Lettre à la ministre
04 mars 2024
Des pressions inadmissibles exercées par des élus sur des directeurs d’école !
Madame la ministre,
Le Président de la République a souhaité que le port d’une tenue commune au sein des établissements scolaires fasse l’objet d’une expérimentation.
Le Premier ministre, qui vous a précédé dans ces fonctions à l’éducation nationale, a également exprimé sa volonté de mener cette expérimentation et en a initié la mise en œuvre.
Vous avez à votre tour indiqué que cette expérimentation se déroulerait comme prévu et vous en avez également rappelé l’objet dans des termes qui sont très proches des nôtres puisque cette mesure fait aussi partie des propositions que nous avons formulées lors de la mission consacrée à « l’exigence des savoirs ».
Nous constatons cependant sur le terrain que les équipes impliquées, depuis qu’elles se sont déclarées volontaires pour participer à cette expérimentation, font souvent l’objet de pressions pour y renoncer. Plusieurs enseignants et personnels de direction s’en sont plaints auprès de nous. Dans la plupart des cas, ces pressions sont exercées par les représentants locaux d’organisations syndicales ou d’associations de parents d’élève particulièrement hostiles à ce projet. Cela fait partie de l’ordre des choses même si nous déplorons que la hiérarchie de proximité n’apporte pas toujours aux équipes sur le terrain, face à de telles pressions, le même soutien que celui exprimé par les plus hautes autorités de l’État à l’origine de cette expérimentation.
Chargé de ce dossier par le président national du syndicat Action & Démocratie/CFE-CGC, je vous écris ce jour pour attirer votre attention sur ces difficultés mais aussi pour solliciter votre intervention dans les cas où les pressions que subissent les personnels qui s’engagent dans cette expérimentation dépassent l’expression normale d’un désaccord et visent à entraver ladite expérimentation ainsi que le processus démocratique de sa validation par les premiers intéressés.
C’est notamment le cas à Neuilly-sur-Marne où le député de la circonscription, Monsieur Thomas PORTES, s’est permis d’envoyer aux directeurs des écoles volontaires pour expérimenter la tenue commune un courrier qui, après les avoir plongés dans un état de sidération, les embarrasse au plus haut point. Je vous prie d’en prendre connaissance en pièce jointe.
Si le contenu de cette lettre de Monsieur PORTES se résume avant tout à l’expression d’un désaccord politique avec cette expérimentation, expression qui est le prolongement de sa mission de parlementaire aussi mal formulée soit-elle, il contient aussi, selon l’interprétation que nous en faisons, une incitation à l’insubordination et constitue pour cette raison l’exercice d’une pression morale sur un agent public. Je précise en effet qu’à la date d’envoi et de réception dudit courrier aux directeurs d’école concernés, le conseil d’école ne s’était pas encore prononcé puisqu’il devait être réuni précisément à cette fin à l’issue des congés d’hiver. Par son initiative, le député Thomas PORTES cherche manifestement à faire retirer de l’ordre du jour du conseil d’école l’expérimentation de la tenue commune. Les deux directrices d’école qui ont reçu ce courrier ainsi que les deux autres directeurs d’école volontaires pour ce projet sont très fatigués par ces pressions et se plaignent auprès de nous d’un climat devenu très lourd.
Cette immixtion d’un élu de la République dans le déroulement normal de l’expérimentation et le processus de validation démocratique prévu par celle-ci porte d’autant plus préjudice à la vie de l’école que, moins d’une semaine après, ces mêmes directeurs d’école ont reçu un second courrier dont la teneur est analogue au premier. Plus exactement, ils ont reçu la copie officielle d’un courrier envoyé au maire de Neuilly-sur-Marne de la part d’élus de l’opposition, copie qui leur a été adressée sous pli à en-tête de la Région Ile-de-France dont l’un des signataires, Monsieur TRIGANCE, est élu.
Quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur l’expérimentation d’une tenue commune, il n’est pas acceptable que des personnalités politiques et des élus se permettent ainsi d’exercer ouvertement de telles pressions sur des enseignants et personnels de direction qui font leur travail et qu’ils utilisent leurs titres pour dissuader ces derniers de participer à cette expérimentation et les empêcher de consulter leur conseil d’école comme le protocole le prévoit.
Le législateur, qui a récemment institué le délit d’entrave à l’enseignement, devra-t-il envisager désormais de créer aussi un délit d’entrave à l’expérimentation ?
Nous n’excluons pas de notre côté de saisir le bureau de l’assemblée nationale au sujet du courrier de Monsieur PORTES ainsi que la présidence de la Région Ile-de-France à propos de l’utilisation de son en-tête. Il nous semble cependant primordial de vous informer de cette situation et solliciter votre intervention afin de garantir à nos collègues de Neuilly-sur-Marne la sérénité dont ils sont privés suite à ces initiatives intempestives. Nous vous demandons solennellement de garantir la tranquillité de ces écoles et de leur personnel, ainsi que de permettre à l’ensemble de la communauté éducative de s’exprimer démocratiquement dans le cadre prévu. Laisser les discussions se tenir tranquillement et les personnes s’exprimer démocratiquement sur ce projet est un bel exemple à donner aux élèves eux-mêmes auxquels nous avons à cœur de transmettre les valeurs républicaines.
Dans l’attente de connaître les mesures que vous comptez prendre pour donner suite à ce signalement et mettre les personnels concernés à l’abri de ces comportements ici ou ailleurs, je vous prie de croire, Madame la ministre, en l’assurance de mon entier dévouement à l’école de la République et ceux qui la font vivre.
René CHICHE
Vice-président Action & Démocratie/CFE-CGC