Le point sur...

L'indemnité de résidence (IR)

Héritage d'un passé révolu, elle doit laisser la place à une vraie indemnité de logement

Histoire de l'IR par Laurent Bouvier, professeur d'HG

L’indemnité de résidence dont bénéficie aujourd’hui moins de la moitié des fonctionnaires est enviée par ceux qui ne la perçoivent pas, c’est-à-dire la majorité des agents de l’Etat, et décriée par ceux qui la perçoivent, au motif qu’elle est loin de couvrir les surcoûts auxquels ils doivent faire face. C’est donc une indemnité très contestée qui fait néanmoins consensus sur un point : elle doit être révisée, parce que la forme sous laquelle elle existe aujourd’hui ne satisfait plus personne.

 

Mais cette révision n’est pas aussi simple que l’on pourrait l’imaginer de prime abord. Une affirmation a priori étonnante, qui ne manquera pas de susciter quelques doutes et certainement bien des interrogations. Elle s’explique pourtant sans grande difficulté, à condition d’avoir en mémoire présente l’histoire mouvementée de cette indemnité.

 

Créée par la loi du 18 octobre 1919 signée par Raymond Poincaré et mise en application par le décret du 11 décembre 1919, elle ne concerna d’emblée pas tous les fonctionnaires puisqu’elle fut versée et modulée en fonction de la strate démographique de la résidence administrative, c’est-à-dire du lieu d’exercice qui peut être différent du lieu de logement.

 

Ainsi, tous les agents qui travaillaient dans une commune de moins de 5.000 habitants n’y eurent pas droit. Dans un pays où la population urbaine – donc résidant dans des communes de plus de 2.000 habitants – ne devint majoritaire qu’au début des années 1930, une grosse majorité des fonctionnaires fut donc exclue du bénéfice de cette indemnité.

 

Quant à ceux qui la perçurent, ils reçurent des montants fixes pour chacune des neuf strates démographiques mises en place, allant de 200 francs par mois pour les localités dont la population était comprise entre 5.000 et 10.000 habitants à 1.200 francs pour Paris. Convertis en monnaie d’aujourd’hui, cela représenterait 266 euros/mois pour la strate la plus basse et 1.596 euros/mois pour un fonctionnaire travaillant à Paris.

 

Comparé aux montants de l’indemnité de résidence actuelle, c’est évidemment sans commune mesure. Mais il ne faut surtout pas en tirer de conclusions trop hâtives, une décision politique ultérieure ayant radicalement changé la donne, avec à la clé une comparaison qui serait tout sauf adaptée.

 

La situation resta longtemps en l’état, avec la possibilité pour certaines communes d’être surclassées de plusieurs strates « en raison de circonstances exceptionnelles ». Par cette expression, il faut bien sûr comprendre les communes, même celles dont la population était inférieure à 5.000 habitants, qui avaient subi de gros dommages de guerre et où les logements étaient rares et donc chers.

 

Le premier changement intervint avec la loi du 31 octobre 1941 signée par Philippe Pétain. Il fut de taille puisqu’il fixa le montant de l’indemnité en fonction de deux critères : la strate démographique des communes, avec cette fois la prise en compte de celles ayant entre 2.000 et 5.000 habitants ; la situation familiale des fonctionnaires, puisque les temps étaient alors à la valorisation de la famille, de préférence avec beaucoup d’enfants.

 

Cela se traduisit par un changement de vocabulaire, « l’indemnité de résidence » s’appelant désormais « l’indemnité de résidence familiale » et par une modulation de la somme versée en fonction du statut matrimonial du fonctionnaire (marié ou célibataire) et du nombre d’enfants. Ainsi, pour la nouvelle strate allant de 2.000 habitants à 5.000 habitants, l’indemnité allait de 1.000 francs pour un agent marié sans enfants à 5.000 francs pour un agent marié avec six enfants ou plus. Pour un fonctionnaire travaillant à Paris, elle allait de 6.000 francs s’il était dans le premier cas de figure à 20.000 francs s’il était dans le second.

 

Ce mode de calcul avait pour avantage de prendre en compte les surcoûts engendrés d’une part par la cherté de la vie en fonction de la taille de la ville, les communes rurales restant à l’écart du dispositif, et d’autre part par le nombre de bouches à nourrir. Il était néanmoins très sévère pour les fonctionnaires non mariés qui ne percevait rien dans les communes de moins de 5.000 habitants et seulement 5.000 francs à Paris, et encore à condition d’être des hommes puisque la somme était divisée par deux pour les femmes dans cette situation.

