à ce que nous entendons encore par « instruire », « former », « émanciper ». C’est pourquoi, à ce stade de la réflexion, et dans l’état actuel des usages comme des représentations de l’IA, nous suspendons notre assentiment.

L’École ne saurait devenir un laboratoire d’expérimentations techniques, ni l’éducation un marché. Elle ne peut être soumise à la logique des modes ou des offres commerciales, au risque de réduire l’acte éducatif à une prestation, les savoirs à des produits, et les élèves à des usagers ou à des profils de données.

Précision : Toutes les IA ne se valent pas. Celles évoquées ici reposent sur des modèles probabilistes, non déterministes : elles ne suivent pas un enchaînement logiquement transparent mais fonctionnent comme des “boîtes noires”, dont les sorties relèvent de calculs de probabilité, non de raisonnement. Confier une part du processus éducatif à de tels dispositifs interroge profondément une école dont la vocation est de transmettre des savoirs stabilisés, ouverts à l’examen critique. L’IA peut entrer à l’École — mais en tant qu’objet d’étude : technique (pour en comprendre les mécanismes), anthropologique (pour saisir le pouvoir de fascination qu’elle exerce), et socio-économique (pour en mesurer les usages, les intérêts et les dérives).

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