AD/CFE-CGC, pour reconstruire l'école et défendre tous ceux qui la font vivre
Conseil supérieur de l’Éducation : dialogue franc avec un ministre à l’écoute
Au Conseil supérieur de l’Éducation, AD/CFE-CGC a obtenu un dialogue franc avec le ministre autour des politiques éducatives, de la protection des personnels et de l’école inclusive.
Lors de la séance du Conseil supérieur de l’éducation du 4 décembre consacrée à un échange approfondi avec Édouard Geffray, Action & Démocratie / CFE-CGC a porté la voix du terrain sur trois priorités : la protection réelle des personnels, les limites de l’inclusion telle qu’elle est déployée et la cohérence des politiques éducatives. Le ministre reconnaît la nécessité d’une réponse explicite en matière de protection fonctionnelle, se dit prêt à reconsidérer certains dispositifs et annonce vouloir sortir des textes incantatoires. En annonçant qu’il rédigera lui-même la prochaine circulaire de rentrée, il répond à la déclaration préalable d’AD/CFE-CGC et affirme vouloir « dire clairement les choses ». Début de changement ? Nous le saurons très vite…
AD / Conseil supérieur de l'éducation /04 décembre 2025
Synthèse des échanges avec le ministre
1/ Allocution préalable du ministre
Après avoir écouté les déclarations préalables des organisations, et avant d’y répondre point par point, le ministre a ouvert sa longue intervention préalable (d’une heure et quart) en insistant sur sa volonté de ne pas mettre à nouveau l’institution et les personnels en tension avec une nouvelle grande réforme, ce que nous avons compris comme une critique implicite des gouvernances précédentes. Il a en effet indiqué que l’éducation nationale avait été, au cours des dernières années, le théâtre de réformes successives ayant profondément transformé son organisation, ses méthodes et ses pratiques et a affirmé vouloir rompre avec ce cycle de changements rapides, souvent inachevés, dont les effets cumulés ont été relevés par plusieurs organisations syndicales. À cet égard, et en réponse explicite aux critiques formulées en ouverture par Action & Démocratie/CFE-CGC dans sa déclaration préalable concernant la « frénésie réformatrice » des dernières années, il déclare :
« Très honnêtement je pense que les professeurs en ont par-dessus la tête qu’on leur demande chaque mois de janvier de préparer une rentrée différente de la rentrée précédente » et d’ajouter : « Je n’ai pas l’intention de porter à nouveau une grande réforme dans ce ministère. La stabilité ne signifie pas l’inaction, mais une capacité à agir sur des leviers qui ne perturbent ni l’exercice des personnels ni la continuité de l’année scolaire. »
Dialogue social et communication institutionnelle
Le ministre a insisté sur la méthode de travail qu’il souhaite conduire avec les organisations représentées, affirmant qu’aucune annonce publique ne prévaudrait sur les débats en instance. Cette précision répondait à plusieurs interventions évoquant des décisions ou orientations communiquées par voie de presse avant concertation formelle (et notamment les propos du président de la République sur l’interdiction du téléphone portable au lycée)
Il a donc précisé : « Je ne communiquerai pas sur une décision avant que les espaces de dialogue n’aient été réunis. Ce n’est pas une posture mais une méthode. Le respect des instances est une condition de la confiance. »
« Nous ne devons plus découvrir par voie médiatique ce qui relève du dialogue avec vous. »
Cette déclaration ne vise pas uniquement à se démarquer des pratiques précédentes, souvent contestées par les organisations et effectivement contestables, mais reflète un changement profond et une volonté de travailler avec les organisations que nous avons perçue et qui semble sincère. Cela va tout à fait dans le sens du positionnement d’Action & Démocratie/CFE-CGC qui a déjà montré et continuera à démontrer qu’elle est une force de propositions.
Protection des personnels et responsabilité institutionnelle
En lien direct avec la déclaration d’Action & Démocratie/CFE-CGC, le ministre a reconnu l’importance d’un soutien sans ambiguïté aux personnels confrontés à des agressions, accusations ou menaces et expose une ligne claire : la protection des personnels constitue un impératif catégorique.
Il a indiqué :
« La protection fonctionnelle doit relever du quasi-automatisme. Lorsque l’agent est victime, le soutien doit être sans réserve. »
Il nuance toutefois ce principe dans les situations où la responsabilité de l’agent est engagée, reconnaissant qu’il existe des cas « rares » mais réels.