 

Globalement, cette indemnité de résidence familiale permettait à davantage de fonctionnaires, du fait de la création de la dernière strate démographique, de percevoir des sommes plus élevées. Il s’agissait donc, en dehors de toute considération d’ordre politique, d’un réel progrès. A tel point que lorsque l’immense majorité des lois adoptées par le régime de Vichy furent annulées à la Libération, celle du 31 octobre 1941 fut validée par une ordonnance prise le 23 septembre 1944. 

 

Elle connut néanmoins rapidement trois aménagements par voie d’ordonnance. Le premier, prévisible avec le changement de régime et tout à fait bienvenu, consista à traiter de la même façon tous les fonctionnaires célibataires en supprimant la décote que subissaient les agents féminins non mariés. Le deuxième, dû à la forte inflation du moment, fut une révision à la hausse des montants versés, qui passèrent par exemple à Paris à 9.000 francs pour un agent non marié et à 32.000 francs pour un agent marié avec 6 enfants. 

 

Quant au troisième, au nom des nécessaires sacrifices à faire pour la Reconstruction, il prit le contre-pied du deuxième en baissant nettement les montants versés, allant même jusqu’à les supprimer pour tous les fonctionnaires sans enfant exerçant dans une commune de moins de 20.000 habitants. Un coup de rabot qui fut en partie compensé par le décret du 04 janvier 1946 qui étendit le bénéfice de l’indemnité de résidence familiale à toutes les communes, y compris aux communes rurales.

 

Le décret du 16 janvier 1947 apporta une modification importante à cette indemnité. Depuis sa création, elle était versée en fonction de la strate démographique à laquelle appartenaient les communes. Or, en 1945, un découpage du pays avait été mis en place afin de prendre en compte le moindre coût de la vie en province par rapport à Paris. Cela aboutit à la création de 15 zones d’abattement de salaire, allant de 0% pour Paris à 25% pour les endroits les moins onéreux.

 

Se calquant sur ce découpage, le gouvernement décida de fixer l’indemnité de résidence familiale en fonction de ces zones d’abattement de salaire et non plus en fonction de la strate démographique des communes. Pour simplifier le système, il en regroupa plusieurs, ce qui donna lieu à la mise en place de 10 zones de versement.

 

Le décret du 29 février 1948 apporta une autre modification au moins aussi importante puisqu’il remplaça « l’indemnité de résidence familiale » par une « indemnité de résidence » complétée par une majoration destinée à tenir compte de la composition de la famille. Il fixa aussi la somme perçue non plus à un montant fixe, mais à un pourcentage du traitement brut allant de 0% dans la zone d’abattement de salaire la plus élevée à 25% à Paris.

Les bases de l’indemnité de résidence telle que nous la connaissons actuellement étaient désormais en place, avec cependant des taux plus nombreux et nettement plus élevés qu’aujourd’hui et un écart beaucoup plus important entre les zones extrêmes.

 

Ces trois éléments ont été progressivement revus, notamment en 1951 avec la réduction du nombre de taux à 8 puis à 7 et la diminution de l’écart entre les zones extrêmes à 15% puis à 13%. En 1955, cet écart passa à 12% et en 1962 le nombre de taux fut réduit à 6 avec un écart entre les zones extrêmes désormais limité à 7,25%. Clairement, le cap était fixé : procéder à un alignement de la situation de la province sur celle de Paris et de sa banlieue !

 

Cet alignement n’eut cependant pas lieu puisqu’à l’issue de la crise de mai 1968, le gouvernement décida par un décret en date du 21 juin 1968 de céder à une vieille revendication des fonctionnaires : incorporer l’indemnité de résidence dans le traitement brut afin qu’elle soit prise en compte pour le calcul de la retraite. 

 

Pour réussir cette opération, il fallait passer d’une situation où l’indemnité de résidence comportait 6 taux allant de 12,75% à 20% à une situation où il n’y aurait plus d’indemnité de résidence et où néanmoins tous les fonctionnaires du pays appartenant au même corps et situés au même échelon toucheraient un traitement brut identique.

 

Il était donc impossible de procéder à une simple intégration des différentes indemnités de résidence existantes dans le traitement brut. Parce qu’au delà d’un basculement de 12,75%, des différences dans les traitements auraient vu le jour !

 

Pour contourner l’obstacle, la méthode appliquée consista à procéder à une incorporation très progressive de la même part d’indemnité pour tous les taux, tout en procédant concomitamment à une réduction du nombre de taux par intégration des zones ayant les taux les plus faibles dans celles ayant des taux plus élevés.

 

Ainsi, tous les taux de résidence furent diminués de 2% en 1968 par incorporation dans le traitement net. Puis, l’incorporation continua à partir de 1970 au rythme de 1% par an, avec une réduction du nombre de zones à 5 en 1970 et à 4 en 1972. Deux ans plus tard, le décret du 19 juillet 1974 ramena ce nombre à 3 et l’incorporation de l’indemnité de résidence dans le traitement brut continua au même rythme.

