Témoignage
Un peu de tenue !
Un directeur d’école et ses collègues ayant manifesté leur intérêt pour l’expérimentation de la tenue unique sont depuis harcelés par les élus, les représentants locaux d’OS hostiles à « l’uniforme » [sic] et certains parents. Un témoignage édifiant en trois parties dont voici la première.
Directeur d’école à Neuilly-sur-Marne, dans le département de la Seine-Saint-Denis, j’ai manifesté mon intérêt avec trois autres directions d’école, suite aux propositions du maire de la commune pour connaître notre position sur ce projet ministériel, pour faire participer mon école à l’expérimentation de la tenue commune. Ainsi sur les dix écoles élémentaires de Neuilly-sur-Marne, nous serions quatre à expérimenter la tenue commune si les conseils d’école votent en ce sens puisque cette expérimentation est évidemment soumise à l’approbation de la communauté éducative et ne saurait être décidée par quelques individus. A l’automne, j’ai commencé à en parler de manière informelle à mes collègues enseignantes en conseil des maîtres, car nous n’avions pas encore de précisions : sur les quinze collègues, quelques-unes ont marqué très nettement leur désapprobation, d’autres ont manifesté leur curiosité, certaines se sont abstenues de prise de parole, mais globalement j’ai bien noté que ce sujet suscitait un vif questionnement et marquait clairement les désaccords au sein de l’équipe. J’ai donc attendu patiemment une communication officielle pour alimenter ensuite la réflexion au sein de mon conseil des maîtres.
La diffusion d’une prétendue « liste officielle » d’école se lançant dans l’expérimentation par BFM TV le mercredi 17 janvier en fin d’après-midi a jeté un trouble énorme à tous les niveaux : comment une chaîne de télé avait eu la liste des écoles retenues pour expérimenter la tenue commune ? Comment ces écoles avaient donc décidé sans en référer à la communauté éducative ?
Dès le lendemain, nous sommes tous les quatre, deux directrices, un autre directeur et moi-même de Neuilly-sur-Marne, assaillis de questions par les parents, les collègues et dans l’incapacité de répondre clairement, car nous découvrions nous aussi cette communication et cette absence de concertation. Bien entendu, nous rassurions chacun en répétant inlassablement que les décisions n’étaient pas prises et que nous attendions une communication ministérielle puis municipale pour débuter non pas l’expérimentation elle-même mais bien les concertations. Cependant, la médiatisation en amont avait fait son œuvre et nous étions suspectés de vouloir faire passer la mesure dans le dos des autres, parents ou enseignants. Bien sûr, les reproches, parfois dignes de mauvaise foi, venaient principalement des opposants au port de « l’uniforme »…
Très vite, la machine s’est emballée, les réunions se sont enchainées et les discussions avec les uns puis les autres se sont succédées, pour nous prendre un temps au-delà du raisonnable, alimentant franchement la surcharge de notre travail, déjà trop important en temps ordinaire. Les tensions se multipliaient de partout, y compris de la part de notre hiérarchie, qui d’appel téléphonique en réunion à l’inspection, parvenait mal à dissimuler son désaccord avec ce projet, pourtant ministériel. Ne sommes-nous pas tous fonctionnaires, et supposés tenus de garder nos convictions pour notre sphère privée ?
Pour être précis, la hiérarchie se défaussait sur les directeurs d’école concernés en leur disant que si les parents réfractaires se manifestaient à l’inspection, ils seraient renvoyés vers nous, car ce sujet était de la responsabilité du directeur et l’inspecteur « n’avait pas que ce dossier à traiter », donc pas de temps à lui accorder. Son attitude eut-elle été la même s’il s’était agit d’expérimenter je ne sais quelle fantaisie dont certains pédagogues auto-proclamés ont le secret ?
Les pressions se multipliaient, les parents opposés passant à l’offensive et notamment en réunion avec les parents d’élèves élus des quatre écoles en mairie, où j’étais pendant longtemps le seul directeur présent, donc très sollicité par le maire pour répondre aux questions concernant l’éducation nationale. Mais, globalement, les parents ne semblaient pas du tout en opposition, au contraire beaucoup se révélaient intéressés et alimentaient le débat en parlant de leur propre expérience d’élève, certains aux Antilles, où l’uniforme est habituel au collège, d’autres dans des pays étrangers avec une tenue cadrée, voire très stricte. Ainsi, nous entendions enfin d’autres points de vue et cela avait de rassérénant que cette nouveauté portait vers des oreilles qui ne semblaient pas embrigadées idéologiquement. Car les opposants eux, marquaient franchement leurs convictions et n’hésitaient plus à les afficher.