Interpelé par Action & Démocratie/CFE-CGC sur la nécessité qu’aucun personnel n’aille travailler la peur au ventre ou en étant persuadé que l’institution ne le soutiendra pas, le ministre a vivement réagi en insistant sur le soutien sans faille que l’institution devait à ses agents et en s’engageant à le rappeler : « Cela ne se réduit pas à un cadre réglementaire. Il s’agit d’une responsabilité humaine et hiérarchique. »
Le ministre a également insisté sur la possibilité de saisir rapidement son cabinet pour les situations nécessitant un réexamen, ce qui constitue une réponse directe au constat d’hétérogénéité des pratiques selon les académies que nous avions formulé.
Démographie scolaire et évolution des emplois
Sur la question de la baisse démographique et de ses incidences sur les postes, le ministre expose longuement les projections démographiques du premier degré et y rattache la justification des choix budgétaires en cours :
« Nous perdons un million d’élèves dans le premier degré entre 2019 et 2029. […] 25 % d’élèves en moins d’ici 2034 : nous n’avons jamais connu une telle vague. »
« Nous devons organiser un atterrissage progressif. Ni mécanique ni brutal. »
Il explique que la baisse du nombre de postes ne reprend que partiellement la baisse démographique (« environ 50 % ») et vise à éviter d’une part, une explosion mécanique des moyens par élève, jugée difficilement soutenable à long terme, et d’autre part, une crise de recrutement future si aucune régulation n’était opérée.
Il affirme cependant son intention de renforcer dans la durée les effectifs de santé scolaire, psychologues et assistants sociaux.
En contextualisant cette position, le ministre a indiqué également que la gestion des emplois devait tenir compte des réalités territoriales différenciées, ce qui nécessite une concertation régulière avec les représentants du personnel.
Action & Démocratie/CFE-CGC n’est pas sourd à ces arguments mais défendra au sein du groupe de travail annoncé le vœu du CSE voté à son initiative le 6 juin 2024 réclamant qu’un nombre maximal d’élèves par classe soit gravé dans le marbre de la loi, au moins dans le premier degré où tout commence.
Doctrine numérique et usage des écrans
Le ministre souhaite une doctrine concernant l’usage des écrans à l’école fondée sur les recommandations scientifiques actuelles, articulée autour de principes simples et compréhensibles :
« Avant six ans, pas d’écran. Entre six et douze ans, pas de téléphone portable. »
Il indique que le lycée pourrait devenir un champ d’expérimentation de l’interdiction du portable, « sur la base du volontariat des établissements », en facilitant l’inscription de cette règle dans les règlements intérieurs.
« Il faut retrouver des espaces et des temps où l’on parle, où l’on se regarde, où l’on apprend sans médiation numérique. »
Ces propos de bon sens interviennent alors qu’Action & Démocratie/CFE-CGC s’est déjà prononcé à ce sujet lors de la discussion sur le cadre d’usage de l’IA dans l’éducation et notre position est claire : seule une intelligence naturelle développée et exercée par des méthodes éprouvées peut s’approprier les technologies numériques sans se laisser dominer et influencer par leurs « promesses ». Nous sommes donc en accord avec la position du ministre, pour qui les écrans sont aussi un facteur de dégradation du vocabulaire, d’où le lien établi avec la politique de lecture.
Lecture, fluence et continuité des apprentissages
Le ministre relie l’évolution des pratiques culturelles de la jeunesse au recul observé dans les évaluations. Il invoque la recherche :
« Si un enfant est exposé à 300 mots de vocabulaire entre 0 et 6 ans, ce n’est pas la même chose que s’il en entend 2 000 ou 4 000. »
Il confirme la poursuite des dédoublements en éducation prioritaire (résultats jugés probants), la volonté de renforcer la lecture orale au CM1–CM2, la nécessité d’une action forte pour la lecture plaisir, et pas seulement la fluence.
Ce sont encore des sujets sur lesquels nous constatons un accord avec le ministre
Organisation du collège et expérimentation
Sur l’organisation du collège, il a indiqué être ouvert à des modèles différenciés, selon les territoires, tout en rappelant qu’un arbitrage général sera rendu. À ce stade, il plaide pour une position décentralisée, reconnaissant que des solutions fonctionnent dans certains territoires mais pas dans d’autres : « Je ne suis pas sûr qu’il existe une réponse universelle. »
Un arbitrage définitif est annoncé pour janvier.