 

Toutefois, l’opération coûtait cher à l’Etat du fait, d’une part de l’intégration progressive des fonctionnaires bénéficiant des taux d’indemnité les plus bas dans les catégories supérieures, et d’autre part du versement de pensions de retraite plus élevées. Elle fut donc arrêtée en 1985 après le basculement de 17 points d’indemnité de résidence.

 

Il ne restait alors que trois zones d’indemnités de résidence bénéficiant pour la plus favorisée d’un taux de 3%, pour l’intermédiaire d’un taux de 1% et pour la dernière – dans laquelle se trouvaient plus de 50% des fonctionnaires – d’un taux de 0%.

 

Depuis, la situation est restée inchangée avec le versement de l’indemnité de résidence en fonction de la zone dans laquelle est classée la commune d’exercice du fonctionnaire. Ce mécanisme a été figé par le décret du 24 octobre 1985 qui a précisé que les zones utilisées pour le versement de l’indemnité de résidence reposaient sur les zones d’abattement de salaires telles qu’elles avaient été délimitées en 1962.   

 

Le zonage actuel, basé sur une situation remontant à plus d’un demi-siècle, ne correspond évidemment plus aux écarts du coût de la vie que chacun peut constater entre les communes. Notamment parce que la métropolisation est passée par là, parce que le développement du tourisme a transformé des endroits alors isolés en lieux très prisés et parce que l’ouverture des frontières a renchérit le coût de la vie dans les territoires où les travailleurs transfrontaliers résident en grand nombre.

 

Il en résulte des situations totalement absurdes : comment des métropoles comme Toulouse, Bordeaux ou Rennes peuvent-elles être classées dans la zone de résidence bénéficiant d’un taux de 0% ? Comment de grands lieux touristiques comme Biarritz, Avignon ou Bayonne peuvent-ils se retrouver dans la même situation ? Comment absolument toutes les communes de 64 départements métropolitains, chef-lieu y compris, peuvent-ils connaître le même sort ?

 

Le décret en vigueur permet bien de modifier le classement des communes, mais uniquement dans deux cas de figure : lorsqu’une commune vient à intégrer une agglomération urbaine multicommunale, ce qui lui permet de bénéficier du taux de résidence le plus élevé existant au sein de cette agglomération ; lorsqu’une commune entre dans le périmètre d’une agglomération nouvelle au sens de la loi du 10 juillet 1970. Mais la modification ne peut intervenir qu’à l’issue d’un recensement général de la population.

 

Cela a permis une légère modification des zones par la circulaire du 25 septembre 1991 qui a pris en compte les résultats du recensement de 1990, puis par la circulaire du 12 mars 2001 qui, elle, a pris en compte les données issues du recensement de 1999. Cette deuxième modification a ainsi abouti au reclassement de 56 communes seulement, parmi lesquelles 42 sont passées du taux de 0% à celui de 1% et 14 ont réussi à intégrer la zone permettant de bénéficier d’une indemnité de résidence de 3%.

 

Des modifications à la marge donc, qui ne sont d’ailleurs plus possible puisque l’INSEE a abandonné en 2004 les recensements généraux de la population au profit de recensements partiels annuels portant sur un cinquième des communes.

 

Dans ces conditions, Action & Démocratie demande que le processus d’incorporation de l’indemnité de résidence dans le traitement brut soit repris et mené à son terme en suivant la méthode utilisée entre 1968 et 1985 : un basculement progressif de 1% par an après fusion préalable de la zone actuellement à 0% et de la zone actuellement à 1% dans une nouvelle zone bénéficiant d’un taux de 2%, puis après fusion de cette nouvelle zone avec celle bénéficiant actuellement du taux de 3%.

 

C’est possible, puisque toutes les communes de Corse ont bénéficié d’un relèvement progressif de leur indemnité de résidence de 0% à 3%, grâce à la création d’une « indemnité de résidence spécifique » entre le 1er juillet 1995 et le 1er décembre 1996. Certes, ce fut après une grève longue qui a paralysé l’ile pendant plusieurs semaines, mais ce que le législateur a fait une fois, il peut le refaire…

 

Action & Démocratie demande qu’ensuite une indemnité de logement soit attribuée à tous les enseignants. Elle devra être modulée en fonction du prix des loyers dans les communes et révisée régulièrement. Pour remplir pleinement son rôle, elle ne devra pas se limiter à un montant symbolique et pour être pérenne, elle devra impérativement être inscrite dans le chapitre rémunérations du statut des enseignants.

 

Laurent BOUVIER

Professeur d’Histoire Géographie

Président académique A&D (Reims), membre du BN A&D, membre du bureau fédéral des services publics CFE-CGC

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