Nous étions à la veille des vacances d’hiver, soit le vendredi 9 février, et en début d’après-midi je reçus un mail de l’inspecteur de circonscription en réponse à un parent d’élève élu de mon école. Ce dernier demandait à l’IEN d’avoir la certitude que les échanges au conseil d’école seraient neutres, car du fait je n’avais pas communiqué avec lui officiellement avant, il restait bloqué sur la médiatisation de BFM et affichait très clairement ses orientations politiques, se permettant de mettre en doute mon respect du cadre institutionnel en faisant référence à mes écrits dans des revues qui pour lui « avaient une vision réactionnaire de l’école »[1]. Donc, malgré le début de mes vacances d’hiver, je pris le temps nécessaire à la rédaction le samedi matin d’une longue réponse à ce père d’élève en reprenant point par point son argumentaire. Je l’assurai notamment de la possibilité qu’il aurait de s’exprimer, soulignant d’ailleurs l’inégalité dans l’autre sens, puisque les collègues et moi-même étions soumis à notre devoir de neutralité contrairement aux autres membres du conseil d’école. Je mettais en copie l’IEN bien sûr et la mère d’élève en tête de liste car ce père avait agi seul, cela était flagrant. Mais ce parent ne montrait que la partie émergée de ce qui se tramait du côté politique.
Lors de la deuxième semaine de vacances, la collègue directrice de l’école qui jouxte la mienne, également concernée par l’expérimentation, se rend dans son école pour y travailler une journée, comme il arrive souvent à des personnels réputés être en vacances. Elle relève le courrier et trouve une lettre du député de la circonscription M. Thomas Portes, qui s’adresse nominativement à elle en tant que directrice, lui fait part de son opposition à l’expérimentation de l’uniforme qu’il qualifie de mesure d’extrême droite. Il rappelle ses convictions politiques et conclut sa lettre de deux pages ainsi : « Je m’engage à soutenir le personnel éducatif, les parents d’élèves et les organisations syndicales dans leur lutte contre cette mesure. » Voilà, le ton est clair, le positionnement l’est tout autant, ainsi que la politisation et les tentatives d’intimidations envers une directrice d’école. Je n’ai pas reçu ce courrier mais la deuxième directrice concernée en a également été destinataire… et elle aussi en a été très choquée, évidemment !
Nous sommes à la rentrée, et le vendredi 1er mars je reçois un courrier dans la boîte aux lettres de l’école, à destination de la direction et des parents d’élèves élus. Cela émane des conseillers municipaux d’opposition au maire de la commune, notamment de M. Yannick Trigance qui est également conseiller régional. Il est aussi responsable éducation au sein du PS. Cette lettre qui est adressée directement au Maire, mais envoyée aussi aux écoles qui sont mises en copie et la recevront sous enveloppe avec cachet de la Région, annonce clairement la couleur. L’immixtion dans la vie de l’école est flagrante, pour ne pas dire déplacée voire illégale, car « nous souhaitons que les parents d’élèves soient consultés dans la plus grande transparence sur la base d’une question non-orientée et que les résultats soient rendus publics tout comme la décision de chaque conseil d’école ».
Bien entendu les parents sont tous consultés, des réunions publiques sont organisées et chacun pourra voter. L’issue des votes des parents déterminera si nous poursuivons ou non les démarches pour valider en conseil d’école l’expérimentation. Ainsi, nous n’avons pas besoin d’invectives politisées pour savoir qu’une telle mesure sera d’autant plus approuvée et appliquée sereinement qu’elle aura été décidée dans la plus grande transparence possible.
Nous demandons simplement de pouvoir poursuivre dans l’apaisement notre travail de consultation et de mise en œuvre du processus démocratique de concertation de tous les acteurs de l’école, dans la sérénité et sans subir toutes ces pressions qui viennent, comme chacun l’aura bien compris, du même côté, alors qu’ici à l’école, nous ne faisons pas de politique et souhaitons tous la réussite de nos élèves sans autre arrière-pensée. Le port de la tenue commune pourrait y contribuer au travers de l’établissement d’un climat scolaire apaisé ; on peut le penser comme on peut penser le contraire : ce ne sont au fond que des opinions, ou bien des convictions, mais il serait intéressant de pouvoir l’expérimenter pour savoir vraiment de quoi il retourne…
A suivre donc, d’ici un mois pour connaître les résultats des votes des parents puis, si nécessaire de celui du conseil d’école qui actera soit l’arrêt de la démarche, soit le début du processus d’expérimentation.
[1] Il m’arrive en effet d’écrire des textes que j’envoie à certains sites tels que Front populaire ou Causeur qui les publient…
Nicolas BOUREZ
Directeur d’école (REP), co-référent PE et membre du BN d’Action & Démocratie