Action & Démocratie/CFE-CGC continue à réclamer la suppression des « groupes de besoin » au profit de classes à effectifs réduits ou de dédoublements à l’instar de ce qui a été fait pour le premier degré dans les écoles classées REP et REP+ puisque là au moins, ça fonctionne, de l’aveu même du ministre, tandis que l’usine à gaz des groupes de besoin créé plus de problèmes qu’elle n’en résout !
Baccalauréat
Le ministre exclut toute modification avant 2027 :
« Je ne vais pas dire aux élèves qu’on va tout changer dans six mois. »
Il justifie ce choix par un besoin d’installation durable du système, après une succession de changements depuis 2019. Si cela s’entend, nous ne pouvons pas nous résoudre pour autant à la dévaluation du baccalauréat aggravée par le contrôle continu et les harmonisations sauvages qui font perdre tout crédit aux notes. C’est un sujet sur lequel il faut avoir le courage de rouvrir le débat, ce qui commence par une évaluation objective et précise de la réforme de 2019.
Un comité de suivi de la voie professionnelle est également annoncé pour janvier. Là encore, le ministère est bien obligé de reconnaître que le « parcours en Y » a pour principal effet de vider les établissements dès le mois de mai…
Enfin, le ministre évoque un sujet qui lui tient à cœur, celui de l’égalité entre filles et garçons qu’il ne faut pas réduire au nombre de filles inscrites en mathématiques expertes au lycée mais qu’il faut traiter dès le collège. Puis, pour répondre à d’autres déclarations préalables, le ministre évoque rapidement le sujet de la protection social complémentaire en disant que c’est globalement une avancée mais que son attention a été attirée sur certaines situations et que cela va faire l’objet d’un travail ; le sujet du climat scolaire et de la montée de la violence mais sans faire d’annonce particulière et en invitant à la réflexion collective ; celui de la santé (physique et psychique) des élèves (sans aborder hélas celle des personnels…) ; celui de Parcoursup qu’il défend en rappelant que l’algorithme n’affecte pas et se contente de mettre en rapport l’offre de formation et la demande mais que « les établissements conservent la maîtrise de l’admission » ; celui des « classes défense » pour répondre à certaines organisations qui y voient un « embrigadement » et une « militarisation » de la jeunesse ; il rappelle enfin que les programmes scolaires doivent être strictement appliqués dans l’enseignement privé mais que jeter systématiquement l’opprobre sur l’enseignement privé n’est pas fondé, etc.
2/ Échanges avec le ministre
À l’issue de l’allocution initiale du ministre, les échanges, qui ont duré environ trois-quarts d’heure, ont porté principalement sur quatre thématiques : les effectifs et les emplois dans un contexte de baisse démographique, le climat scolaire et les conditions d’exercice, la politique d’inclusion, la protection fonctionnelle et le soutien institutionnel aux personnels.
Sur l’inclusion, qui est un sujet abordé dans de nombreuses déclarations, l’intervention initiale d’Action & Démocratie/CFE-CGC s’est distinguée en posant explicitement la question des limites du modèle d’inclusion actuellement déployé, car la demande de renforcement des moyens, qui est partagée par toutes les organisations, ne saurait suffire à résoudre tous les problèmes.
En effet, l’insuffisance des dispositifs ou le manque d’accompagnants ne peuvent dispenser d’un bilan qualitatif de l’inclusion intégrant les difficultés rencontrées dans les classes, les effets sur les élèves concernés, et l’impact sur l’ensemble des autres élèves. Sur ce point, le ministre a d’ailleurs reconnu le caractère central et inédit des situations liées aux troubles du comportement, et a déclaré notamment :
« Il existe des cas où la compensation ne suffit plus et où elle ne devrait pas être la seule réponse. Nous touchons les limites d’un système où la compensation est devenue la porte d’entrée quasi exclusive. »
Il a indiqué que les travaux doivent associer le ministère de la santé et les acteurs du médico-social, afin de réduire les délais entre repérage en milieu scolaire et prise en charge adaptée.
Action & Démocratie/CFE-CGC, qui est la première organisation syndicale à avoir donné la parole aux collègues sur le terrain pour dire la réalité, les satisfactions mais aussi les souffrances de l’inclusion à tout prix, ne peut que se féliciter de leur avoir permis de commencer à être entendus, et nous veillerons à ce que les choses avancent sur ce sujet que les collègues placent eux-mêmes au premier plan.
Sur la Protection fonctionnelle et le refus implicite
Revenant sur le sujet abordé plus tôt dans la séance, Action & Démocratie / CFE-CGC a rappelé que son propos ne se limitait pas au nombre de demande ni au taux d’accord mais concernait aussi la motivation des refus, insistant sur le fait qu’un refus implicite était « incompréhensible et inacceptable » au regard du respect dû aux personnels concernés.
« Tous les refus doivent être motivés. L’idée d’un refus implicite ne se comprend pas, ne se conçoit pas. »
En réponse, le ministre a affirmé un accord de principe :
« Vous avez raison. Un collègue ne peut pas avoir une réponse implicite sur une situation dans laquelle il a été ou il s’est senti menacé, mis en cause, ce n’est pas possible. »
Reconnaissant toutefois la nécessité d’une harmonisation nationale, il a ajouté :
« Je ne garantis pas que ce sera le cas partout (…) mais je vois ce soir les recteurs en visio et je vais rajouter ce point à l’ordre du jour. On commence par répondre. Ce sont des collègues, donc on doit répondre. »
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette réponse, qui est un engagement explicite à inscrire la question dans l’agenda des recteurs.
Sur l’enseignement de la technologie en 6ᵉ et l’incohérence des orientations ministérielles
Action & Démocratie / CFE-CGC a interrogé la cohérence de la politique ministérielle en matière d’enseignement technologique. Nous avons souligné que le texte soumis à l’examen de la séance appelant à renforcer les compétences scientifiques et technologiques dès l’école primaire semblait contradictoire avec la suppression de l’heure de technologie en classe de sixième l’année précédente.
Nous réclamons une remise à plat de l’organisation de l’enseignement de technologie articulée à la réflexion sur les groupes de besoin dont « l’application n’est pas réelle sur le terrain ».
La réponse du ministre à ce point précis n’a pas donné lieu à un engagement direct, celui-ci renvoyant à l’évaluation en cours relative à l’organisation du collège et à l’arbitrage annoncé pour janvier.
Sur les écrans et la « parentalité numérique » [sic] : proposition d’un congé dédié
Revenant sur les dangers de la surexposition aux écrans et la nécessaire prévention à déployer, Action & Démocratie / CFE-CGC a salué la volonté affichée d’impliquer les parents mais souligne que ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés sont souvent les moins disponibles pour participer aux réunions scolaires du fait de leurs contraintes professionnelles.
Afin de rendre effectives, pour ne pas dire efficaces, les actions d’information, nous proposons donc l’instauration d’un congé parental dédié — une journée ou une demi-journée par an — avec présence obligatoire aux réunions d’information organisées par les établissements (généralement en période de rentrée). Le ministre et ses conseillers en prennent note sans s’engager à ce stade.
L’échange entre le ministre et les organisations, qui a duré en tout plus de deux heures, voire près de cinq heures si l’on y ajoute le temps pris par les nombreuses déclarations préalables, s’est conclu sur une ouverture d’Édouard Geffray à poursuivre les travaux, ce dernier exprimant à nouveau sa volonté de « travailler ensemble » sur les sujets de concertation évoqués. Nous avons souligné que ce changement de méthode était bienvenu et de bon augure.
3/ Épilogue
En fin de séance, le ministre est encore revenu et de manière explicite sur la question de la circulaire de rentrée, faisant ainsi directement écho à la déclaration préalable d’Action & Démocratie/CFE-CGC qui soulignait le caractère répétitif, incantatoire et déconnecté du réel de ces odes à « la réussite » qui sont surtout des monuments de langue de bois institutionnelle.
Le ministre a annoncé qu’il rédigerait lui-même la prochaine circulaire de rentrée, en insistant sur la volonté de produire un texte qu’il qualifie de « fond ». Il a déclaré :
« La prochaine circulaire de rentrée ne sera pas un exercice stylistique ou un catalogue de formules. Je souhaite en faire un texte de fond, rédigé par mes soins. »
Le ministre a précisé que la circulaire doit répondre aux enjeux réels du terrain et être compréhensible par les personnels, indiquant :
« Nous devons produire un texte qui dit les choses et qui les dit clairement. »
Nous ne pouvons donc que répondre à Édouard Geffray : chiche !